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AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

7. L ES CADRES THÉORIQUES : L ’ AUTO GOUVERNANCE DANS LA NOUVELLE ÉCONOMIE INSTITUTIONNELLE

1.1. Introduction à cette méthode

L’économie expérimentale « consiste à reconstituer de manière artificielle en laboratoire une situation économique dans le but de répondre à une question particulière » (Serra, 2012a, p. 24). Les deux aspects primordiaux de l’économie expérimentale sont le contrôle

et la réplication (Serra, 2012a). Par contrôle, il est entendu que la majorité des facteurs qui influencent le comportement sont tenus constants et un seul facteur, le facteur d’intérêt, est modifié dans le temps (Croson & Gächter, 2010). Par ce contrôle, l’expérimentateur maitrise les variables en jeu. La réplication, elle, est la possibilité de reproduire l’expérience par de nouveaux expérimentateurs. Répliquer une expérience permet de tester la robustesse des résultats (Serra, 2012a).

Au cours des dernières années, l’économie expérimentale est devenue un champ de recherche important en économie. On date sa création dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale (Serra, 2012b). Même si des travaux antérieurs ont été réalisés dans le domaine, la première expérience économique a été réalisée par Chamberlin en 1948. Pour illustrer le dysfonctionnement du système de marchés concurrentiels, il reproduit avec ses étudiants de Harvard ce marché en classe, les étudiants jouant soit le rôle d’acheteur soit de de vendeur d’un bien spécifique (Serra, 2012b).

Ce n’est que dans les années 1980 que l’économie expérimentale connait un véritable essor (le nombre d’expériences et le nombre d’articles augmentent fortement) (Serra, 2012b). La discipline est alors récompensée par l’attribution du prix Nobel d’économie à Vermon Smith (économiste de l’Université George Mason, États-Unis) et Daniel Kahneman (psychologue de l’Université de Princeton, États-Unis). Vermon L. Smith est l’auteur de l’article faisant référence dans ce domaine (Smith, 1976). Les principes fondateurs ainsi qu’une certaine terminologie y sont présentés.

Les expériences réalisées en économie expérimentale sont des expériences qui sont motivées par des questions économiques. Elles sont constituées d’un environnement, d’une institution et d’un résultat (Croson & Gächter, 2010 ; Serra, 2012a). L’environnement (« information condition ») est l’ensemble des informations dont le participant dispose et qui décrivent la situation. L’environnement comprend les circonstances dans lesquelles les décisions doivent être prises et les caractéristiques qui les composent (préférences, la dotation du joueur, les coûts des stratégies…). L’institution (« choice sets ») est l’ensemble des décisions que le participant peut prendre et les règles qui les gouvernent. Enfin, le résultat est la transposition de la décision en gain. En effet, en économie expérimentale, il est prévu un incitant financier qui dépend des résultats des participants.

87 Les expériences réalisées en économie expérimentale sont effectuées afin d’étudier les comportements d’agents lors de la prise de décisions économiques. En suivant cette démarche, les économistes poursuivent trois objectifs (Roth, 1988) :

 Tester les prédictions théoriques (« Speaking to theorists ») : l’économie expérimentale sert à tester les théories économiques existantes. Les expériences permettent de comparer les prédictions de modèles économiques avec les résultats obtenus lors d’expérimentations. Si les résultats confirment la théorie, il peut être envisagé de modifier certains paramètres de l’expérience pour identifier la robustesse du modèle (Croson & Gächter, 2010).

 Explorer des situations peu ou pas théorisées (« Searching facts ») : l’économie expérimentale peut être précurseur de la théorie. Elle peut mettre en évidence des comportements non encore identifiés. Cela permet de construire de nouvelles théories. Par exemple, un grand nombre d’expériences ont démontré que les individus ne cherchaient pas à maximiser leurs propres gains mais étaient attachés à une certaine équité (Croson & Gächter, 2010).

