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3.3 Des spécifications linguistiques et cognitives pour l’action sociale

3.3.1 Le rôle des activités métalinguistiques

Culioli (1999, tome 2) postule l’existence d’une activité épilinguistique ; l’activité épilinguistique est définie comme une activité métalinguistique non consciente et qui, contrairement à l’activité métalinguistique qui se matérialise par un discours métalinguistique, n’a jamais de marques tangibles. Il s’agit d’une activité mentale d’analyse, centrale pour l’acquisition du langage, qui n’est pas une activité de répétition ou de reproduction. Les activités métalinguistiques, elles, peuvent être distinguées en deux catégories.

- Les discours métalinguistiques, constitués, observables, qui ont explicitement pour objets à la fois les codes linguistiques, les interactions, les représentations sur les langues, les processus d’apprentissage. Ces verbalisations métalinguistiques émanent de linguistes, d’enseignants, d’apprenants de L1 et L2, et instituent clairement une objectivation consciente des phénomènes linguistiques divers dont ils traitent. On a là des contenus de pensée, des représentations métalinguistiques dont on sait qu’elles peuvent être plus ou moins correctes [...]

- « les traces d’activités métalinguistiques spontanées », [...] pour renvoyer à toutes les traces observables de la réflexivité constitutive des activités langagières. Il s’agit des phénomènes très hétérogènes qui témoignent de diverses prises de distance, d’opacification de la

78 langue effectuée par les locuteurs quand ils en viennent

spontanément, et très naturellement, à parler de leurs dires ou des dires des autres dans l’interaction, ou à réfléchir sur ce qu’ils disent ou écrivent. En effet, un usage « purement » linguistique de la langue s’attache prioritairement au sens et non à la forme [...]. La langue devient objet très fréquemment, même en situation « naturelle » et, dès lors, elle s’opacifie, perd sa transparence, notamment dans les multiples ajustements liés à la négociation du sens en interaction. Ces phénomènes peuvent englober gestes, sourires et mimiques mais nous nous contenterons de considérer ici les traces verbales observables (Trévise, 2009 : 2).

Cette définition de l’activité métalinguistique permet une vision non tranchée de l’activité épilinguistique et métalinguistique et profile même un continuum entre ces activités, d’un degré de conscience nul à un fort degré de conscience. Le degré de conscience reste toutefois très délicat à traiter de même que la question du passage à l’appropriation et donc à l’automatisation.

On peut, en effet, penser, avec des auteurs comme Chini (2004), que même si l’un des objectifs de l’apprentissage guidé est de permettre la mise en place de procédures d’apprentissage, c’est bien aussi l’automatisation, en production ou en reconnaissance qui est visée (le terme d’ « automatisation » ne devant pas être confondu avec les automatismes réflexes de type conditionnement behavioriste car si au stade de l’automatisation, la mise en œuvre est « automatique », ce qui signifie qu’elle ne nécessite aucun contrôle conscient et présente un coût cognitif minime, le contrôle peut redevenir conscient dans une situation problématique, ce qui ne serait pas le cas avec des automatismes réflexes). Ce mouvement concernerait le passage de la conscience à la non-conscience et permettrait d’assurer une maîtrise réelle de la production et de la compréhension sans surcharge cognitive. L’objectif de l’activité métalinguistique serait donc le savoir-faire. L’« automatisation » entraînerait alors un passage des « règles » conscientes au départ vers le domaine de la non-conscience où elles rejoindraient l’ensemble des règles de production opérationnelles jamais passées par la conscience et qui relèveraient de l’activité épilinguistique.

Trévise (2009) nuance en précisant que

tous les phénomènes syntactico-sémantiques ne sont pas percés à jour dans leurs fonctionnements discursifs et interactifs par les linguistes.

On peut enseigner la morphologie plus facilement que la totalité des tendances à l’œuvre dans la représentation aspecto-temporelle d’une

79 langue par exemple. Toutes les « règles » ne sont pas égales entre

elles, ni en complexité, ni en fréquence relative dans telle ou telle langue (Trévise, 2009 : 6).

Cette auteure poursuit.

Une grande partie des phénomènes d’acquisition / apprentissage, en L2 comme en L1, échappe à la conscience, non seulement les phénomènes liés à la pragmatique, la cohérence sémantique et la connaissance du monde, la variabilité des interprétations suivant les contextes, mais aussi les formes mêmes de réflexivité, et bien sûr bon nombre de règles formelles et de leurs domaines d’application, dont la linguistique, à l’heure actuelle, ne sait pas totalement rendre compte. Il est donc fort heureux qu’il y ait acquisition sans conscience, de façon non analysée, automatique [...] (Trévise, 2009 : 6).

