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Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

5. Une interprétation des différences entre les études sur le rappel d’ordre à court terme

5.3. Le matériel

L’avantage des représentations sémantiques sur la mémorisation à court terme a été démontré pour différents types de matériel. Dans nombre de cas, on peut se demander en quoi consiste précisément la composante sémantique du matériel utilisé, et donc quels effets elle peut provoquer sur le rappel de l’ordre.

Dans le cas de la lexicalité, les mots ont une représentation phonologique et sémantique en MLT. Leur avantage sur le rappel d’items provient à la fois d’une familiarité phonologique et de l’existence d’une signification en MLT. Dans ces listes, la composante sémantique permet seulement d’accéder à la signification, elle sert peu d’indice de récupération, car elle ne réduit pas la recherche en MLT (contrairement aux catégories). De plus, la plupart des listes de mots ne possède pas d’organisation ; on ne peut donc pas s’attendre à observer un avantage sur le rappel de l’ordre.

La fréquence conduit également à s’interroger sur la nature des représentations en MLT qui sont en jeu (phonologiques ou sémantiques) ? La familiarité de ces items est-elle phonologique ou sémantique ? Comme pour l’effet de lexicalité, la composante sémantique permet uniquement de donner du sens. Les auteurs qui ont observé cet effet de fréquence (Poirier & Saint-Aubin, 1996 ; Sumby, 1963 ; Watkins & Watkins, 1977) considèrent tout de même que c’est la composante sémantique qui intervient : les items fréquents possédant un plus grand nombre d’informations en mémoire. Ces listes ne possèdent pas d’organisation et peu de liens sémantiques existent entre les items qui les composent, il n’est donc pas surprenant de ne pas observer, comme pour la lexicalité, d’effet sur le rappel de l’ordre.

Pour la concrétude, la richesse informative des mots concrets facilite leur mémorisation. Cette richesse fait partie de leur signification, elle implique donc une composante sémantique. Leur haut degré d’imagerie conduit à supposer que cette composante sémantique se rapporte à des représentations perceptives (visuelles). Comme les facteurs sémantiques précédents, la concrétude est une variable qui ne possède pas d’organisation et les items choisis pour composer une liste concrète ne sont généralement pas liés sémantiquement ; on ne doit donc pas s’attendre à observer de différences sur le rappel de l’ordre.

La dimension émotionnelle est un facteur qui peut faire intervenir la mémoire épisodique, plutôt que la mémoire sémantique. En effet, les items utilisés dans ces listes ne sont pas les émotions-mêmes, mais des mots renvoyant à ces émotions. Il est donc possible que selon les participants, les mots renvoient à des événements de leur vie. Osgood et Suci (1955) considèrent cependant que cette dimension fait partie de la mémoire sémantique : ils ont observé dans leur étude un consensus général dans l’attribution d’une émotion à différents mots. Quoi qu’il en soit, ce facteur appartient à la MLT, il est donc normal d’observer un avantage sur le rappel des items. Concernant le rappel de l’ordre, on ne peut faire de prédictions : cette dimension ne possédant pas d’organisation et les items composant les listes étant choisis pour avoir peu de liens sémantiques entre eux, on peut supposer qu’elle ne provoque pas d’effet sur le rappel de l’ordre. On peut cependant envisager l’existence d’un gradient entre les items, allant par exemple du plus joyeux au plus triste, ce qui pourrait jouer sur le rappel de l’ordre.

Baddeley (1966a) utilise la synonymie pour tester les effets des connaissances sémantiques dans la mémorisation à court terme. Il compare des listes de mots ayant la même signification, à des listes de mots de significations différentes. Ce facteur est donc un facteur sémantique. Cependant, il porte uniquement sur le sens. Nous avons un même concept, ou

signifiant, pour plusieurs signifiés, ce qui peut provoquer de nombreuses confusions, et particulièrement dans le rappel de l’ordre. L’utilisation de l’un ou l’autre des signifiés dépend en fait du contexte, et cette caractéristique est dépendante de la langue (toutes n’ont pas plus de 4 signifiés pour un seul concept). Par ailleurs, avant de conclure de manière générale sur un effet négatif, il serait peut-être utile de prendre en compte la fréquence d’utilisation de ces synonymes.