 Aider à la décision (« Whispering in the ears of princes »): l’économie expérimentale sert à tester l’effet d’un changement de règles ou d’un changement institutionnel. Cette méthode est utilisée pour orienter les politiques publiques. On l’utilise notamment pour étudier les effets d’incitants fiscaux.

Historiquement, l’économie expérimentale avait pour objectif de valider empiriquement les théories économiques. Ce n’est que dans un second temps que l’objectif d’aide à la décision est apparu. En effet, l’économie expérimentale est issue de différentes branches économiques dont, principalement, la théorie des jeux. D’ailleurs, les expériences sont souvent appelées des jeux. « La théorie des jeux est la théorie mathématique des comportements stratégiques » (Hertwig & Ortmann, 2003). Elle étudie les interactions entre les joueurs et permet de comprendre le processus de prise de décision et d’expliquer le comportement stratégique des joueurs. Cependant, cette théorie, comme la majorité des théories économiques classiques, repose, notamment, sur l’hypothèse de rationalité des individus : les décisions des individus seraient prises pour maximiser leur utilité. Cependant, dans les faits, les agents sont affectés par de nombreux biais cognitifs et émotionnels qui les amènent à s’écarter des stratégies les plus rationnelles. L’économie expérimentale critique cette vision traditionnelle de l’homo œconomicus et permet de mettre en évidence l’importance que les sujets accordent notamment à l’équité des gains et à la réciprocité des échanges.

Dans la section suivante, nous allons présenter les aspects méthodologiques qui nous semblent importants pour la compréhension de l’économie expérimentale. En effet, même si la notion d’expérience est largement répandue, celles réalisées en économie expérimentale doivent suivre un protocole bien précis. Nous compléterons cette présentation par un exemple de l’utilisation de l’économie expérimentale afin de montrer

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l’importance des diversités culturelles et l’écart des résultats avec les théories économiques. Cet exemple est le résultat des travaux de recherche menés par le collectif Henrich et al. (2001).

1.2. La méthodologie

La méthodologie est largement inspirée des expériences réalisées en psychologie. Cependant, certains principes les différencient. En effet, les expériences en économie sont réalisées afin de répondre à des théories économiques, ce qui implique des spécificités méthodologiques (Croson, 2005 ; Serra, 2012a). Il en va de même pour les expériences psychologiques visant des théories psychologiques. Nous allons discuter de ces spécificités en mettant l’accent sur les aspects les plus importants pour le domaine de l’économie.

1.2.1. Le rôle des incitations

Généralement, les économistes utilisent des incitants financiers. Les expérimentateurs récompensent les participants avec des gains monétaires. Ces gains sont dépendants des choix faits par le participant et du résultat qu’ils ont obtenu à l’expérience. Dans les instructions de l’expérimentation, les gains que le joueur pourrait gagner sont présentés. En psychologie, s’il y a rémunération, le montant est forfaitaire et ne dépend pas des choix opérés par le participant.

Puisque l’objectif de ces expérimentations est de tester des comportements économiques, il est primordial pour les économistes que le joueur révèle ce qu’il ferait et non ce qu’il vaudrait faire (Croson, 2005). Pour donner un exemple, dans le jeu nommé le « public good game » (voir la sous-section 2.3.4 du chapitre III), qui est un jeu de coopération, pour les économistes, le résultat serait différent s’il n’y avait pas d’incitant financier. Le jeu consiste à demander à plusieurs individus de contribuer à l’enrichissement d’un pot commun. Les joueurs investissent individuellement dans ce pot commun mais les retombées sont partagées collectivement. La stratégie la plus prolifique est de ne rien investir car les revenus seront plus importants pour cet individu que s’il avait investi. La théorie économique prédit donc la défection. Cependant, si les joueurs n’ont pas d’incitants, il est nettement plus probable qu’ils investissent et donc coopèrent (Serra, 2012a).

