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Les premières études sur la similarité sémantique dans la mémorisation à court

Chapitre II Les connaissances sémantiques en rappel sériel immédiat : leurs effets sur

1. Les connaissances sémantiques dans la mémorisation à court terme

1.1. Les premières études sur la similarité sémantique dans la mémorisation à court

La nature des effets de similarité en MCT a été un point central des études qui tentaient de découvrir les similitudes et les différences fondamentales entre la MCT et la MLT. La conclusion qui en émane, évoquée dans le chapitre précédent, et qui a été un argument puissant en faveur de la dichotomie MCT / MLT dans les années 1960-1970, est que le codage des informations est différent pour ces deux systèmes : la MCT dépendrait du codage phonologique (Baddeley, 1966a ; Conrad, 1963, 1964 ; Dale, 1964 ; Kintsch & Buschke, 1969 ; Wickelgren, 1965), tandis que la MLT coderait sémantiquement les informations (Baddeley, 1966b ; Baddeley & Dale, 1966 ; Underwood, 1951 ; Underwood & Goad, 1951). Bien que de nombreuses études étayent cette distinction liée au codage des informations, d’autres, qui n’ont pas réellement été prises en compte dans les modèles, ne soutiennent pas cette hypothèse. De plus, parmi celles qui appuient cette hypothèse, des biais méthodologiques peuvent expliquer l’absence d’effet des connaissances sémantiques sur la MCT.

Parmi les études qui montrent un effet des connaissances sémantiques en MCT, les plus pertinentes sont celles de Tulving et Patterson (1968) et de Calfee et Peterson (1968). Tulving et Patterson (1968), dans une tâche de rappel libre immédiat, présentent des listes de 12, 16, 20 ou 24 mots, qui possèdent ou non 4 mots reliés sémantiquement. Ces 4 mots sont présentés soit au milieu de la liste, soit à la fin, soit séparément. Ils observent que les listes dans lesquelles les mots reliés sont présentés en milieu de liste sont celles qui sont les mieux rappelées, et que les listes contrôle ne possédant pas de mots reliés sont celles qui sont les moins bien rappelées. De plus, les listes pour lesquelles les 4 mots reliés sont présentés à la fin ont un rappel presque parfait de ces items. Ce dernier effet est important, car l’effet de récence est habituellement attribué à la MCT, et donc à l’information qu’elle retient. Ces auteurs concluent que les caractéristiques sémantiques des mots à rappeler jouent un rôle en MCT.

L’étude de Calfee et Peterson (1968) est également importante, car elle montre que l’organisation catégorielle présente les mêmes effets en MCT qu’en MLT (Cofer, Bruce & Reicher, 1966 ; Cohen, 1966 ; Dallett, 1964) : des listes de 8 mots composées de 2 catégories

de 4 mots sont mieux rappelées lorsque les mots composant la catégorie sont regroupés ensemble. Ces auteurs montrent également dans cette étude que, si les noms des catégories sont donnés avant la présentation ou durant le rappel, les listes dans lesquelles les mots de la même catégorie sont séparés sont aussi bien rappelées que les listes dans lesquelles les mots de la même catégorie sont regroupés. Calfee et Peterson (1968) supposent que dans les listes regroupées, les participants ont une plus grande probabilité de détecter les noms des catégories durant la présentation et sont capables d’utiliser ces noms comme indices de récupération durant le rappel.

