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Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

2. L’effet des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’information

3.1. Effet négatif

L’effet négatif des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’ordre est observé dans les études portant sur la lexicalité, la similarité sémantique et dans certaines études sur la catégorisation.

Saint-Aubin et Poirier (2000) révèlent dans une première expérience un effet négatif de la lexicalité sur les erreurs d’ordre : le rappel des mots entraîne plus d’erreurs d’ordre que

celui des non-mots. La seconde expérience rapportée dans cet article ne présente pas les mêmes résultats : l’effet négatif des mots sur les erreurs d’ordre est obtenu uniquement sous suppression articulatoire, et cet effet négatif pourrait provenir d’un effet plafond (liste de 4 mots). Enfin, les auteurs observent que la suppression articulatoire augmente les erreurs d’ordre pour les mots, mais pas pour les non-mots. Ces résultats semblent montrer que les erreurs d’ordre proviendraient de l’intervention de la MLT, puisque ce qui différencie les mots des non-mots, c’est l’existence de représentations en MLT.

Cet effet négatif avait également été observé dans l’étude de Baddeley (1966a), qui consistait à déterminer le type de codage en MCT. Dans cette expérience, il utilise la synonymie comme variable sémantique. Il compare des listes de mots ayant la même signification à des listes de mots de significations différentes. Il observe un désavantage des listes similaires sémantiquement par rapport aux listes dissimilaires sémantiquement pour le rappel de l’ordre, à savoir plus d’erreurs d’ordre pour les liste s dans lesquelles les mots ont la même signification.

Enfin, des études portant sur la catégorisation (Crowder, 1979 ; Murdock, 1976 ; Murdock & Vom Saal, 1967 ; Saint-Aubin, Ouellette & Poirier, 2005) montrent un effet négatif des listes catégorielles sur le rappel d’ordre. Les listes dans lesquelles les mots appartiennent à la même catégorie produisent plus d’erreurs d’ordre que les listes dans lesquelles les mots appartiennent à des catégories différentes. Murdock (1976) et Murdock et vom Saal (1967) comparent le rappel de listes de 3 mots appartenant à une même catégorie à des listes de 3 mots de catégories différentes après l’insertion d’une tâche distractrice de 3, 9 ou 18 secondes. Ils observent un nombre absolu d’erreurs d’ordre plus important pour les listes dans lesquelles les mots appartiennent à une même catégorie. Murdock (1976), en plus du nombre absolu, calcule la proportion d’erreurs d’ordre qu’il estime plus appropriée. Cette dernière analyse présente des résultats plus ambigus, avec une disparition de l’effet négatif dans l’expérience 1, mais pas dans l’expérience 2. Il réalise également une tâche de reconnaissance de l’ordre avec ces listes mais il n’observe pas cette fois-ci de différence entre les listes de mots appartenant à la même catégorie et les listes de mots de catégories différentes. Crowder (1979) obtient cet effet négatif aussi bien en rappel sériel immédiat que dans une tâche de reconstruction d’ordre. Cependant son seuil de significativité est à .10, ce qui laisse quelques doutes quant à la valeur de ses résultats, et dans le cas du rappel sériel immédiat, cet effet négatif est conclu à partir du fait que l’avantage des listes catégorielles obtenu en rappel libre indépendamment de l’ordre disparaît lorsque c’est le rappel ordonné

(incluant l’ordre) qui est pris en compte. L’auteur ne prend pas en compte ici les erreurs d’ordre en tant que telles. D’autres études portant sur l’effet de cette composante sémantique sur le rappel de l’ordre ont été réalisées, mais elles n’observent pas le même effet.

3.2. … absence d’effet …

Les études ne rapportant pas d’effet des connaissances sémantiques sur le rappel d’ordre portent sur la fréquence, la concrétude, et certaines sur la catégorisation.