Les économistes utilisent ces incitants financiers pour au moins trois autres raisons (Hertwig & Ortmann, 2001). Les incitants financiers sont plus faciles à jauger que d’autres alternatives. De plus, ces alternatives peuvent être évaluées très différemment selon les participants. Deuxièmement, pour l’argent, la majorité des individus est intéressée par des gains les plus importants possible. En effet, il n’y a pas de satiété au cours de son accumulation, contrairement à d’autres récompenses (pensons par exemple

89 à de la nourriture). Enfin, la présence d’incitants financiers réduit la variabilité des performances. En l’absence d’incitant, il est plus fréquent d’observer des plus larges déviations (Davis & Holt, 1993).

La difficulté avec ces incitants financiers est de définir les montants attribuables aux participants. En effet, ils doivent être suffisamment significatifs pour compenser le temps investi dans la participation à l’expérience (équivalant au salaire des participants) et l’effort cognitif (Croson, 2005). Nous reviendrons sur cette considération dans la partie suivante (voir la sous-section 2.3.6 du chapitre III).

1.2.2. Les sujets

Dans la majorité des expériences, les participants sont des étudiants. Ce choix peut paraitre surprenant mais il est justifié par trois raisons principales. Premièrement, les étudiants, contrairement aux professionnels, sont facilement accessibles. Deuxièmement, comme les expériences visent à étudier des théories économiques, elles ne sont pas censées être la cible d’un public particulier. Cependant, dans certains cas, surtout lorsqu’il s’agit de tester de nouvelles politiques, il est préférable de solliciter des professionnels comme participants, ceux-ci étant davantage confrontés que les étudiants à la situation expérimentée. Guala (2005) donne par exemple le cas d’expériences sur l’évasion fiscale. Un étudiant n’a probablement jamais rempli de déclaration fiscale de sa vie. Enfin, en lien avec le point précédent (1.2.1), les incitants financiers peuvent être plus réduits. Si les participants sont des professionnels, les incitants financiers devront être plus importants. L’investissement en temps étant plus couteux pour un professionnel, ils pourraient être peu motivés si les incitants financiers sont réduits. Enfin, si l’on réalise des expériences avec des étudiants, il faut veiller à leur formation. Les étudiants provenant des écoles de commerces et d’économie ont tendance à davantage se comporter comme les standards des théories économiques (Guala, 2005).

Néanmoins, le choix d’engager des étudiants peut être remis en cause. En effet, de nombreux scientifiques voient cet usage comme un obstacle à la validité externe des résultats et à la possibilité de les généraliser à l'ensemble de la population (Druckman & Kam, 2009). Afin de vérifier si les étudiants vont influencer la validité externe des expériences, trois considérations sont à prendre compte (Druckman & Kam, 2009). Premièrement, l’agenda de la recherche doit être examiné. En effet, si la recherche a déjà eu lieu avec des étudiants, le recours à des professionnels est plus intéressant. Ensuite, le contexte institutionnel donné dans l’expérience, la période (ex : les évènements externes) et l’opérationnalisation de l’expérience sont des composantes qui peuvent avoir des effets plus significatifs sur les résultats que le type de participants. Enfin, l’objectif de la recherche (voir les trois objectifs de Roth (1988)) va influencer le type de participants. Si l’objectif est de tester ou de vérifier une théorie plutôt que de généraliser les résultats, la participation d’étudiants est moins problématique.

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L’engagement de professionnels comme sujets peut aussi avoir des effets pervers. Ils ont comme bagage leurs précédentes expériences et le cadre institutionnel dans lequel ils travaillent. Leurs prises de décision sont donc fortement affectées par leur vécu et ils peuvent prendre des décisions fondées sur une compréhension de la politique qui est proposée (Croson, 2002).

1.2.3. La neutralité du contexte

En économie expérimentale, les expériences sont généralement décontextualisées (context-free). Il y a trois raisons qui expliquent ce choix (Croson, 2005 ; Hertwig & Ortmann, 2003 ; Serra, 2012b).