D’autres études comme celle de Klein (1970) sont en faveur également d’un effet des connaissances sémantiques en MCT. Il montre, dans une tâche de reconnaissance de mots, que les items sémantiquement similaires aux items de la liste présentée, comme les items acoustiquement similaires, ont un temps de réponse plus élevé que les items dissimilaires, quel que soit l’intervalle de rétention. Dale et Gregory (1966) soutiennent également cette hypothèse : dans une étude portant sur les interférences rétroactives en MCT, ils rapportent un plus grand nombre d’intrusions quand le matériel ajouté et le matériel appris sont sémantiquement similaires. Les auteurs de ces études (Calfee & Peterson, 1968 ; Klein, 1970 ; Tulving & Patterson, 1968), ainsi que d’autres comme Glanzer, Koppenaal et Nelson (1972), Verstiggel et Le Ny (1977), font l’hypothèse que la MCT peut traiter à la fois les caractéristiques phonologiques et sémantiques, et pas seulement les propriétés phonologiques. D’autres études d’ailleurs (Bruce & Crowley, 1970 ; Bruce & Murdock, 1968 ; Craik & Levy, 1970 ; Glanzer, Koppenaal & Nelson, 1972) montrent que la MLT elle-même est influencée par ces deux types de codage, et pas seulement par les propriétés sémantiques. Glanzer, Koppenaal et Nelson (1972) en concluent que la MCT et la MLT ne se distinguent pas par le type d’informations qu’elles traitent, mais par la façon d’utiliser et de maintenir ces informations. Pour eux, la MCT n’est donc pas spécifiquement phonologique, et la MLT pas spécifiquement sémantique ; les deux traitements phonologique et sémantique sont mis en œuvre en MCT et en MLT. Enfin, l’effet de fréquence en MCT est démontré dès cette époque : Hall (1954), Raymond (1969) et Sumby (1963) ont observé que les mots fréquents étaient mieux rappelés que les mots rares. Sumby (1963) montre de plus, en analysant le type d’associations formé entre les mots lors d’un rappel libre, que les associations des mots de haute fréquence sont sémantiques, tandis que celles des mots de faible fréquence sont phonologiques.

Baddeley lui-même, dans certaines études, observe un effet des connaissances sémantiques. Dans deux études (1964, 1966a), il relève des effets de la similarité sémantique,

identiques aux effets de la similarité phonologique (effet négatif sur le rappel), mais ces effets sont si petits (6,3 % de séquences correctes en moins pour les listes sémantiquement similaires par comparaison à des listes dissimilaires contre 72,5 % pour les listes phonologiquement similaires en 1966a) qu’il ne les prend pas en compte. Nous verrons plus loin que ces effets ont sans doute été minimisés par la procédure utilisée (présence des items lors du rappel en 1964, et score en 0 ou 1, basé sur le rappel de la séquence entière plutôt que sur le nombre d’items rappelé en 1966a).

Cependant, en 1970, avec son collaborateur Ecob, Baddeley montre, dans une tâche de rappel immédiat, que le matériel est encodé à la fois acoustiquement et sémantiquement (Baddeley & Ecob, 1970). Dans cette étude, ils présentent des séquences de 3 mots, qui sont similaires ou non acoustiquement, et qui forment une phrase signifiante ou non. Le rappel de ces séquences se fait 2 ou 20 secondes après la présentation. Ils observent que l’effet de similarité acoustique est présent uniquement pour une rétention courte (2 secondes), tandis que l’effet de compatibilité sémantique existe aussi bien pour une rétention courte que pour une rétention longue. Toujours en 1970, Baddeley et un autre collaborateur (Baddeley & Levy, 1970) montrent que l’encodage sémantique est possible en MCT à condition que le matériel soit compatible sémantiquement (paire de nom-adjectif liés sémantiquement comme pomme – délicieux par exemple). Ces auteurs concluent que l’absence d’effet de la similarité sémantique dans les études de la MCT serait due à la difficulté d’encoder des mots sémantiquement non reliés.

Cette position est appuyée par plusieurs auteurs, dont Shulman (1970, 1971, 1972) qui considère que le codage sémantique en MCT est possible, et même facilement démontrable, si la demande de la tâche est sémantique (par exemple, juger dans une tâche de reconnaissance si un item est synonyme à un autre ou pas conduit à l’utiliser). En 1970, Shulman montre de plus que les effets de la similarité sémantique obtenus dans les tâches de MCT proviennent bien du stockage à court terme, et pas seulement du stockage à long terme. Pour le démontrer, il utilise une tâche de reconnaissance dans laquelle le participant doit juger si l’item présenté lors du test de reconnaissance est identique à, synonyme ou homonyme d’un mot présenté dans la liste vue précédemment. Le participant est informé du type de jugement qu’il doit effectuer après la présentation de la liste de 10 mots. La position dans la liste du mot testé varie selon les essais (il peut apparaître à toutes les positions sérielles). Shulman (1970) montre ainsi que lorsque l’item testé est placé sur les dernières positions, la synonymie est reconnue dans 92,8 % des cas, ce qui démontre la saillance de l’information sémantique en MCT. De plus, la courbe de rétention présente la même forme pour les trois types

d’informations (identité, synonymie, homonymie) avec un fort effet de récence. Ces résultats montrent qu’on ne peut pas attribuer l’encodage sémantique uniquement à la MLT, et qu’il est également utilisé en MCT.