Poirier et Saint-Aubin (1996 ; Saint-Aubin & Poirier, 2005) et Saint-Aubin et LeBlanc (2005) n’observent pas d’effet de la fréquence sur le rappel de l’ordre. Poirier et Saint-Aubin (1996) montrent que le rappel d’ordre est similaire pour les listes dans lesquelles les mots sont fréquents et pour les listes dans lesquelles les mots sont peu fréquents, même dans le cas d’un rappel envers. La fréquence ne serait donc pas un facteur influençant le rappel à court terme de l’information d’ordre.

Concernant la concrétude, l’étude de Walker et Hulme (1999) ne révèle pas d’effet sur les erreurs d’ordre : les listes de mots concrets ont un taux d’erreurs d’ordre équivalent aux listes composées de mots abstraits. Les expériences 1 (rappel sériel oral), 2 (rappel sériel écrit) et 4 (reconstruction d’ordre) montrent que les listes de mots concrets ont un taux d’erreurs d’ordre équivalent à celui des mots abstraits. Cependant, la troisième expérience portant sur un rappel envers écrit présente un effet en faveur des mots concrets : les listes de mots concrets ont moins d’erreurs d’ordre que les listes de mots abstraits. Ce dernier résultat est différent lorsqu’on compare des listes de mots de haute fréquence à des listes de mots de basse fréquence. On n’observe pas d’effet de fréquence en rappel envers.

Ces données montrent que le rappel endroit et le rappel envers sont sous-tendus par des processus différents, mais également que les mécanismes utilisés pour la fréquence et la concrétude sont différents. Dans le rappel envers, les participants s’appuieraient davantage sur des représentations sémantiques que phonologiques. En règle générale, l’effet de concrétude améliore la rétention des items mais pas de l’ordre. La concrétude n’a donc pas d’effet sur le rappel de l’information d’ordre.

Enfin, Poirier et Saint-Aubin (1995) n’observent pas d’effet de la catégorisation sur le rappel de l’ordre. Dans leur expérience, en condition simple (sans suppression articulatoire),

les listes dans lesquelles les mots appartiennent à la même catégorie ont un nombre d’erreurs d’ordre équivalent à celui des listes dans lesquelles les mots appartiennent à des catégories différentes. Par contre, en condition de suppression articulatoire, ils observent un désavantage des listes catégorielles.

Saint-Aubin et Poirier (1999) réalisent à nouveau des expériences sur la catégorisation. Ils observent les mêmes résultats que précédemment, à savoir des erreurs d’ordre équivalentes pour les listes dont les mots appartiennent à la même catégorie et les listes dans lesquelles les mots appartiennent à des catégories différentes. Cependant, leurs résultats diffèrent selon la méthode utilisée : la proportion d’erreurs d’ordre, qui correspond au nombre d’erreurs d’ordre divisé par le nombre de mots rappelés indépendamment de l’ordre, présente un taux d’erreurs d’ordre équivalent pour les listes dont les mots appartiennent à la même catégorie et les listes dont les mots appartiennent à des catégories différentes, tandis que le nombre absolu d’erreurs d’ordre révèle un désavantage des listes catégorielles (listes dans lesquelles les mots appartiennent tous à la même catégorie). Cette dernière méthode est considérée comme peu appropriée car elle ne prend pas en compte le nombre de mots rappelés. Ces auteurs, et bien d’autres (Murdock, 1976 ; Walker & Hulme, 1999), se basent donc sur la proportion d’erreurs d’ordre pour déterminer les effets en MCT.

L’expérience 3 confirme les résultats obtenus avec la proportion d’erreurs d’ordre. C’est une tâche de reconstruction d’ordre, dans laquelle les sujets, après la présentation d’une liste d’items, voient à nouveau ces items mais présentés dans un ordre différent. L’objectif est de replacer les items dans l’ordre de la première présentation. Cette tâche est considérée comme une tâche pure de mesure de l’information d’ordre car elle élimine les effets relatifs à la rétention des items. Dans leur expérience, Saint-Aubin et Poirier (1999) n’observent pas d’effet de la catégorisation dans cette tâche : les listes dans lesquelles les mots appartiennent à la même catégorie sont aussi bien reconstruites que les listes dont les mots appartiennent à des catégories différentes. Ces résultats, et en particulier ceux de la tâche de reconstruction d’ordre, suggèrent que la catégorisation n’a pas d’effet sur le rappel de l’ordre. Les auteurs supposent donc que la MLT n’est pas impliquée dans la rétention de l’ordre.

