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Les différences de corpus entre les deux classes

B. Dispositif didactique :

Les deux classes ont donc des éléments de comparaison mais c’est la classe de vente qui dispose d’un aménagement particulier. Or, pour que l’expérience de lecture ait lieu, il faut une rencontre entre les deux pôles que sont le texte et le désir du lecteur335. Dans le cas d’élèves peu enclins à la lecture, ce n’est pas toujours le texte qui fait défaut, même si la lecture est parfois peu investie. Ce qui fait défaut, c’est le désir. Afin de le susciter, nous faisons le choix de convoquer le sujet lecteur. Notre dispositif s’articule donc autour de deux axes : l’écriture qui permet à chacun de réfléchir à sa propre posture de lecteur et l’interaction verbale, les échanges entre pairs ou avec le professeur, qui permettent de partager les lectures singulières des œuvres.

Passer par l’écrit nécessite pourtant un « passage à l’écriture336 » qui n’est pas toujours une évidence pour les élèves, en particulier au lycée professionnel.

C’est pourquoi nous engageons, dans notre dispositif, des actes de dédramatisation de ce passage. Il s’agit d’un détournement de la réception directe des œuvres pour laisser le temps aux élèves de connaître leur professeur et d’avoir confiance en lui, et du passage à l’acte d’écrire qui, lui-même, peut poser problèmes à de nombreux élèves. Ce détournement prend différentes formes mais la principale est l’aspect personnel de la plupart des écrits de réception directe et le passage par l’interaction verbale de la plupart des écrits.

335Nonnenmacher G., « L’expérience de lecture, une expérience liminale ? », dans JOUVE V., (dir.), L’Expérience de lecture, op. cit., p. 406.

336 Nous plagions ici le titre de Delamotte R., Gippet F., Jorro A., Penloup M., Passages à l’écriture. Un défi pour les apprenants et les formateurs, Paris, PUF, 2000.

L’écriture d’invention

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Bénédicte Shawky-Milcent dresse le constat suivant :

Les écrits d’invention, aussi intéressant soient-ils, donnent parfois l’impression que ces jeunes lecteurs en restent à la superficie des textes. Ils s’approprient certes un ressort de la création. Ont-ils vraiment rencontré l’œuvre étudiée, se sont-ils interrogés sur son sens ? Le doute persiste338

Pourtant, nous avons commencé notre recherche par ce type d’activité qui met l’élève au travail sur les œuvres. L’écriture d’invention est en effet, « une écriture mise au service de la lecture »339. L’écriture d’invention permet à l’élève de s’apercevoir qu’il peut s’approprier l’œuvre, pour lui-même. Nous insistons particulièrement sur ce type d’écriture en Seconde. Nous proposons aux élèves, par exemple, de raconter ce qu’ils imaginent de l’histoire de Pauline, héroïne éponyme du roman d’A. Dumas340, après la lecture du premier chapitre. Or, dans ce chapitre, nous savons qu’elle va mourir et que le roman retrace cette lente agonie. Cependant, le lecteur ignore les raisons de cette mort. Les élèves imaginent donc une histoire singulière à cette jeune femme qui leur permet d’élaborer des hypothèses, de forger leurs attentes. Un des objectifs est de leur tendre un piège en suscitant assez de curiosité pour qu’ils lisent volontiers cette œuvre. L’expérience n’est pas, sur ce point et dans ce cas précis, très concluante341. Cependant, cette activité a un autre mérite et non des moindres, il établit pour la classe les règles de la lecture scolaire au lycée. Cette étape est

337 L’écriture d’invention dont il s’agit dans ce travail est proche de celui du troisième sujet du baccalauréat général et technologique. Si l’objectif dans ce cadre est de « tester l’aptitude du candidat à lire et comprendre un texte, à en saisir les enjeux, à percevoir les caractères singuliers de son écriture », dans le cadre de notre recherche, cette écriture permet de faire émerger la singularité des lectures. Comme pour le baccalauréat général, l’élève « doit écrire un texte, en liaison avec celui ou ceux du corpus, et en fonction d’un certain nombre de consignes rendues explicites par le libellé du sujet ». Il peut prendre des formes variées comme l’écriture d’un article, d’une lettre ou bien encore d’une suite de texte. Pour le lycée générale URL : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=57469

338 Shawky-Milcent, op. cit., p. 249.

339 Huyhn J.-A., « Écriture d’invention et identité du sujet lecteur », dans Le Sujet lecteur, op. cit., p. 305.

340 L’expérience a été réinvestie dans un manuel de Seconde sous la direction de Laville Bidadanure F., Français Seconde, Paris, Casteilla, 2011, p. 142. Le sujet exact est formulé ainsi :

« À partir de vos impressions et de ce que vous avez compris, écrivez la suite du chapitre : le narrateur rencontre Alfred de Nerval sur la tombe de Pauline. Celui-ci lui raconte l’histoire de Pauline ».

341 Dans les entretiens qui suivent cette activité, les élèves, s’ils ont « aimé » cette activité d’écriture, ne l’estiment pas moteur de la lecture. Sans doute a-t-elle un rôle dans la lecture effective mais peut-être aussi dans les déceptions des élèves, qui globalement n’ont pas apprécié cet ouvrage.

déterminante pour l’orientation de notre recherche : la liberté de la réception ne peut être entravée, le lecteur a le droit de recevoir l’œuvre comme il l’entend. En effet, la plupart des récits des élèves sont plein d’anachronismes et d’aberrations.

