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Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

1. Les connaissances sémantiques dans la mémorisation à court terme

1.2. L’apport de la neuropsychologie

La neuropsychologie, par le biais d’études de cas et de la neuro-imagerie, apporte également des preuves utiles sur l’influence des connaissances sémantiques, et plus généralement sur l’influence de la MLT, dans la mémorisation à court terme. La littérature rapporte en effet de nombreuses preuves de la relation entre la MCT et la MLT, aussi bien pour l’information phonologique (Gathercole & Baddeley, 1989 ; R. C. Martin, 1993) que pour l’information visuo-spatiale (Hanley, Young & Pearson, 1991). Hanley, Young et Pearson (1991) présentent ainsi un patient (ELD) qui a un déficit à la fois dans la rétention à court terme d’informations visuo-spatiales et dans l’apprentissage à long terme de nouveaux plans spatiaux et de nouveaux visages, montrant ainsi que le codage de l’information est indépendant du système mnésique.

Un premier argument neuropsychologique en faveur de l’influence des connaissances sémantiques dans la mémorisation à court terme vient de l’analyse de cas des démences sémantiques. La démence sémantique est une maladie neurodégénérative caractérisée par une atrophie du néocortex temporal, souvent prédominante dans l’hémisphère gauche. Elle se caractérise par une perte progressive des connaissances sémantiques, entraînant des difficultés dans la compréhension de mots et la dénomination d’images (Hodges, Patterson, Oxbury &

Funnell, 1992). De nombreuses études étudiant la MCT chez des patients atteints de démence sémantique (Hodges, Patterson & Tyler, 1994 ; Jefferies, Patterson, Jones, Bateman & Lambon Ralph, 2004 ; Knott, Patterson & Hodges, 1997 ; Majerus, Norris & Patterson, 2007 ; Patterson, Graham & Hodges, 1994) montrent qu’ils présentent de meilleures performances dans le rappel à court terme de mots dont ils connaissent encore la signification que dans le rappel de mots dont ils ne connaissent plus la signification. Ce résultat suggère que la réduction de la MCT verbale provient du déficit des connaissances sémantiques en MLT, et donc que ces connaissances sont un déterminant important de la performance en MCT. Une autre caractéristique de ces patients est qu’ils présentent dans leurs rappels de nombreuses erreurs phonologiques. Patterson, Graham et Hodges (1994) proposent que les erreurs phonologiques de ces patients dans le rappel sériel immédiat de mots, erreurs qui sont semblables aux erreurs des participants contrôles dans le rappel sériel immédiat de non-mots, reflètent la détérioration des connaissances sémantiques, qui, lorsqu’elles sont préservées, permettent de sélectionner et maintenir les représentations phonologiques correctes. Majerus, Norris et Patterson (2007) montrent également que les patients atteints de démence sémantique présentent en rappel sériel immédiat, un rappel pauvre de l’information lexico- sémantique (faible rappel de mots), alors que le rappel de l’information phonologique est préservé (rappel normal de non-mots). Les auteurs précisent que dans le rappel sériel de mots, les patients, par comparaison à des participants contrôles, présentent un plus grand nombre d’erreurs d’item, mais moins d’erreurs d’ordre. Ceci laisse s upposer que l’information sémantique a un effet positif sur l’information d’item, mais négatif sur l’information d’ordre.

Enfin, Forde et Humphreys (2002) présentent le même avantage dans le rappel de mots connus par comparaison aux mots inconnus pour un patient qui présente une réduction stable des connaissances sémantiques causée par un empoisonnement au monoxyde de carbone.

L’influence des variables sémantiques sur la MCT est également observée dans des études qui distinguent la MCT phonologique et la MCT sémantique. L’étude de cas la plus célèbre est celle de Romani et R. C. Martin (1999). Ces auteurs rapportent le cas d’un patient, AB, qui présente un déficit spécifique de la mémorisation à court terme des informations sémantiques. Ce patient, qui a un hématome frontal gauche, présente une compréhension normale, une production réduite du discours avec un manque de contenus significatifs et une MLT préservée dans la vie quotidienne. Concernant la MCT, AB présente des performances faibles quel que soit le type de matériel (chiffres, mots, non-mots) mais une préservation des

