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4.4 Le rôle de l’ingénierie pédagogique

4.4.1 Le scénario pédagogique

Qu’est-ce qu’un scénario pédagogique à distance ? Le scénario renvoie à des définitions extrêmement variées dont nous proposons de donner un bref éventail avant de nous arrêter sur une définition.

L’origine du mot « scénario » est à chercher dans le domaine de l’audiovisuel et de la mise en scène d’un texte écrit, théâtral ou cinématographique. Dans le cas du texte cinématographique, le scénario désigne le récit verbal d’un film, une production intermédiaire avant la mise en image et en son. Étendu plus récemment aux domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’ergonomie (scénario de navigation, scénario d’interactions, etc.), l’ajout de l’adjectif « pédagogique » au terme de « scénario » marque son entrée dans le domaine de la formation.

127 Selon Paquette (2005), qui se positionne dans le courant de l’ingénierie pédagogique et dans une approche centrée sur les processus, c’est-à-dire qui s’intéresse à définir des méthodes d’ingénierie pédagogique capables d’assurer la mise en place des ressources et des moyens pédagogiques facilitant la conception et la mise en place de formations, la conception du scénario pédagogique est réalisée sur la base du résultat d’une analyse préliminaire qui permet de définir les orientations pédagogiques. Ce travail préliminaire oriente la construction d’un réseau d’événements d’apprentissage et les propriétés des unités d’apprentissage à l’intérieur de ce réseau. Ces étapes précèdent la construction du scénario pédagogique pour chacune des unités d’apprentissage (UA). « Chaque scénario pédagogique décrit les activités des apprenants et des formateurs, les ressources utilisées et produites, de même que les consignes régissant les activités d’apprentissage » (Paquette, 2005 : 222). Le scénario pédagogique se scinde ensuite en scénario d’apprentissage (les activités d’apprentissage) et scénario d’assistance (activités de formation). De nombreux chercheurs francophones s’inspirent de cette définition du scénario et Quintin, Depover et Degache (2005 : 336), dans leur article sur le rôle du scénario pédagogique dans l’analyse d’une formation à distance, le définissent comme « un ensemble structuré et cohérent constitué de deux parties, le scénario d’apprentissage dont le rôle revient à décrire les activités d’apprentissage, leur articulation dans la séquence de formation ainsi que les productions qui sont attendues et le scénario de formation […] ». Ils intitulent par la suite le scénario de formation « scénario d’encadrement ». Par rapport à « scénario d’assistance », ce changement terminologique permet d’éviter, selon ces auteurs, des confusions entre les interventions des acteurs en charge du soutien des apprenants et les tâches des apprenants. Bien que le terme d’« encadrement » puisse être lié au contexte militaire, ce qui pourrait impliquer un tutorat très directif, ce qui ne correspondrait pas à notre conception tutorale d’étayage où le tuteur est en arrière plan, c’est ce terme que nous avons retenu. Le terme d’ « encadrement » doit être compris dans son sens de « cadre général », où les rôles ne sont pas strictement définis et où une part de liberté existe dans les différents rôles à jouer. Ainsi, pour notre recherche, nous parlerons de « scénario pédagogique » (et non de séquence pédagogique en raison de l’aspect instrumenté par les outils informatiques de la formation) pour indiquer que le dispositif d’apprentissage médiatisé propose un déroulement pensé et organisé d’un projet, constitué d’un scénario d’apprentissage et d’un scénario d’encadrement. Le scénario d’apprentissage décrit les activités d’apprentissage, leurs articulations, les ressources, les productions attendues, les critères de réussite, et précise le cadre spatio-temporel de la formation ainsi que les outils qui soutiennent l’activité collaborative. Le scénario d’encadrement présente, quant à lui, le rôle de l’ensemble

128 des acteurs de la formation (apprenants, tuteurs) et propose des aides. Le projet, défini dans le chapitre précédent, qui indique une extension de la tâche pédagogique communicative vers le niveau global de l’activité et qui intègre une dimension communautaire et socio-culturelle, comporte un but général, une mission collective, ainsi qu’un mode opératoire précisant les actions à mettre en place pour parvenir au but collectif. Nous parlons de tâches individuelles ou de tâches collectives pour désigner les actions qui décomposent le projet, selon qu’elles se réalisent seules ou à plusieurs.

