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De manière générale Nous pouvons estimer que les élèves de lycée professionnel dont il est question dans notre recherche se trouvent plutôt dans un contexte d’échec scolaire. Au sens strict, la situation d’échec scolaire peut-être définie comme la sortie du système « sans qualification ou diplôme180 ». Or, comme nous l’avons constaté, un certain nombre d’élèves se retrouvent dans cette situation. En effet, sur les trente-deux élèves entrant en Seconde vente, seuls dix arriveront en Terminale et plusieurs d’entre eux n’auront pas de solution de substitution lorsqu’ils quitteront le lycée. C’est le cas de Yelin, une élève que nous avions sélectionnée au début de notre travail. Celle-ci a quitté le lycée en fin de Première sans obtenir le BEP181 et sans perspective scolaire ou professionnelle.

Cependant, pour les élèves qui restent dans la section, nous avons vu que la question de l’orientation est une question cruciale. Si elle semble parfois acceptée comme un moindre mal et assumée comme un choix, elle est, en réalité, souvent mal vécue.

179 Op. cit., p. 21.

180 Nous retrouvons cette définition dans les travaux de Péruisset-Fache N., La Logique de l’échec scolaire, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 66.

181 La section prépare bien au baccalauréat professionnel ; cependant, il existe toujours en fin de Première une « certification » dite intermédiaire : le BEP ou le CAP selon les filières. Certains élèves de baccalauréat professionnel quittent le lycée avec ce diplôme.

À l’instar de Nicole Péruisset-Fache, nous pouvons nous interroger sur cette notion d’échec : s’agit-il, en effet, de « celui de l’élève, celui de l’école, celui d’une école, celui que l’école révèle182 ? ». Et Philippe Perrenoud de répondre que l’échec est une création du système lui-même183. Le programme, le curriculum et le découpage des apprentissages sont, pour lui, des facteurs de ségrégation. Fondé sur la culture élitaire et une certaine représentation de ce que les élèves doivent savoir ou savoir-faire à un âge donné, ce système reproduit les inégalités sociales. C’est par l’évaluation que passe cette sélection :

L’évaluation est souvent rapportée à la volonté ou à la nécessité de sélectionner ou d’orienter les élèves. Ce n’est pas le seul enjeu. Elle doit aussi, de jour en jour, informer l’administration, rassurer les parents, mettre les élèves au travail et faire fonctionner le contrat didactique (Chevallard, 1986)184.

Ainsi, la sélection à la sortie du collège favorise-t-elle le « sentiment d’échec ».

En outre, alors que le système se démocratise, que les jeunes ont tous accès à l’école, les familles sont en attente de ce qu’il est convenu d’appeler l’ascenseur social. Or, les sociologues montrent qu’il existe « une corrélation statistique très forte entre échec (ou réussite) scolaire et origine sociale185 ». Le sentiment d’échec vient donc du fait que le système ne tient pas ses promesses. En effet, Pierre Bourdieu explique que la hiérarchie des positions sociales est reproduite et légitimée par l’école par le biais de la transmission du capital culturel. Pour C.

Baudelot, il s’agit d’une nécessité du système capitaliste. Quelles que soient les explications, il est indéniable que l’institution, malgré elle sans doute, favorise les héritiers186. Le système de sélection est un système d’exclusion. C’est parce qu’un élève ne peut pas faire telle filière qu’il est « orienté » dans une filière moins prestigieuse, ou bien comme on le dit parfois de filières de lycée professionnel, dans « une voie de garage ».

Nous pouvons donc sans peine imaginer le rapport à l’école et aux savoirs qu’entretiennent ces élèves exclus de la filière royale. Et nous pouvons imaginer

182 Op. cit., p. 66.

183 Perrenoud P., « La triple fabrication de l’échec scolaire », dans, Psychologie française, n° 34/4, 1989, p. 237-245. Repris dans Pierrehumbert, B. (dir.), L’Échec à l’école : échec de l’école, Paris, Delachaux et Niestlé, 1992, p. 85-102, article en ligne, URL : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1989/1989_05.html.

184 Ibidem, première partie : La fabrication du jugement, Pourquoi l’évaluation ?

185 Charlot B., Bautier E., Rocheux J.-Y., École et savoir dans les banlieues et ailleurs, A. Colin, Paris, 1992, p. 13.

186 Bourdieu P., Passeron J.-C., Les Héritiers. Les étudiants et la culture, op. cit.

aussi les difficultés qui seront les leurs s’ils veulent changer d’orientation lorsque l’on connaît le rapport très étroit de cette orientation et de leur origine sociale.

Ainsi, A. Jellab explique-t-il que le rapport aux savoirs des élèves est de quatre ordres187. Le rapport réflexif caractérise les élèves qui ont de l’intérêt pour les disciplines d’enseignement général. Le rapport intégratif-évolutif aux savoirs concerne les élèves qui dépassent le clivage enseignement professionnel- enseignement général pour leur donner une cohérence, et donc du sens.

Cependant, il précise que ce rapport aux savoirs est présent chez une minorité d’élèves. Plus couramment, nous trouvons des élèves qui entretiennent un rapport pratique aux savoirs. Ceux-ci développent un esprit critique à l’égard des savoirs généraux. Cette catégorie d’élèves est particulièrement bien décrite par Nicole Robine qui montre que la culture populaire, dont est issue la majorité des élèves, est une culture du faire188. Enfin il existe, de manière majoritaire, un rapport désimpliqué aux savoirs. Les élèves de cette catégorie expriment de la difficulté à se poser comme sujets de savoirs et comme acteurs exerçant une emprise sur leur scolarité. Ces élèves sont désenchantés. Ce sont eux particulièrement qui nourrissent ce sentiment d’échec. Ces rapports aux savoirs, nous le voyons, sont à la fois conditionnés par la culture d’origine des élèves qui les disqualifie pour l’enseignement général et renforcés dans cette disqualification par l’orientation en lycée professionnel et le sentiment d’échec qui en découle.

Il est donc nécessaire de s’intéresser maintenant plus précisément aux liens qu’entretiennent ces élèves avec la discipline qui nous intéresse : le français et plus particulièrement avec la lecture.

187 Op. cit., p. 166 à 172.

188 Robine N., « Les lectures des milieux populaires », dans Lebrun M., Rouxel A, Vargas C, op.

cit., p. 51.

B. Liens entre lecture et échec

Deux aspects des liens entre lecture et échec scolaire peuvent être abordés ici. D’une part, la lecture peut être définie comme un instrument de connaissance dans une société basée sur l’écrit : il s’agit là de la lecture documentaire et informative en particulier, celle qui permet l’accès aux savoirs. D’autre part, nous nous intéressons particulièrement, dans cette recherche, à la lecture qui semble

« gratuite », la lecture de fiction. Or, les deux formes de lecture, les deux usages que l’on en fait, sont en interaction. Si la lecture informative est défaillante, la lecture de fiction le sera aussi. En revanche, la réciproque n’est pas mécanique.

Un bon lecteur de textes informatifs ne sera pas forcément grand lecteur de fiction. C’est sur ce lien que nous allons nous arrêter ici.