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Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

2. L’effet des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’information

2.2. Les conceptions théoriques de la mémoire à court terme

2.2.1. Les modèles d’activation

Cette approche remonte à Norman (1968). Elle ne fait pas de distinction entre la MCT et la MLT. Ces modèles sont apparus pour expliquer des phénomènes difficilement explicables avec les modèles séparant la MCT et la MLT en deux systèmes distincts, comme l’intervention de la MLT dans la mémorisation à court terme (effets de lexicalité, de concrétude, de catégorisation). Dans ces modèles, la notion de transfert d’un système à un autre est remplacée par celle de changement d’état des connaissances en MLT. Deux modèles vont être décrits : celui de Cowan (1988) et celui de N. Martin et Saffran (1992). Ces modèles ont l’intérêt de rendre compte des effets de la MLT dans la mémorisation à court terme, mais ils ont l’inconvénient de ne pas pouvoir décrire les différents mécanismes qui interviennent.

2.2.1.1. Le modèle de Cowan (1988)

Cowan (1988) considère un système unique à l’intérieur duquel les connaissances sont dans des états d’activation différents (cf. Figure 3). Dans son modèle, les informations provenant de l’environnement sont tout d’abord conservées dans des registres sensoriels, mais très rapidement, avant leur disparition de ces registres, ces informations activent directement les connaissances en MLT. Ces connaissances activées constituent la MCT. Pour Cowan (1988), la MCT est une partie activée de la MLT. Il considère que chaque élément de la MLT serait caractérisé par son seuil d’activation, et que des informations externes et/ou internes

modifieraient ce niveau d’activation. Quand le seuil d’activation d’un élément est dépassé, celui-ci devient disponible pour le traitement et fait donc partie de la MCT.

Le modèle de Cowan (1988) comprend quatre composantes :

- le registre sensoriel, dont la durée de vie est très courte, de l’ordre de quelques centièmes de secondes ;

- la MLT ;

- la MCT, qui est un sous-ensemble actif de la MLT ;

- l’administrateur central : c’est un processus de contrôle qui sélectionne l’information placée dans le focus attentionnel. Il permet notamment le maintien des informations en MCT par le biais de l’autorépétition.

Figure 3. Représentation du modèle de Cowan (1988)

Cowan (1988) considère que la mémorisation à court terme doit être interprétée en référence au rôle du contrôle. Lorsque des éléments sont activés en MCT, certains d’entre eux se trouvent placés sous le focus attentionnel, ce sont les informations les plus rapidement accessibles, celles auxquelles nous pensons consciemment. Les autres éléments activés en

Système exécutif central

Mémoire à long terme a b c d Mémoire à court terme Focus attentionnel Registre sensoriel Stimuli inchangés Stimuli nouveaux a b c d Actions contrôlées Actions automatiques v o lo n ta ir em en t at te n d u fa m il ie r (h ab it u el ) fa m il ie r (h ab it u el ) d és h a b it u eé

MCT qui ne sont pas sous le focus attentionnel nécessitent un certain délai pour être récupérés (le focus attentionnel doit se diriger sur eux). Le focus attentionnel peut se déplacer d’un élément à l’autre sous l’influence de la sélection volontaire (sous le contrôle de l’administrateur central) ou de la capture attentionnelle (facteurs extérieurs). Cowan (1988) suggère que le focus attentionnel peut maintenir durablement une information activée, permettant ainsi de maintenir certaines représentations à un niveau d’activation plus élevé que d’autres. L’attention permet à ces représentations de résister à l’habituation que vont subir les autres. Ce modèle peut expliquer un défaut de mémorisation de deux façons : un défaut d’inhibition, qui produit un enrichissement désorganisé des contenus de la MCT, ou un défaut d’activation, qui perd la trace des cibles à conserver. Ces deux explications sont placées sous le signe de l’attention.

2.2.1.2. Le modèle d’activation interactive de N. Martin et Saffran (1992) Ce modèle est basé sur celui de Dell (1986). N. Martin et Saffran (1992) considèrent que la MCT n’est qu’une propriété émergente de l’activation temporaire des représentations langagières (phonologiques, lexicales et sémantiques). Ce modèle implique une architecture en trois niveaux : les nœuds constituant les représentations phonologiques, les nœuds lexicaux et les nœuds sémantiques (cf. Figure 4). Ces trois types de représentations langagières sont en étroite relation et font chacune l’objet d’une activation, qui est caractérisée par son niveau et sa durée. Ces différentes activations retentissent les unes sur les autres. Si leurs intensités et durées respectives sont normales, le produit final sera correct. Par contre, si le niveau et/ou la durée d’activation d’une représentation langagière est trop faible, le processus débouchera sur une erreur. Dans ce modèle, lors de la présentation auditive d’informations verbales, les niveaux de représentations phonologiques sont activés avant les niveaux de représentations lexicales, eux-mêmes activés avant les niveaux de représentations sémantiques.