Certains chercheurs parlent de « scénario de communication » (Tricot & Plégat-Soutjis, 2003 ; Dejean-Thicuir & Mangenot, 2006 ; Nissen, 2006 ; Mangenot, 2008) pour identifier le rôle de chacun des participants d’une FAD, s’interroger sur le choix d’une communication publique ou non, pour anticiper les types d’interactions pédagogiques, etc. Si l’anticipation des types d’interactions nous semble tout à fait centrale pour identifier les pratiques langagières vers lesquelles les apprenants vont s’engager, le fait de dissocier l’activité des interactions qu’elle génère nous semble moins pertinent tant action collective et interactions nous paraissent indissociables. De plus, il est préférable, selon nous, de posséder des catégories englobantes pour le scénario afin de décrire avec souplesse les rôles. Il est par exemple compliqué de situer la consigne dans l’un des deux grands types de scénarios retenus du fait qu’une consigne correctement rédigée participe autant de l’aide et donc du scénario d’encadrement que du scénario d’apprentissage.

Enfin, nous jugeons intéressant de proposer « un cadre narratif » (Guichon, 2006 : 53) au scénario d’apprentissage. En effet, l’idée de faire entrer la fiction dans le scénario pédagogique redonne au « scénario » son sens premier de « scène ». Plus largement, l’introduction d’un fil narratif au scénario pédagogique peut être une façon de relier des activités d’apprentissage entre elles et de créer des interférences entre elles. Pour la conception de Fictif, nous avons utilisé la fiction pour lier trois différents projets et les activités qui les composent.

Concernant les finalités du scénario, il possède une fonction prédictive de par son caractère anticipatoire ce qui doit améliorer l’efficacité du déroulement des situations d’apprentissage en permettant par exemple aux acteurs chargés de la mise en place et du suivi de disposer d’un cadre explicite pour mieux orienter les apprenants vers les activités à réaliser. De plus, en rendant explicites les objectifs et les modalités d’apprentissage, une meilleure responsabilisation des apprenants peut être offerte. En effet, la meilleure aide que l’on puisse

129 fournir à un apprenant n’est-elle pas, dans le cadre d’une FAD, de proposer un scénario d’apprentissage cohérent, doté d’activités pertinentes et bien explicitées ? À l’instar de Demaizière (2007 : 15), nous partageons l’avis selon lequel « le premier moyen d’aider l’apprenant est de lui offrir un scénario cohérent dans tous ces aspects » et le fait que « bien aider l’apprenant signifie essayer de le faire bénéficier de l’expertise et de la qualité permettant de lui offrir ce qu’il est en droit d’attendre ». Dans la qualité de l’expertise, outre la cohérence du scénario, figurent la clarté des consignes, l’ergonomie, l’utilisabilité, la beauté pour ne citer que ces aspects. En amont de la formation, le scénario s’avère, par conséquent, une aide (ou une médiation) précieuse et dans la logique de responsabilisation des apprenants qui est la nôtre, une possibilité pour les apprenants de s’affranchir du tuteur.

Nous souhaitons aborder à présent la transposition médiatique (ou la médiatisation) du scénario pédagogique dans une plateforme, du point de vue de l’ergonomie centrée sur l’utilisateur.

4. 4. 2 Les apports de l’ergonomie

Une des tâches de l’ergonomie est de s’intéresser aux écarts qui existent entre la tâche prescrite dans un scénario pédagogique prédictif par le didacticien et le médiatiseur et ce qui est réellement réalisé par l’apprenant, autrement dit la manière dont l’apprenant s’est représenté l’activité à accomplir. L’activité de l’apprenant dépend aussi bien des caractéristiques du sujet qui l’exécute que de la tâche qui est prescrite, donc de facteurs internes et externes, dont seules les conditions externes sont manipulables en amont, lors de la conception de la formation.

