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Chapitre III La Mémoire Sémantique

1. L’organisation des connaissances en mémoire sémantique

1.3. Les scripts

Outre les organisations portant sur les concepts, il existe également des organisations, appelées schémas ou scripts, qui reposent sur les expériences passées de scènes ou d’évènements. Certains auteurs (Ross & Murphy, 1999) les considèrent comme faisant partie des relations thématiques. Cependant, ces organisations possèdent une structure temporelle primordiale qui les distingue d’une relation thématique classique comme « chien – niche », et les éléments qu’elles comprennent sont des actions plutôt que des mots. Nous les considérons donc ici séparément.

Le script, selon Schank et Abelson (1977), représente une structure globale ordonnant des évènements et des états dans des séquences temporelles, spatiales et causales. Le script est donc toujours arrangé en forme de progression. Il englobe l’action, mais aussi les objets, les partenaires sociaux et les buts de la séquence évènementielle. En d’autres termes, les scripts sont des plans stabilisés, routiniers permettant de spécifier les actions et les rôles des participants ; ils représentent les évènements sociaux communément vécus. « Aller chez le médecin » est un exemple de script : il comprend un ensemble stéréotypé d’évènements, d’actions et de rôles. Dans ce type d’organisation, il n’y a pas d’appartenance inclusive. Les relations entre les éléments sont fondées non pas sur la possession de propriétés communes, ni sur des ressemblances, mais sur des contiguïtés spatiales, temporelles et fonctionnelles. L’intérêt des scripts est qu’ils nous permettent de combler les lacunes concernant des détails qui ne sont pas présents dans un texte, mais que nous pouvons inférer. Par exemple, la phrase « nous avons pris du poulet au restaurant » suppose d’être entré dans le restaurant, qu’une place nous a été indiquée, et ainsi de suite. Ces scripts nous permettent également de comprendre le discours, de prédire ce qui va arriver dans le futur, e t de se comporter de façon adaptée dans des situations sociales données.

L’existence de ces scripts en MLT est justifiée expérimentalement : Bower, Black et Turner (1979) ont demandé à des participants de donner un compte-rendu d’activités telles qu’aller au restaurant, et ont montré que les rapports étaient compatibles avec les scripts postulés par Schank et Abelson (1977). Ils ont introduit des scripts dans des récits à mémoriser, et ont observé au rappel les erreurs prédites par le modèle de Schank et Abelson (1977) : les participants se rappelaient à tort des informations qui n’avaient pas été explicitement énoncées mais qui correspondaient au script, et lorsqu’un passage du texte présentait des détails selon une séquence qui ne concordait pas avec le script, les sujets transformaient cette séquence de façon à la faire correspondre à l’ordre du script. De

nombreuses autres études expérimentales confirment que les individus possèdent des connaissances ayant trait à la succession des évènements. Les recherches de Galambos (1983) et de Jagot (1996) montrent qu’il existe un large consensus entre les participants lorsqu’il est question de juger de la position des actions dans le déroulement d’une activité. Enfin, une étude de Barsalou et Sewell (1985), portant sur une tâche de production en temps limité, montre que les performances sont meilleures lorsque la consigne est d’énumérer les actions de script dans l’ordre, du premier au dernier. Lorsque la production doit se faire par ordre décroissant d’importance, le nombre d’actions énumérées est beaucoup plus faible.

Ce concept de script, introduit par Schank (1975), représente les schémas contenant les connaissances concernant les activités sociales. Mais cette notion de schéma est beaucoup plus large. Selon Bartlett (1932), le schéma est une structure organisée qui intègre nos connaissances et nos attentes relatives à un aspect quelconque du monde. En d’autres termes, il représente un modèle d’une partie de notre environnement et de notre expérience. L’hypothèse de leur existence en MLT date donc du début du XXème siècle avec les psychologues Gestaltistes : Bartlett (1932) a montré que les participants se rappellent un matériel nouveau en fonction des structures déjà existantes en mémoire, qu’il a appelées « schémas ». Il a présenté un matériel structuré mais non familier à des participants, par exemple un conte indien, et lors du rappel, il a observé que ces participants déformaient l’histoire : ils omettaient les éléments qui ne correspondaient pas à leurs attentes ou à leurs schémas, et ils altéraient d’autres éléments de façon à les rendre compatibles avec leurs connaissances. Le fait que la mémoire sémantique contienne des schémas, c’est-à-dire des structures plus étendues que les concepts élémentaires impliqués dans les systèmes sémantiques présentés plus haut (Collins & Quillian, 1969, Collins & Loftus, 1975), est devenu de plus en plus évident dans les années 1970. Plusieurs auteurs ont ainsi insisté sur l’importance de ces structures de connaissances, qui dépassent le niveau du concept isolé (Minsky, 1975 ; Rumelhart, 1975 ; Schank, 1975).

Alors que Schank et Abelson (1977) se sont intéressés aux scripts, Rumelhart (1975) s’est intéressé à la structure que pouvaient posséder les textes, et plus particulièrement les contes populaires traditionnels, en utilisant ce qu’il a appelé une « grammaire d’histoires ». La structure d’une histoire nécessite la production d’une série de règles. C’est cette série de règles qui représente la grammaire d’histoire. Thorndyke (1977) montre d’ailleurs qu’une histoire est mieux rappelée si elle est structurée. L’absence de liens causaux et temporels dans une histoire rend le rappel très pauvre. Il observe également que les participants mettent

l’accent sur le contenu structurel de l’histoire (structure : relations temporelles, spatiales) plutôt que sur le contenu spécifique.

On peut donc admettre, en conclusion, que la mémoire sémantique comprend, en plus des réseaux conceptuels basés sur les relations d’inclusion et les relations thématiques, un système composé de schémas, ou scripts. Ces schémas constituent un ensemble structuré de connaissances relatives à une situation, à une séquence d’événements (« aller chez le dentiste » par exemple). Ils reflètent les relations causales entre les éléments de l’environnement. Ils sont une séquence d’évènements attendus, qui se produit selon une succession logique ou chronologique, et ils activent un ensemble d’inférences.

2. Le rôle de l’organisation des connaissances sémantiques dans la