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Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

5. Une interprétation des différences entre les études sur le rappel d’ordre à court terme

5.1. La procédure

La procédure utilisée dans les différents travaux portant sur les effets des représentations sémantiques dans la mémorisation à court terme peut avoir un impact sur l’information d’ordre. Nous n’aborderons pas ici la vitesse de présentation du matériel, ni le type de présentation (auditive et visuelle), qui n’ont pas d’effet sur la variable sémantique.

Nous remarquons, dans un premier temps que certaines études utilisent les mêmes items pour les listes « similaires sémantiquement » et les listes « dissimilaires ». C’est le cas de la plupart des études de Poirier et Saint-Aubin (1995 ; Saint-Aubin, Ouellette & Poirier, 2005 ; Saint-Aubin & Poirier, 1999), où les items formant les listes composées de mots appartenant à la même catégorie sont les mêmes que ceux présentés dans les listes dont les mots appartiennent à des catégories différentes. Ces dernières sont composées d’un item de chaque liste catégorielle. Les mots sont donc présentés deux fois, une fois dans les listes catégorielles et une fois dans les listes non catégorielles. Ils sont même présentés quatre fois dans l’expérience 2 de 1995 : chaque item apparaît une fois dans les listes « similaires » et les listes « dissimilaires », et ces deux types de liste sont répétés deux fois, une fois sous condition suppression articulatoire et une fois sans suppression. La répétition des items peut entraîner une augmentation des erreurs d’ordre : le participant peut se souvenir de la position du mot dans la liste précédente où il est apparu, et ceci peut provoquer une interférence. Le participant pourrait donc placer l’item à la position où il était précédemment. Campoy et Baddeley (2008) soutiennent cette interprétation : ils rapportent que dans la plupart des recherches de Poirier et Saint-Aubin (1996 ; Saint-Aubin, Ouellette & Poirier, 2005 ; Saint- Aubin & Poirier, 2000), ce sont des séries limitées de mots qui sont utilisées, c’est-à-dire toujours les mêmes items mais dans des ordres différents. Ils en concluent que ceci pourrait expliquer l’absence d’effet des listes sémantiques sur le rappel de l’ordre et suggèrent qu’en maximisant la rétention de l’information d’item (items nouveaux à chaque fois), un avantage des connaissances sémantiques pourrait être observé dans le rappel de l’ordre. Campoy et Baddeley (2008) expliquent ainsi l’effet négatif que Baddeley a obtenu en 1966a avec des

listes sémantiques : dans cette étude, l’auteur utilise un nombre très limité d’items (8) qui sont de plus exposés durant le rappel. Ce résultat est donc un produit de l’information d’ordre, plutôt que de l’information d’item, avec pour conséquence un moins bon rappel pour les listes similaires. D’ailleurs une étude de Roodenrys et Quinlan (2000) confirme l’hypothèse avancée par Campoy et Baddeley (2008). Elle montre que l’effet de fréquence est plus élevé dans le rappel sériel immédiat quand les items sont nouveaux que quand ce sont des séries limitées. Toutefois, cet effet d’interférence, s’il existe, doit être beaucoup moins important dans les études de Poirier et Saint-Aubin (1995, 1996 ; Saint-Aubin, Ouellette & Poirier, 2005 ; Saint-Aubin & Poirier, 1999) car le nombre d’items par condition est largement supérieur à celui de Baddeley (1966a) (au moins 100 items différents dans chaque condition contre 8 pour l’étude de Baddeley). La littérature portant sur les modèles de la rétention de l’ordre (Melton & Irwin, 1940) fait également mention de cet effet « d’interférence ». Enfin, l’étude de Baddeley (1966a) est critiquable également dans la mesure générale de performance qu’elle utilise : cette mesure consiste à noter une réponse correcte quand la liste est parfaitement rappelée et une réponse fausse quand elle comprend une ou plusieurs erreurs. Elle n’utilise pas la méthode habituelle qui comptabilise une réponse correcte pour chaque item correctement rappelé et renseigne sur le nombre d’items rappelés.

Une autre différence méthodologique porte sur le nombre d’items à rappeler. Certaines études présentent des listes de 3 mots, d’autres de 4, ce qui est en-dessous de l’empan normal et peut conduire à des effets-plafond. Saint-Aubin et Poirier (2000) interprètent d’ailleurs l’absence d’effet de lexicalité sur les erreurs d’ordre par cet effet-plafond (listes de 4 items).

Enfin, une autre divergence méthodologique concernant la procédure porte sur la tâche de suppression articulatoire. Baddeley (1986 ; Baddeley & Hitch, 1974), qui rend compte du processus d’articulation subvocale dans la boucle phonologique par l’ajout de cette tâche à la tâche principale d’empan, précise qu’elle doit consister en la répétition d’un item court, de l’ordre d’une syllabe, et sans signification (« ba » par exemple). Tout autre terme utilisé ayant une signification risque de gêner d’autres mécanismes que la boucle articulatoire. Or, Poirier et Saint-Aubin (1995 ; Saint-Aubin & Poirier, 1999, 2000), qui comparent sous suppression articulatoire le rappel sériel de listes dans lesquelles les mots appartiennent à la même catégorie à celui des listes dont les mots appartiennent à des catégories différentes, utilisent le mot « mathématiques ». Le terme choisi par ces auteurs a une signification, et est d’une longueur considérable (4 syllabes). Ce mot est d’ailleurs plus long que les items présentés par ailleurs dans les listes (2 ou 3 syllabes). La répétition d’un mot signifiant comportant des

syllabes différentes risque de rendre la double tâche plus coûteuse, et gêner, en plus du processus de répétition articulatoire subvocale, la boucle phonologique (par sa longueur), mais également l’administrateur central : le participant doit en effet porter plus d’attention à cette tâche qu’il ne le ferait dans le cas d’une syllabe seule sans signification. L’utilisation de ce mot dans une tâche de suppression articulatoire risque donc de gêner plus particulièrement les listes de mots par comparaison aux listes de non-mots, comme les auteurs l’ont observé.

Toutes ces variantes peuvent être facilement contrôlées. Cependant, elles ne semblent pas avoir d’effet sur le rappel des items, puisqu’un avantage est toujours obtenu. Mais il est possible que l’effet observé sur les items soit si puissant qu’il gomme ces différences. Les effets sur l’ordre peuvent être plus faibles, et donc être plus sensibles aux variations de la procédure. De plus, les études portant sur des listes courtes de l’ordre de 3 à 4 items vont principalement jouer sur le rappel de l’ordre, et augmenter le s erreurs d’ordre. En effet, la longueur des listes étant inférieure à la capacité de stockage à court terme, le rappel des items devrait être parfait, et c’est donc leur ordre qui risque d’être altéré. Il est donc important de contrôler ces variables, qui peuvent créer un biais expérimental.

Hormis la procédure, un autre facteur peut jouer un rôle prépondérant dans les effets des représentations sémantiques sur le rappel de l’ordre : il s’agit de la nature des analyses effectuées. Nous détaillerons ce point plus longuement dans l’introduction de la partie expérimentale. Nous allons mettre l’accent cependant sur ces différences, et surtout montrer qu’elles peuvent gommer certains effets, ou bien les renverser.