Pourtant, si la réception peut être questionnée, le lecteur peut, à souhait, reconfigurer l’œuvre à sa guise. Le jeu des hypothèses, les attentes face au texte se transformeront sans doute au cours de la lecture ou des travaux de classe, mais la réception première n’est pas censurée. C’est un pari audacieux si la liberté n’est pas restreinte d’entrée de jeu.

Dans notre recherche, ce sont les effets de l’accès à l’imaginaire que nous observons. Comme le souligne Jean-Marie Schaeffer,

loin d’être une excroissance parasitaire d’un rapport au réel qui serait une donnée originaire, l’activité imaginative, donc l’accès à la compétence fictionnelle, est un facteur important dans l’établissement d’une structure épistémique stable, c’est-à-dire dans la distinction entre le moi et la réalité342

Ainsi, l’écriture d’invention donne-t-elle accès à l’élaboration du sens. Si nous avons constaté un certain plaisir des élèves à dire n’importe quoi sur les œuvres, il nous semble qu’il s’agit là d’un moyen d’affirmer une posture de non-lecteur et de montrer « qui l’on est ». Mais ce plaisir s’estompe assez vite au profit d’une vraie discussion sur le sens des textes.

Bien souvent, l’écriture d’invention, sollicitée lors de l’épreuve du BEP mais aussi du baccalauréat général, donne lieu à un protocole normé et sclérosant.

Comme le souligne François Le Goff,

une proposition d’écriture doit être précédée de l’examen préalable d’un ou plusieurs textes littéraires, examen de forme et de procédés littéraires que l’élève est invité à réinvestir dans sa propre écriture encadrée par un type défini de transposition textuelle343

Or, il montre également que le retour réflexif et critique sur les textes d’élèves et les réécritures des textes permettent de placer l’élève dans une posture plus impliquée et plus riche. Aussi, l’écriture d’invention que nous proposons aux élèves est-elle souvent effectuée par le biais d’ateliers d’écriture. Et c’est

342 Schaeffer J.-M., Pourquoi la fiction, Paris, Seuil, 1999.

343 Le Goff F., « Métadiscours en écriture d’invention et mode d’investissement du sujet lecteur », dans Le Sujet lecteur, op. cit., p. 293.

l’interaction entre pairs qui favorise cette prise de distance et l’amélioration des travaux d’élèves et de leurs lectures des textes littéraires. Nous y reviendrons.

En outre, nous avons pratiqué ce que les programmes préconisent pour l’examen du CAP : à savoir l’écriture longue344. Celle-ci consiste en une écriture en trois étapes. La première, celle du premier jet est une écriture spontanée face à la consigne. Le professeur ajuste son cours en fonction des difficultés des élèves.

En somme, il donne des outils de remédiation souvent constitués de lectures de textes littéraires. Le professeur corrige le texte en donnant deux consignes de réécriture. L’élève est alors mis devant ses difficultés mais peut puiser dans le cours les moyens de les résoudre. L’exercice est reconduit une ultime fois si besoin. Dans notre travail, ce type d’exercices, propre à favoriser l’acquisition de compétences d’écriture, est proposé pour permettre aux élèves de prendre conscience des interactions entre les activités de lecture et d’écriture. Il permet également une individualisation des consignes lors de la réécriture et une (re)motivation des élèves qui pensaient parfois, être très faibles en français.

L’écriture d’invention, pratiquée en ateliers, en groupes ou dans un cadre plus classique, est un outil pour que l’élève s’implique dans la lecture et éprouve la situation de l’auteur. Lui-même est perçu par un lecteur, qu’il soit professeur ou camarade. Il peut saisir que son propre texte lui échappe et que « ce qu’il a voulu dire » disparaît au profit de ce que l’autre comprend. C’est ainsi que les travaux de Michel Dabène montrent l’ambivalence du scripteur entre plaisir de s’écrire et non contrôle de la réception345. Les ateliers d’écriture permettent de mettre à jour cette ambivalence et de la dépasser au profit d’une écriture assumée. De cette manière se construit le sujet lecteur-scripteur. Nous reviendrons un peu plus loin sur les ateliers qui sont un élément clé de notre dispositif car l’écriture ne va pas sans interaction pédagogique. Cependant, notre travail s’est également orienté vers un autre type d’écriture plus proche du carnet de lecture et convoquant plus directement la réception des œuvres.

344 Les programmes de CAP préconisent en effet la réécriture qui « consiste à améliorer en permanence son texte en l'enrichissant, en le modifiant, en le révisant et en l'adaptant le plus possible à la commande ». BO n° 8 du 25 février 2010. Elle fait l’objet de la première situation d’évaluation pour l’examen.

345 Dabène M., L’Adulte et l’écriture ; contribution à une didactique de l’écrit en langue maternelle, Bruxelles, De Boeck, 1987, cité dans Delamotte R., Gippet F., Jorro A., Penloup M., op. cit., p. 35.