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aménagement du territoire

3. D EUX SENS DU CONCEPT DE L ’ AUTO ORGANISATION

Derrière le concept d’auto-organisation, deux sens peuvent être envisagés, notamment dans les recherches en aménagement du territoire. Comme le développe Rauws (2016), le terme « auto » peut-être interprété de deux manières. Premièrement, il peut désigner l’émergence spontanée d’une nouvelle structure en dehors d’interactions d’agents locaux. Deuxièmement, le terme « auto » peut être interprété comme le développement d’une structure dans laquelle les citoyens s'organisent délibérément pour réaliser une ambition collective. Il nous semble important de distinguer les deux sens (spontané ou

intentionnel). En effet, d’un côté, l’ambition collective est absente et, de l’autre, il y a un réel souhait de collaboration.

15 Texte original : « het opkomen en ontstaan van initiatieven die hun oorsprong vinden in

verbindingen binnen de maatschappij, die los staan van overheid en andere reguliere instanties en daar pas in een later stadium eventueel verbindingen mee aan gaan » (Huygen et al., 2012, p.12)

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3.1. L’auto-organisation spontanée

Si le terme auto-organisation désigne la spontanéité, cela signifie que l’émergence d’une nouvelle configuration spatiale est purement le résultat d’actions individuelles. Il y a une absence de coordination et une indépendance des actions. Bien souvent, ces actions sont le résultat d’un élément déclencheur et c’est l’accumulation des actions individuelles qui fait émerger une nouvelle structure. Ces mouvements d’auto-organisation spontanée sont souvent imprévisibles.

Cette notion est similaire à la vision des sciences exactes qui voient le système comme complexe. Nos villes évolueraient aussi de manière spontanée, non-linéaire et imprévisible vers un nouvel équilibre (ex : Bak, 1996 ; Bonabeau et al., 1997 ; Heylighen, 2008 ; Nicolis & Prigogine, 1977). Dans ce cadre, le concept d’auto-organisation peut être défini comme « l’émergence spontanée d’une structure globale à partir d’interactions locales » [traduction personnelle]16 (Rauws, 2016, p. 342).

Quatre caractéristiques sont essentielles pour distinguer les deux perceptions du concept d’auto-organisation. L’auto-organisation « spontanée » se caractérise par ces quatre caractéristiques (Rauws, 2016) :

 des actions entreprises individuellement par des acteurs qui font évoluer la situation vers un résultat collectif sans qu’il n’y ait une coordination centrale ou un contrôle extérieur.

 des actions qui sont entreprises sur la base d’intentions individuelles Un acteur peut être influencé par les actions des autres mais il n’y a pas pour autant une intention collective.

 un ensemble non-coordonné d’actions entreprises qui résulte de la transformation du système urbain. Si, au niveau des actions, il y a une indépendance, à l’échelle du système, une reconfiguration émerge.

 l’émergence du nouveau système qui est difficile, voire impossible, à prédire. Il n’y a pas de cause directe entre la transformation du système et le comportement des acteurs qui commencent à entreprendre des actions.

Pour illustrer ces propos, nous prenons l’exemple de flux piétonniers (Helbing et al., 2001) où chaque piéton choisit son itinéraire indépendamment des autres, même si sa trajectoire peut être influencée par celles des autres. Les piétons vont éviter la collision mais leur décision reste personnelle. Néanmoins, à une échelle plus globale, une structure peut se dégager de l’ensemble de ces trajectoires. En l’absence d’ambition collective, des lignes de désir peuvent être marquées sur le terrain (Figure 10). Une ligne de désir étant

16 Texte original : « Self-organisation in complexity sciences includes the spontaneous formation

of patterns or structures at a global level out of the interactions between agents at the local level » (Rauws, 2016, p. 342).

57 « la courbure optimale du tracé qu’un piéton laisse dans son sillage lorsqu’il est totalement libre de son mouvement » (Lavadinho, 2008, p. 62).

Figure 10 : Ligne de désir

Source : Wetwebwork, 11 septembre 2008. Desire path. Image en ligne sur Flikr. Accès en septembre 2018

Un autre exemple que met en avant Portugali (2006) pour illustrer le fait qu’un comportement individuel puisse avoir des impacts à l’échelle de la structure correspond à l’utilisation des balcons à Tel-Aviv. Traditionnellement, les habitations de cette ville ont de nombreux balcons pour profiter du soleil. À la fin des années 50, un résident décide de fermer son balcon pour agrandir la surface de son habitation. Certains de ses voisins trouvent l’idée ingénieuse et ils reproduisent alors la même modification. En conséquence, il n’a pas fallu longtemps pour que la majorité des balcons de la ville soient refermés (Figure 11, image de droite). La municipalité décida alors de taxer ces balcons comme si c’était une pièce classique. Durant les années qui suivirent, plus aucun balcon ne fut construit à Tel-Aviv, comme dans le reste d’Israël (Figure 11, image du centre). Avec l’arrivée de l’architecture postmoderne, les balcons « ouverts » sont à nouveau appréciés et les architectes recommencent à concevoir des appartements disposant de ce type de balcon comme un élément d’agrément. Les urbanistes de la ville acceptèrent le retour de ces balcons si ceux-ci étaient conçus de manière à ne pas être refermés par la suite. Il en résulte des balcons bien particuliers typiques à cette ville (Figure 11, image de gauche).

