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L’analyse des réponses à la première enquête confirme ce que beaucoup d’études montrent déjà. Les élèves de lycée professionnel sont, très majoritairement, des enfants d’ouvriers403. Sur ce point, les deux classes sélectionnées ont un profil homogène. Nous avons vu que l’orientation en lycée professionnel est souvent liée à l’organisation du système qui exclut les élèves dont la culture est éloignée de celle de l’école. Ugo Palheta explique en effet que le système s’acquitte de la relégation des élèves « de manière systématiquement inégale selon l’appartenance de classe des élèves en difficulté404». En outre, nous connaissons la force de la reproduction sociale. Or, nous constatons que les élèves de la classe de vente sont issus d’un milieu proche de celui auquel ils postulent. Il y a, en effet, six élèves qui sont enfants de commerçants ou de professions intermédiaires.

En revanche, force est de constater que les élèves de secrétariat n’avouent pas facilement la profession de leurs parents. Or, ce « non-dit » est assez récurrent chez les élèves de lycée professionnel. En effet, si nous examinons les résultats de l’enquête d’Aziz Jellab, nous constatons que les élèves qui ne déclarent pas l’origine sociale de leurs parents sont, pour 47,1%, au lycée professionnel405. Nous faisons donc l’hypothèse d’une méfiance vis-à-vis de ces enquêtes liée à une peur d’être jugés et « étiquetés » définitivement, comme ils le sont déjà dans leur parcours scolaire.

À propos de ce parcours justement, les élèves affirment majoritairement qu’ils ont choisi leur orientation406. Ils ne s’estiment pas en échec scolaire, contrairement à ce que nous avons constaté à propos de l’orientation par

403 Annexe I, B, 2, première année. Notre échantillon confirme cela : la moitié des élèves sont des enfants d’ouvriers.

404 Palheta U., La domination scolaire. Sociologie de l'enseignement professionnel et de son public, Presses Universitaires de France, 2012, p. 61.

405 Op. cit., p. 73.

406 Annexe I, B, 2, première année. La question 2 montre que dix-huit élèves dans chaque classe disent avoir demandé l’orientation en premier vœu.

exclusion407. Si nous comparons la représentation de soi à la réalité de l’orientation, nous pouvons affirmer avec Ugo Palheta qu’il existe une autoéviction408 des classes populaires des filières généralistes. C’est ainsi que nous pouvons expliquer l’absence de références à d’éventuelles difficultés scolaires dans la question qui aborde le choix d’orientation dans la classe de vente et seulement trois dans la classe de secrétariat409. Dans cette dernière d’ailleurs, nous voyons très clairement que la motivation des élèves n’est pas liée directement à un projet professionnel mais plutôt à un désir d’entrer rapidement dans la vie active – pour trois d’entre eux - ou de « réussir ». Dans la classe de vente, c’est davantage le profil attendu des élèves qui semble les motiver. Il y a, en effet, neuf réponses qui touchent aux qualités du vendeur ou à des métiers précis. En outre, ces déclarations montrent que l’essentiel, pour les élèves de vente, est l’obtention du baccalauréat et les poursuites d’études qu’il permet410. L’orientation exprime donc « davantage une rationalisation de leur devenir que la manifestation d’un "projet" auquel ils croient réellement411 ».

Enfin, lorsque nous abordons de front la question des difficultés actuelles en français, la majorité des élèves disent ne pas en avoir et, lorsqu’ils en ont, c’est la langue qui est mise en cause. Or, les questions d’orthographe ou de grammaire sont très largement admises comme un problème récurrent des élèves et étudiants actuels. Nous ne pouvons donc caractériser l’élève de lycée professionnel à partir de ce seul critère. Nous trouverions sans doute des résultats similaires dans une classe de Seconde générale. En revanche, la sélection des élèves se fait davantage sur des difficultés de compréhension fine d’un texte ou de rédaction. Or, ces difficultés ne sont pas conscientes pour beaucoup d’élèves ou bien, pour d’autres, elles sont inavouables. Aussi, lorsque nous abordons l’apprentissage de la lecture, les résultats des deux classes sont-ils comparables : les élèves n’ont pas eu de problèmes dans cet apprentissage, ou bien s’ils en ont eu, ils l’ont oublié. S’ils peuvent avouer qu’ils n’aiment pas lire ou qu’ils n’aiment pas « le français », les

407 Nous avons expliqué ce point de vue dans la première partie, chapitre 2, A, Orientation : déclarations et réalité empirique.

408 Op. cit., p. 64.

409 Annexe I, B, 2, première année, question 3, pour les élèves de secrétariat, dans le premier choix, réponse 1, dans le second choix, réponses 1 et 2. Notons que la question des difficultés scolaires n’intervient pas pour les élèves orientés par dépit.

410 En vente : avoir un baccalauréat ou une poursuite d’études est relevé treize fois, contre deux fois en secrétariat.

411 Jellab A., op. cit., p. 74.

élèves ne peuvent se présenter comme étant en difficulté face à l’écrit. Il est probable que la représentation de leur famille leur permet d’occulter les différences potentielles d’avec d’autres classes sociales. Les codes de l’école, ceux de l’écrit, puisqu’ils ne sont pas intégrés, ne peuvent donc être considérés comme un problème412.

Si les élèves des classes sélectionnées sont exemplaires des profils que nous trouvons en lycée professionnel, nous pensons pourtant faire une place particulière aux genres représentés dans ces classes. Il est en effet admis qu’être fille ou garçon conditionne le rapport au savoir et à la lecture. Cela peut donc avoir un impact non négligeable sur les résultats de notre recherche. Par exemple, la question de l’ambition scolaire, manifestement plus forte en classe de vente, ne se traduit pas par une assiduité dans le travail scolaire. La particularité des élèves de la classe de vente réside dans un refus manifeste de travailler. Les entretiens menés dans les deux classes confirment ce qu'en disent par ailleurs les professeurs. En effet, aucun élève sur les six questionnés ne revoit ses cours avant un devoir. En revanche, les élèves de la classe de secrétariat, essentiellement constituée de filles, disent toutes travailler leurs cours, même « vite fait ». De plus, la qualité de présentation des écrits relevés, lors de l’expérience sur Frankenstein par exemple, montre une vraie différence d'investissement dans le travail de classe. Les élèves de la classe de secrétariat offrent un travail soigné et agréable à regarder, si ce n'est à lire. Les élèves de la classe de vente rendent un travail très mal présenté, sur les feuilles parfois déchirées d'un cahier, réalisé par certains élèves au crayon à papier. Il est indéniable que les classes n'estiment pas du tout le travail scolaire de la même manière. Cependant ne nous y trompons pas, le niveau des élèves est équivalent et les élèves de secrétariat ne font pas preuve d’un comportement exemplaire. Ainsi, le terrain qui nous semble le plus significatif des clivages filles-garçons est-il celui du goût de lire, traditionnellement attribué aux jeunes filles.

412 Cette hypothèse pourrait être confirmée en procédant à une étude comparative des représentations de la difficulté scolaire entre des classes de LP et des classes de LGT. Ces données, croisées aux milieux sociaux représentés dans les échantillons, permettraient d’affiner ce propos.