Selon ce modèle, les mots en MCT bénéficient du support des représentations lexicales et sémantiques. Il rend donc compte de l’effet de lexicalité, le rappel de mots doit être supérieur à celui des non-mots, car ces derniers manquent de support lexical et sémantique.

Figure 4. Représentation du modèle d’activation interactive de N. Martin et Saffran (1992)

Deux processus interviennent dans ce modèle, et l’altération de l’un ou l’autre entraîne des effets différents : le poids des connexions entre les différents nœuds, qui détermine la quantité d’activation qui se propage d’un nœud à l’autre, et la vitesse de dégradation des activations, qui empêche l’accroissement illimité de l’activation des nœuds.

Dans le cas d’un affaiblissement du poids des connexions entre les différents nœuds, l’activation se propage de façon moins efficace. Les représentations phonologiques seront correctement activées, et leur activation sera maintenue, mais les représentations lexicales et surtout les représentations sémantiques qui sont les plus éloignées seront de moins en moins activées. Cette altération va entraîner une acceptation des distracteurs sémantiques en compréhension, et des paraphasies phonémiques en répétition, car les représentations phonologiques, du fait de l’absence de feed-back des représentations lexicales, ne seront pas sélectionnées correctement. Dans les tâches de MCT, ce déficit entraînera une diminution de l’effet de lexicalité, une absence de l’effet de primauté, car les premiers items dépendent des représentations lexicales et sémantiques, et un effet de récence réduit en raison de l’absence de feed-back des représentations lexicales et sémantiques sur la sélection et le maintien de l’activation des représentations phonologiques. Le rappel des non-mots sera quant à lui préservé.

Si c’est la vitesse de dégradation qui est accélérée, ce sera le profil inverse. Les représentations phonologiques étant activées en premier, elles seront plus affectées par cette augmentation de la vitesse de dégradation. La réponse dépendra alors des seuls niveaux langagiers encore activés, c’est-à-dire des niveaux de représentation lexicaux et sémantiques. Ce déficit entraînera une acceptation des distracteurs phonologiques en compréhension, un effet d’imagerie, des paraphasies sémantiques en répétition et un effet de lexicalité. Dans les

Niveau sémantique Niveau lexical Niveau phonologique

radeau bateau gâteau

tâches de MCT, ce déficit entraînera un effet de lexicalité marqué avec une importante altération du rappel des non-mots et une absence d’effet de récence, car cet effet dépend des représentations phonologiques. L’effet de primauté sera quant à lui préservé.

Ce modèle est appuyé par des données neuropsychologiques (Majerus, Lekeu, Van der Linden & Salmon, 2001 ; N. Martin & Saffran, 1992), et en particulier par le syndrome de dysphasie profonde. Ce syndrome se traduit par une réduction sévère de l’empan en MCT et des difficultés dans la répétition de mots isolés. La répétition de mots isolés chez ces patients se caractérise par des effets de lexicalité, d’imagerie et par la présence de paraphasies sémantiques. N. Martin et Saffran (1992) expliquent ce syndrome par une augmentation pathologique de la vitesse de dégradation de l’activation temporaire des représentations phonologiques, lexicales et sémantiques.

La dépendance entre MCT et système langagier proposée par ce modèle, même si elle peut être argumentée, rencontre une difficulté importante : la présence dans la littérature neuropsychologique de patients présentant un déficit de la MCT sans déficit langagier associé, ce qui contredit l’hypothèse de N. Martin et Saffran (1992), pour qui la MCT n’existe pas hors du système langagier. Selon cette hypothèse, un déficit de la MCT devrait donc toujours être accompagné d’un déficit langagier. De plus, Forde et Humphreys (2002) présentent une étude de cas neuropsychologique qui n’est pas compatible avec ce modèle : un patient qui présente une perte des représentations lexico-sémantiques avec une absence d’effet de récence mais un effet de primauté préservé.