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Figure 11 : Evolution des balcons à Tel-Aviv

Source : Portugali, 2011, p. 287

3.2. L’auto-organisation intentionnelle appelée auto-gouvernance

Le second sens que recouvre le terme d’auto-organisation est celui du principe du « par soi-même ». L’expression anglaise, « do-it-yourself », est généralement utilisée. Ce qui est essentiel dans ce sens, c’est l’intention collective qui est à la base de la nouvelle structure. Les acteurs participant à l’émergence de la structure se coordonnent pour atteindre l’objectif collectif, et ce, tout en restant indépendants. C’est ce sens qui est le plus fréquemment utilisé dans le domaine de l’aménagement du territoire (Rauws, 2016). Dans ce cadre, l’auto-organisation peut être nommée auto-gouvernance. Dans la suite du manuscrit, c’est ce sens du concept d’auto-organisation que nous analysons et, afin d’éviter la confusion avec l’auto-organisation spontanée, nous mentionnerons l’auto- gouvernance intentionnelle par le terme d’auto-gouvernance.

L’auto-gouvernance se distingue des autres types de gouvernance par l’absence d’une structure gouvernementale dans l’initiative et dans la prise de décision. Ce sont, soit des citoyens, soit des institutions non-gouvernementales qui sont à l’initiative d’une nouvelle structure.

Il est possible de hiérarchiser la gouvernance en fonction de l’implication des institutions gouvernementales dans la prise de décision. Dans ce cadre, une typologie (Figure 12) a été mise en avant par Kooiman (2003) et Arnouts et van der Zouwen (2012). Elle

59 distingue quatre grands types de gouvernance sur la base du degré d’implication des acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux dans le processus de décision.

Figure 12 : Le continuum de la gouvernance

Source : Arnouts & van der Zouwen, 2012, p. 45

Les quatre types de gouvernance sont les suivants :

 La gouvernance hiérarchique : la gouvernance est uniquement du domaine du gouvernement. Les acteurs non-gouvernementaux ont un rôle accessoire. Le gouvernement contrôle les prises de décision.

 La co-gouvernance : la gouvernance est un domaine partagé entre les acteurs non-gouvernementaux et gouvernementaux. La co-gouvernance peut être subdivisée en deux sous-catégories : la co-gouvernance fermée et la co- gouvernance ouverte. La co-gouvernance fermée est caractérisée par une structure beaucoup plus restrictive et avec une forme fixée. L’ouverte est nettement plus flexible et autonome.

 L’auto-gouvernance : les citoyens et les acteurs non-gouvernementaux prédominent tandis que les acteurs gouvernementaux restent à distance. Cependant, ils peuvent déterminer les conditions dans lesquelles le développement de la nouvelle structure se produit. Cela nécessite une coordination des acteurs. De plus, les individus ont un large degré de liberté dans les prises de décision.

L’auto-gouvernance se distingue de l’auto-organisation spontanée par quatre caractéristiques (Rauws, 2016) :

 Les actions entreprises par chacun des acteurs sont guidées par une forme de

coordination interne. Cette coordination (voir point 4.1 pour la définition) peut être organisée de différentes manières (hiérarchisée, processus participatif, échanges informels…)

 Les acteurs doivent coordonner leurs actions avec une intention collective. L’objectif est donc de concrétiser une ambition commune.

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 La transformation du système résulte d’une action collective délibérée pour atteindre un objectif commun. Les acteurs tentent délibérément d'établir un changement dans la structure.

 La transformation est, à un certain point, prévisible. Elle est le résultat d’une volonté collective et d’une mise en place de coordination. Le degré de prévisibilité dépend de facteurs comme la loyauté des acteurs à l’ambition collective, la force de la coordination et l’impact des facteurs perturbateurs extérieurs.

Pour illustrer l’auto-gouvernance, de nombreux exemples peuvent être trouvés en matière de gestion forestière, de pêche ou de coopératives agricoles (Ostrom, 2005). Dans le cadre de l’aménagement du territoire, de nombreux exemples existent aussi (Hasanov & Beaumont, 2016 ; Horelli et al., 2015 ; Kuitert, 2015 ; Mercenier, 2015 ; Rauws, 2016). Un exemple d’initiative citoyenne est le CanalPark à Bruxelles (Porte de Ninove) (Mercenier, 2015). Il a été développé grâce à des habitants du quartier qui se sont coordonnés pour aménager un parc temporaire afin d’améliorer le cadre de vie. En 2014, le collectif a organisé une collecte de fonds pour financer son aménagement. Les habitants ont installé sur base volontaire des toboggans, un module d’escalade, des bacs contenant des arbres fruitiers…

4. DEUX ASPECTS DE L’AUTO-GOUVERNANCE : LA