effets phonologiques (similarité phonologique, longueur de mots). Il présente notamment de faibles performances pour la rétention à court terme de l’information sémantique, bien que les informations correspondantes soient accessibles (performance normale à une tâche de dénomination). Romani et R. C. Martin (1999) considèrent sur la base de ces observations qu’AB ne présente pas de déficit dans le traitement sémantique, mais plutôt dans le maintien de ce type d’information. Cette distinction MCT phonologique / MCT sémantique est appuyée par l’étude du patient EA qui présente le pattern inverse d’AB (R. C. Martin, Shelton & Yaffee, 1994), à savoir une réduction de la MCT phonologique (pas d’effet de similarité phonologique, ni de longueur de mots) et une préservation de la MCT sémantique (effet de lexicalité normal). Cette dissociation a également été observée chez deux enfants âgés de 10 ans (Hanten & R. C. Martin, 2000) : le patient CS, qui présente une réduction de la MCT phonologique mais des effets sémantiques normaux, et le patient CB, qui présente une atteinte de la MCT sémantique mais des effets phonologiques normaux. Ces études sont très peu nombreuses, et la dissociation qui en est faite reste à confirmer car les patients présentent une atteinte des deux types de MCT (leurs performances sont réduites quel que soit le type de matériel, mots, non-mots, par rapport à des participants contrôles) et la distinction est basée sur une plus grande réduction dans un type de tâches.

L’étude de Majerus, Van der Linden, Poncelet et Metz-Lutz (2004), portant sur trois patients présentant un syndrome de Landau-Kleffner, répond à cette critique et apparaît confirmer cette dissociation entre la MCT phonologique et la MCT sémantique. Le syndrome de Landau-Kleffner est une aphasie épileptique acquise rare présente entre l’âge de 3 et 8 ans. Ce syndrome épileptique est caractérisé par des désordres sévères du langage (compréhension et expression), menant à une agnosie auditive et au mutisme. Les difficultés dans le langage sont associées à des décharges dans les régions temporales bilatérales. Les crises épileptiques et les anormalités de l’EEG disparaissent à l’âge de 12-13 ans, mais la plupart des patients conservent plus ou moins de sévères difficultés dans les tâches de jugement phonologique, de fluence verbale et d’articulation. Concernant la MCT, ces patients, âgés de 18, 19 et 20 ans au moment de l’étude, présentent des performances réduites dans le rappel sériel immédiat de non-mots et des effets phonologiques réduits (similarité phonologique, longueur de mots), laissant supposer une atteinte de la MCT phonologique, tandis que les effets sémantiques sont préservés (effets de lexicalité, d’imagerie et de fréquence normaux). Leur MCT sémantique est donc préservée. De même, Belleville, Caza et Peretz (2003) présentent le patient IR, avec lésion cérébrale, qui a une perturbation dans la mémorisation d’informations phonologiques, alors que la mémorisation d’informations sémantiques est normale.

Les études d’imagerie rapportent également des preuves de l’effet des connaissances sémantiques dans la mémorisation à court terme. Une étude de Crosson et al. (1999) notamment montre que des régions cérébrales différentes sont activées en fonction de la tâche de mémoire de travail. Ces auteurs se sont intéressés aux relations entre le stockage à court terme et le type d’informations. Dans cette étude, ils ont présenté 3 mots-cibles à mémoriser, suivis par la présentation de 8 mots-tests. Parmi ces 8 mots, 2 étaient reliés sémantiquement à un des 3 items-cibles, 2 rimaient avec un item-cible, 2 étaient composées des 3 mêmes lettres finales qu’un item-cible et 2 étaient sans lien. Selon la tâche, le participant devait dire pour chaque mot s’il appartenait à la même catégorie sémantique qu’un des 3 mots-cibles, s’il rimait ou bien s’il avait les 3 mêmes lettres finales. Les auteurs ont ainsi observé que lorsque la consigne était sémantique, ce sont les régions qui traitent le sémantique qui étaient activées ; pour une tâche de mémoire de travail phonologique, c’étaient les régions qui traitent le phonologique, et pour une tâche de mémoire de travail orthographique, les régions traitant l’orthographe. Les tâches de cette étude cependant ressemblent plus à des jugements où le traitement de l’information est guidé par la consigne qu’à des tâches classiques de MCT. L’étude d’imagerie cérébrale (TEP) réalisée par Collette et al. (2001) apporte de meilleures preuves et confirme que les connaissances sémantiques interviennent en MCT. Ces auteurs tentent d’évaluer si des différences d’activation cérébrale apparaissent pour le rappel des items qui n’ont pas de représentation en MLT (non-mots), par rapport à des mots. Ils montrent ainsi qu’il existe un traitement sémantique dans les tâches de MCT : dans les tâches de MCT, le traitement des mots, par opposition à celui des non-mots, entraîne une augmentation de l’activité des aires cérébrales impliquées dans le stockage (ou le traitement) des connaissances sémantiques.

L’influence des connaissances sémantiques de la MLT dans la mémorisation à court terme est indéniable et maintenant unanimement reconnue par la communauté scientifique. Il convient cependant de déterminer séparément leurs effets sur l’information d’item et sur l’information d’ordre.

2. L’effet des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de