Premièrement, les théories testées sont supposées être générales et ne pas s’appliquer uniquement dans un contexte particulier. Deuxièmement, en contextualisant, on ajoute de la variance aux résultats. En effet, les participants jugent les situations différemment. En reprenant l’exemple du jeu du « public good game », s’il est précisé que l’argent investi dans le bien public servira dans l’énergie éolienne, il est fort probable que certains participants investissent davantage car ils évaluent positivement cette énergie alors que d’autres, qui l’évaluent négativement, diminueraient leur participation. En contextualisant, des « bruits » s’ajoutent donc aux données et ils vont influencer la variance des résultats. Troisièmement, la contextualisation peut entrainer des biais. Par exemple, le participant voudrait donner de lui une image positive.

Cependant, il est très difficile de se détacher complètement d’un contexte et la contextualisation accroit la validité externe des résultats (Croson, 2005). La validité externe est la généralisation des comportements internes à l’expérience en dehors du laboratoire.

1.2.4. Le refus de la duperie

En psychologie, il est courant que, pour des raisons nécessaires à l’expérimentation, l’expérimentateur leurre le participant sur le réel objectif de l’expérience. Par contre, en économie expérimentale, une règle assez stricte est que les chercheurs ne peuvent pas tromper les participants en donnant de fausses informations. La duperie concerne l’ensemble du processus. Il ne peut y avoir de tromperie concernant l’objectif de l’expérimentation, les paiements que les joueurs pourraient percevoir, les informations concernant les autres joueurs. La duperie pourrait remettre en cause la validité des résultats car les décisions prises par le joueur ne sont pas faites dans le contexte approprié. De plus, les économistes estiment que si les participants sont assujettis à des duperies, ils pourraient à l’avenir ne plus faire confiance aux expérimentateurs. Cela pourrait entrainer un changement de comportement lors de futures expériences.

91 Cependant, le refus de la duperie ne concerne pas l’omission. En effet, révéler l‘objectif de l’expérimentation peut entrainer des déviances sur le comportement. Dans ces cas-là, l’omission est donc acceptée par les économistes.

1.2.5. La préservation de l'anonymat

En économie expérimentale, il est souvent préconisé de réaliser des expérimentations en double anonymat. L’anonymat doit être préservé par rapport aux autres participants mais aussi vis-à-vis de l’expérimentateur.

L’anonymat par rapport aux autres participants est nécessaire afin d’éviter la contagion sociale (Serra, 2012a). D’ailleurs, les laboratoires où se déroulent les expérimentations sont conçus afin de limiter les échanges qui se font sur ordinateur. Par un terminal, les participants peuvent échanger en instantané avec les autres participants, si le jeu l’autorise.

L’anonymat entre les sujets et l’expérimentateur est nécessaire afin d’éviter les effets de demande induite (« demand effects ») (Zizzo, 2009). Ces effets se « réfèrent aux changements de comportements des sujets induits par des signaux sur ce que constitue le comportement approprié » [traduction personnelle] 23 (Zizzo, 2009, p. 75). Il y a les

effets sociaux qui sont dus, entre autres, à la pression sociale et au conformisme. Ils peuvent être induits par la relation d’autorité entre l’expérimentateur et les sujets. Les participants peuvent avoir envie de bien faire et ils dévient alors de leurs stratégies réelles. Il y a aussi les effets purement cognitifs qui sont liés à un manquement implicite ou explicite dans les instructions. Pour ce faire, le fait de rassembler tous les participants dans une même pièce permet de s’assurer que tous disposent de la même information. 1.2.6. L’inférence scientifique

Nous terminons cette section par un dernier aspect important de l’économie expérimentale : l’inférence scientifique. Il s’agit d’établir « une relation de causalité entre diverses variables dans le laboratoire (problème de validité interne), puis de généraliser ce résultat hors du laboratoire (problème de validité externe) » (Serra, 2012a, p. 35). Pour s’assurer de la validité interne, il faut que le protocole de l’expérimentation soit fiable pour que les comportements des participants soient expliqués par les traitements réalisés par l’expérimentateur. La validité interne est complétée par la validité externe. La validité externe est la généralisation des comportements internes à l’expérience en dehors du laboratoire.

23Texte original : « Refer to changes in behavior by experimental subjects due to cues about what

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