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Le modèle interactif de R C Martin, Lesch et Bartha (1999)

Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

2. L’effet des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’information

2.2. Les conceptions théoriques de la mémoire à court terme

2.2.2. Les modèles à composantes multiples

2.2.2.2. Le modèle interactif de R C Martin, Lesch et Bartha (1999)

Martin, Lesch et Bartha (1999). Ces auteurs proposent un modèle neurocomputationnel pour interpréter certaines données relatives aux effets sémantiques en MCT. Tout comme le modèle de N. Martin et Saffran (1992), celui-ci s’inspire du modèle de Dell (1986) : il est basé sur le langage et suggère une forte relation entre les représentations et processus langagiers et ceux impliqués dans la MCT. Comme N. Martin et Saffran (1992), les auteurs considèrent trois niveaux de représentations langagières (phonologique, lexical et sémantique). Cependant, à la différence du modèle de N. Martin et Saffran (1992), R. C. Martin, Lesch et Bartha (1999) considèrent des systèmes spécifiques dédiés au stockage en MCT. Pour R. C. Martin, Lesch et Bartha (1999), il existe différents systèmes de stockage à court terme, appelé buffers : le buffer phonologique d’entrée, le buffer phonologique de sortie et le buffer lexico-sémantique. Ils suggèrent donc l’existence de composantes phonologiques et sémantiques séparées en MCT : ils considèrent une MCT phonologique, qui stocke les traces phonologiques dégradées, et une MCT sémantique (ou buffer sémantique), qui stocke les représentations lexico-sémantiques des items (signification des mots individuels, non intégrés). Ces buffers ont des connexions bidirectionnelles et spécifiques avec les représentations à long terme : le buffer phonologique d’entrée est relié aux représentations phonologiques d’entrée, le buffer phonologique de sortie est relié aux représentations phonologiques de sortie et le buffer lexico-sémantique aux représentations lexicales (cf. Figure 6).

nœuds phonologiques de sortie nœuds

phonologiques d’entrée

buffer phonologique d’entrée buffer phonologique de sortie

Figure 6. Modèle interactif de R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999)

Selon ce modèle, dans les tâches de MCT, les représentations langagières vont interagir avec les traces stockées temporairement dans les buffers afin de soutenir les traces qui se dégradent. Plus précisément, les auteurs supposent que tous les niveaux de représentations en MCT dépendent de l’activation des représentations à long terme, que ces dernières sont activées à l’encodage et que cette activation est maintenue durant la rétention. Les représentations à long terme vont soutenir les traces qui se dégradent en MCT. Elles interviennent donc de la même façon que le supposent les modèles basés sur la rédintégration. Cependant, contrairement à ces modèles (cf. partie suivante), les auteurs supposent que cette « rédintégration » opère tout au long de la tâche de MCT, dès l’encodage, et pas seulement à la récupération.

Ce modèle considère donc, comme celui de N. Martin et Saffran (1992), qu’un déficit à un niveau de représentation donné (phonologique ou lexico-sémantique) va affecter le maintien des informations dans le buffer correspondant, car ces représentations à long terme ne pourront plus soutenir les traces du buffer.

La raison pour laquelle R. C. Martin, Lesch et Bartha (1999) considèrent des buffers, en plus des différents niveaux de représentations langagières, est que ces systèmes permettent de stocker l’ordre sériel des items. Cette rétention de l’ordre apparaît difficilement explicable par un modèle unitaire qui ne conçoit que les représentations langagières et leurs activations, comme le supposent N. Martin et Saffran (1992), surtout dans le cas où un item est répété

S1 S2 S3 S4 I I I I L1 L2 L3 L4 buffer lexico-sémantique Nœuds sémantiques chien chat j a j a P1 P2 P3 P4 P5 P6 P7 P8 P9 … P1 P2 P3 P4 P5 P6 P7 P8 P9 …

dans une même liste. R. C. Martin, Lesch et Bartha (1999) considèrent que les buffers contiennent des emplacements qui permettent de représenter les différentes informations en fonction de leur ordre d’apparition et encodent ainsi leur position sérielle (premier item dans l’emplacement qui code pour la position 1, …).

L’existence de ces buffers est principalement appuyée par des données neuropsychologiques. Romani et R. C. Martin (1999), par exemple, rapportent l’étude d’un patient, AB, qui présente un déficit spécifique dans le maintien de l’information sémantique à court terme : alors que son empan de non-mots est préservé, son empan de mots est déficitaire. Les auteurs considèrent qu’il a une atteinte du « buffer sémantique », mais que le « buffer phonologique » est préservé. L’existence de ces buffers est également appuyée par une étude d’Haarmann et Usher (2001). Une de leurs expériences porte sur des listes de six paires de mots associés sémantiquement (listes de douze items), dans lesquelles les mots associés sont soit adjacents, soit séparés par les autres mots. Les auteurs demandent un rappel libre immédiat, puis différé, qui est réalisé après une tâche distractrice de compréhension de phrase. Le rappel différé doit refléter la contribution de la MLT. Les auteurs observent que le rappel est meilleur quand les mots reliés sémantiquement sont adjacents, que cet effet sémantique dans le rappel immédiat est obtenu pour les derniers items, mais pas pour ceux situés dans les premières positions, et enfin que cet effet sur les derniers items n’est pas significatif en rappel différé. Les effets sémantiques étant observés en rappel immédiat, mais plus en rappel différé, ils ne peuvent pas être attribués à la contribution de la MLT. Les auteurs concluent donc à un effet sémantique dans la MCT, rejetant une explication basée sur la contribution de la MLT.

L’existence de ces systèmes de stockage à court terme reste encore à prouver car les dissociations observées dans les études de cas neuropsychologiques (R.C. Martin, Shelton & Yaffee, 1994 ; Romani & R. C. Martin, 1999), comme nous l’avons évoqué précédemment, se basent principalement sur des différences de performances dans les tâches de MCT phonologiques et sémantiques, les deux étant généralement déficitaires chez ces patients par rapport à des participants contrôles. Un seul cas a été décrit qui présente une MCT phonologique normale et une MCT sémantique déficitaire (Hanten & R. C. Martin, 2000). De plus, dans le cas d’AB, les auteurs (Romani & R. C. Martin, 1999) montrent qu’il présente un profil en mémorisation à long terme également particulier : il est très déficitaire pour le rappel de mots individuels, mais est préservé pour le rappel d’unités intégrées comme les histoires. Romani et R. C. Martin (1999) considèrent donc que ce patient présente un déficit sélectif, qui implique une sorte d’information sémantique (la signification de mots individuels), et

postulent donc l’existence de composantes distinctes pour les propositions d’une part et la signification de mots non intégrés d’autre part. Ces données semblent montrer que le patient AB est déficitaire dans ce type d’information (signification de mots individuels, non intégrés), et qu’il n’a pas de déficit particulier du buffer lexico-sémantique.

Enfin, concernant la distinction entre les buffers phonologiques d’entrée et de sortie, celle-ci provient également d’études de cas neuropsychologiques. R. C. Martin, Lesch et Bartha (1999) rapportent l’étude d’un patient, MS, qui présente de bonnes performances dans les tâches de MCT en réception (buffer phonologique d’entrée), telles que l’empan de rime, et de mauvaises performances dans des tâches de MCT en production (buffer phonologique de sortie), telles que le rappel sériel immédiat de mots.