Les études précédemment décrites sont peu nombreuses par comparaison à celles qui n’ont pas observé d’effet de la similarité sémantique en MCT. Cependant, elles n’auraient pas dû être écartées. D’autant plus que celles qui ne présentent pas d’effet peuvent être soumises à plusieurs critiques.

Shulman (1972), dans une revue de la littérature sur les effets de la similarité en MCT et en MLT, met en évidence le fait que les études traitant de la similarité en MCT se différencient dans le type de tâche utilisée : alors que pour la similarité phonologique, ce sont des tâches de rappel immédiat qui ont été principalement utilisées, pour la similarité sémantique, ce sont principalement la tâche de technique de sonde, ou la tâche de Brown- Peterson qui ont été utilisées. Kintsch et Buschke (1969), par exemple, utilisent la technique de rappel sonde : ils présentent un mot, et le participant doit donner le suivant. Dans cette tâche, le rappel d’un seul item est requis, ce qui peut expliquer qu’on ne puisse pas mettre en évidence un avantage des connaissances sémantiques. Très peu d’études portant sur la similarité sémantique ont été réalisées en rappel immédiat, ce qui peut expliquer l’importance de l’effet de la similarité phonologique observée dans la MCT, alors que l’effet de la similarité sémantique n’a pratiquement jamais été observé.

De même, dans les expériences de Baddeley (1964, 1966a, 1966b, 1970 ; Baddeley & Ecob, 1970 ; Baddeley & Levy, 1970), le matériel est la plupart du temps redonné lors du rappel, ce qui revient plus à une tâche de reconstruction d’ordre que de rappel immédiat. La raison invoquée par Baddeley (1966a, 1966b, 1970) pour justifier ce choix est que la similarité sémantique, comme la similarité phonologique, joue sur la difficulté à rappeler l’ordre dans lequel les items sont présentés, plutôt que sur le rappel des items eux-mêmes, qui peut d’ailleurs être amélioré par la similarité phonologique (Wickelgren, 1965). Or, beaucoup de données montrent, nous allons le développer dans ce chapitre, que les connaissances sémantiques tendent à améliorer le rappel d’items, mais n’ont pas d’effet, ou un effet négatif, sur le rappel de l’ordre. Dans une autre expérience, Baddeley (1966a) utilise comme score le pourcentage de séquences rappelées correctement, et non le nombre total de mots rappelés par séquence comme c’est le cas habituellement dans une tâche de rappel immédiat. Le rappel des items est donc à nouveau minimisé dans ce score. Enfin, dans une autre étude, Baddeley et

Dale (1966) s’intéressent aux effets d’interférence rétroactive dans le cas de listes sémantiquement similaires en MCT, et ne donnent aucune information sur le rappel des items. Ces études ne sont donc pas réellement pertinentes pour déterminer l’effet des connaissances sémantiques en MCT. De plus, la plupart des auteurs s’attendent à observer un effet négatif des connaissances sémantiques sur le rappel de l’ordre, comme observé pour la similarité phonologique, alors que ces connaissances apparaissent agir sur le rappel des items : ils se centrent sur un rappel ordonné, et pas sur la disponibilité de l’item. Une étude, comme celle de Wickelgren (1965) sur la similarité phonologique, qui considère séparément l’information d’item et l’information d’ordre, aurait pu apporter des données plus solides mais le rôle des connaissances sémantiques en MCT n’a pas été réellement pris en compte à l’époque. Ce n’est que dans les années 1990 que le traitement séparé de ces deux types d’informations sera réalisé, ce qui conduira à mettre en évidence, nous allons le développer plus loin, un avantage des connaissances sémantiques sur le rappel à court terme de l’information d’item, tandis qu’un impact négatif ou une absence d’effet sera observé sur le rappel de l’ordre.