Tricot et Plégat (2003), dans l’objectif d’améliorer le travail de l’utilisateur, invitent le concepteur de FAD à se questionner sur un certain nombre de points dont nous relevons principalement ceux qui renvoient au « scénario d’utilisation », c’est-à-dire à l’ensemble des actions possibles pour l’utilisateur au sein du dispositif d’apprentissage, en orientant notre attention vers la représentation des connaissances et des fonctionnalités dans l’interface, d’un point de vue ergonomique. Voici ce que Tricot et Plégat-Soutjis (2003 : 14) disent de l’interface.

Si d’un point de vue ergonomique, l’interface est un dispositif visuel et sonore pour représenter les fonctionnalités (utilisabilité) du dispositif de formation (navigationnelles), le problème à résoudre

130 sera envisagé comme la capacité d’un ensemble d’affordances à

suggérer une action pertinente à l’utilisateur. De plus, l’interface est une configuration visuelle et sonore qui doit être perçue comme agréable, stable et facile à utiliser.

La mise en place d’une charte graphique a pour objectif de répertorier tous les objets graphiques, sonores, leurs fonctions, leur emplacement, leurs formats, leur couleur. Elle offre des repères aux utilisateurs en uniformisant l’aspect visuel et permet encore, lors de la conception de nouvelles formations, de réutiliser exactement les mêmes codes d’utilisation, la même structuration de l’espace et donc de stabiliser l’utilisation.

Ces deux auteurs invitent également à se questionner sur la manière de garantir une stabilité visuelle d’une page-écran à une autre ou encore sur la manière de valoriser les contenus par des effets de structuration visuelle. En effet, la cohésion graphique est maintenue par la récurrence des codes visuo-graphiques, de mise en forme matérielle des textes et « elle permet d’assurer une meilleure perception de la prévisibilité des tâches d’interaction, et de la prévisibilité des contenus associés à une focalisation de l’attention adéquate » (Tricot &

Plégat-Soutjis, 2003 : 15).

Dans le même esprit, un autre critère ergonomique est celui du groupement et de la distinction qui permet la structuration de l’espace et où la localisation, le format, les couleurs sont utilisés comme des repères. « Le regroupement d’items les apparente à une même fonction, un même thème, etc. Un écran bien structuré rendra la lecture plus efficace et permettra de mieux comprendre la relation de dépendance entre les éléments » (Tricot & Plégat-Soutjis, 2003 : 14). La mise en forme matérielle a aussi des incidences sur les stratégies de lecture et de compréhension (Virbel, 1989).

Enfin, au sujet de l’interface, Tricot et Plégat-Soutjis invitent à s’interroger sur la manière de concevoir une interface simple et concise. Si la logique hypertextuelle est privilégiée, les unités d’information seront courtes, décomposées, consultables à la carte. Néanmoins, le fil de lecture est alors interrompu et génère une surcharge cognitive. À l’inverse, « le mode de lecture de la page linéaire préserve la chronologie, évite de décontextualiser l’information mais il n’offre pas de vision globale d’une unité de sens » (Tricot & Plégat-Soutjis, 2003 : 16).

Nous détaillons les choix opérés pour la FAD Fictif dans le chapitre suivant, lorsque nous décrivons le scénario. Notons que cette recherche de simplicité et de concision concerne

131 également les consignes ; leur formulation est complexe dans la mesure où la consigne doit être à la fois claire et explicite, or une consigne effectivement explicite court le risque d’être pédagogiquement inacceptable par sa longueur et de perdre toute clarté. Or la consigne guide l’élaboration de la représentation du but de la tâche que se fait l’apprenant, tout comme sa présentation. Les organisateurs paratextuels (OP) peuvent justement influencer la représentation mentale que construit le lecteur et sous certaines conditions, faciliter leur compréhension. Nous détaillons également cet aspect au chapitre suivant, lors de la description du scénario Fictif.

Si proposer un scénario pédagogique cohérent, pertinent et explicite autant que possible constitue une aide (ou une médiation) primordiale pour les apprenants, il convient à présent de nous positionner vis-à-vis d’un autre type d’aide, le tutorat.