3.3. … ou effet positif ?

L’avantage des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’ordre n’a pratiquement jamais été observé. Seules des études portant sur la dimension émotionnelle en ont rapporté.

Doerksen et Shimamura (2001) réalisent une expérience sur la dimension émotionnelle des items. Ils observent que les erreurs d’ordre sont moins nombreuses pour les mots porteurs d’émotions (positifs ou négatifs) que pour les mots neutres. La dimension émotionnelle des items aurait donc un effet positif sur le rappel de l’ordre. Monnier et Syssau (2008) confirment ces résultats : elles observent ce même effet positif de la dimension émotionnelle sur le rappel de l’ordre.

3.4. Conclusion

Contrairement au rappel des items, les effets des connaissances sémantiques sur le rappel de l’ordre sont très hétérogènes. Selon les études, on observe un effet négatif, une absence d’effet, et parfois un effet positif. Les données concernant les effets de lexicalité, de fréquence et de concrétude présentent un certain consensus. La lexicalité présente un effet négatif : les listes de mots ont un taux d’erreurs d’ordre plus élevé que les listes de non-mots. La fréquence et la concrétude ne présentent pas d’effet. Le facteur le plus controversé concerne la catégorisation : certaines études présentent un effet négatif, et d’autres une absence d’effet.

Cette pluralité des résultats apparaît relativement plus stable lorsqu’on considère chaque facteur « sémantique » séparément, et certaines interprétations peuvent être avancées. L’absence d’effet de la fréquence et de la concrétude peut s’expliquer par le fait que ces deux facteurs ne sont pas sémantiques au sens où les items partagent des propriétés communes, mais au sens où ils possèdent un nombre plus ou moins grand d’informations. Pour la plupart des auteurs (Bourassa & Besner, 1994 ; Poirier & Saint-Aubin, 1996 ; Roodenrys et al., 1994 ; Walker & Hulme, 1999 ; Watkins & Watkins, 1977), ces deux effets proviennent de la richesse des informations contenues en MLT : les items fréquents et les mots concrets possèdent plus d’informations en MLT que les items peu fréquents et les mots abstraits. Cette différence du nombre d’informations contenues en MLT permet d’expliquer l’avantage de ces mots sur le rappel d’items car ils sont plus distinctifs les uns des autres. Concernant le rappel de l’ordre, comme ces items ne sont similaires ni phonologiquement, ni sémantiquement, et qu’ils ne sont pas liés entre eux dans la liste, il n’y a pas de raison d’observer de différence.

Cette interprétation devrait pouvoir s’appliquer à l’effet de lexicalité. Or, c’est un effet négatif qui est observé. Une explication possible est que les non-mots ne possédant pas de connaissances en MLT, le participant concentrera plus de ressources attentionnelles sur ces items pour les mémoriser, il fera plus attention à leur composition et à leur ordre, tandis que

pour les listes de mots, il utilisera moins de ressources, comptant sur le soutien de la MLT, ce qui peut le conduire à un plus grand nombre d’erreurs.

Enfin, dans la catégorisation, les résultats étant controversés, nous ne pouvons pas émettre d’hypothèse. L’effet négatif observé parfois peut s’expliquer par la similarité sémantique des items, qui agirait comme la similarité phonologique, en provoquant des confusions. Mais l’absence d’effet peut aussi s’expliquer par le fait que ce facteur sémantique, comme son organisation n’est pas prise en compte dans la présentation des listes (les exemplaires sont placés aléatoirement les uns à côté des autres), agit uniquement sur le rappel d’items. Son effet doit donc être clarifié.

L’intérêt porté au rappel de l’ordre nous conduit à aborder les modèles centrés sur cette dimension. Ils peuvent peut-être fournir une interprétation aux effets observés, et plus particulièrement apporter une réponse à la question de leur hétérogénéité.