Enfin, la catégorisation, l’appartenance catégorielle, ou taxonomique des mots est sans ambiguïté une caractéristique de la mémoire sémantique. Les auteurs utilisant ce type de liste construisent leur matériel en prenant des noms issus d’un même niveau hiérarchique (chèvre – girafe), mais ces mots sont placés au hasard les uns à côté des autres. Les auteurs ne prennent pas en compte la fréquence associative des exemplaires, c’est-à-dire le fait que certains exemplaires sont plus fréquemment présentés ensemble que d’autres (pomme – poire par exemple, plutôt que pomme – kiwi). De même le gradient de typicalité des exemplaires n’est pas pris en compte : Rips, Shoben et Smith (1973) ont montré que certains exemplaires sont plus typiques de la catégorie que d’autres (un canari par exemple est plus représentatif de la catégorie oiseau qu’une autruche). Une organisation allant de l’exemplaire le plus typique au moins typique pourrait jouer sur le rappel de l’ordre. Enfin, un autre type d’organisation serait de prendre différents niveaux hiérarchiques, tout en gardant leur ordre (par exemple animal – vertébré – mammifère – girafe) comme dans l’expérience de Bower, Clark, Lesgold et Winzenz (1969) sur l’apprentissage à long terme. Ces organisations n’étant pas prises en compte, il n’est pas surprenant d’observer une absence d’effet sur le rappel de l’ordre, voire un désavantage provoqué par des confusions du fait de la même appartenance catégorielle.

Cette brève analyse montre que les facteurs sémantiques utilisés dans les tâches de MCT ne favorisent pas les effets sur le rappel de l’ordre. Leur organisation, qui devrait avoir un effet sur le rappel de l’ordre, n’est pas prise en compte. Les auteurs s’intéressant aux effets des connaissances sémantiques sur la mémorisation à court terme se sont contentés de sélectionner un facteur sémantique, la catégorisation par exemple, en négligeant son organisation en MLT. Il est pourtant peu probable que les items appartenant tous à la même catégorie soient placés de façon aléatoire en MLT. Les listes sémantiques des tâches de MCT réalisées jusque-là ne prenant pas en compte cette organisation, elles doivent donc être en conflit avec la structure de la MLT.

6. Conclusion

Il apparaît aujourd’hui que les connaissances sémantiques de la MLT jouent un rôle prépondérant en MCT en permettant d’augmenter les performances dans le rappel des items. Cependant, il ne semble pas qu’on ait encore bien élucidé la nature exacte de cet effet. Elles améliorent le rappel d’items, mais leur effet sur le rappel de l’information d’ordre n’est pas encore déterminé. Les données de la littérature présentent des effets hétérogènes : absence d’effet ou effet néfaste. Les différences méthodologiques ne suffisent pas à expliquer ces différences. Saint-Aubin et Poirier (1999, 2000) ont tenté d’interpréter le rôle des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’information d’ordre dans le cadre des modèles basés sur la rédintégration, mais les données contradictoires qu’ils ont obtenues en 2005 (Saint-Aubin, Ouellette et Poirier) les ont conduits de nouveau à modifier ce modèle. Les incessantes révisions de ces modèles pour interpréter ces données hétérogènes nous conduisent à nous interroger sur leur validité. Avant de tenter d’interpréter les effets des connaissances sémantiques sur le rappel de l’ordre, il est nécessaire de tester différents facteurs sémantiques et d’observer les mêmes effets pour un même facteur, comme la catégorisation par exemple.

La prise en compte des caractéristiques des items et de leur organisation en MLT peut peut-être constituer une réponse valable. En effet, on a observé que les composantes sémantiques utilisées dans les tâches de MCT portent principalement sur leur signification, ou leur appartenance à une catégorie. Or, la mémoire sémantique ne se réduit pas au sens des mots. La grande quantité d’informations qu’elle possède nous fait supposer qu’elle est organisée, mais quelle est cette organisation ? Une information, telle que « Washington est la capitale des Etats-Unis », peut être encodée et activée différemment : elle peut être activée avec l’item Etats-Unis car c’est un concept qui lui est proche (lien thématique), ou bien avec toutes les capitales du monde (lien taxonomique) ? Afin d’étudier au mieux les effets des connaissances sémantiques sur le rappel de l’ordre, il apparaît important de prendre en compte cette organisation. Pour connaître le contenu de la mémoire sémantique et son organisation, il convient de l’étudier. Ceci sera l’objet de notre troisième chapitre.