En apprentissage guidé, donc, un ensemble de choses est acquis de façon non consciente et les mouvements cognitifs peuvent aller de la conscience à l’automatisation et du non-analysé à une possible conscientisation. Il est vraisemblable que les deux cheminements ne sont pas du même ordre même s’ils entrent probablement en synergie. Cette affirmation est appuyée par des ouvrages de référence d’Ellis (1997), et Robinson (2001) par exemple, pour qui on produit de la parole également en mémorisant des instances d’utilisation, des modèles tout faits en lien avec leurs contextes d’emploi, des « systèmes à base d’instance » (exemplar-based-systems). Ce modèle co-existerait avec un « système à base de règles (ruled-based-system) selon lequel le fonctionnement de la production langagière suit des règles. Se pose alors la question des conditions dans lesquelles les activités métalinguistiques sont nécessaires et du degré de conscience nécessaire pour l’apprentissage d’une LE.

Dans le domaine des recherches sur l’apprentissage d’une LE, les termes qui portent sur le rôle joué par la conscience dans l’apprentissage sont nombreux et varient en fonction des courants de recherche, des auteurs et des langues. Les notions de « conscience », de « prise de conscience », « d’attention », « d’attention volontaire » et de « contrôle » se côtoient et sont utilisées parfois indifféremment. La notion de connaissance implicite et explicite est proche et sujette à controverse. Ces termes, fréquents, sont utilisés tantôt en terme de contenu de connaissance, tantôt en termes formels. Au niveau du contenu, Bailly (1980 : 118) estime

« qu’implicite » est « l’équivalent de ce qui est acquis par des moyens intuitifs non exprimés », et « qu’explicite » est synonyme de « règles de fonctionnement, devenues conscientes et pouvant assurer ainsi, dans un cadre didactique, un raccourci vers la

80 compréhension ». Au niveau de la forme des connaissances, « implicite » est synonyme de

« non formalisé, non exprimé théoriquement », et « explicite » signifie, inversement,

« élaboré au plan du discours scientifique ou didactique abstrait ». De ces commentaires, trois critères distinctifs apparaissent : le caractère conscient (« devenu conscient ») ou inconscient des connaissances, le degré d’analyse (« règle / intuitif ») et la verbalisation ou non de la connaissance (« non exprimé »). Cette relation entre connaissances implicites et explicites ne va pas sans rappeler les activités épilinguistiques et métalinguistiques définies plus haut. Loin d’être opposées, les deux formes de connaissances cohabiteraient.

Du côté anglo-saxon, les notions de « consciousness raising » (Sharwood Smith, 1981 par exemple) et de « input enhancement » (Sharwood Smith, 1991) sont définies comme des actions qui visent à attirer l’attention des apprenants sur des aspects précis de la langue. Long (1991), en proposant le « focus on form », soutient que la mise en lumière de l’aspect formel du langage peut favoriser aussi bien le développement de la connaissance linguistique implicite qu’explicite. Bialystok (1982), pour qui la connaissance explicite est celle que l’on peut verbaliser, fait l’hypothèse selon laquelle la connaissance explicite a l’avantage de pouvoir être réutilisée dans de nouveaux contextes tandis que les connaissances non analysées et intuitives ont une applicabilité limitée. Nous adhérons à ces positions et d’autant plus qu’aujourd’hui, quelle que soit la position sur le langage et la langue, les chercheurs s’accordent pour dire que l’acquisition ne se fait pas bien s’il n’y a pas de traitement en profondeur (deep processing), c’est-à-dire traitement au niveau du sens et du repérage actif (noticing) et non uniquement des formes (Narcy-Combes, 2005), ce qui remet en cause tout exercice de grammaire où la manipulation est indépendante d’une gestion du sens, comme dans le cas des exercices structuraux par exemple. Le degré de conscience nécessaire pour un traitement en profondeur n’est toutefois pas tout à fait clairement défini et le foisonnement des appellations et des définitions, compliqué par leur transposition d’une langue à l’autre, n’éclaircit pas le débat.

Si ce travail de conscientisation s’avère utile pour le traitement du sens, Trévise (2009) nuance ses bénéfices.

La conscientisation ne modifie sans doute guère les savoir-faire automatiques préalablement installés. Elle permet peut-être cependant la progression à long terme vers un stade plus avancé (Trévise, 2009 : 6).

81 À cette possible progression vers un stade plus avancé permise par une conscientisation de savoir-faire automatisés, à l’instar de Bange (2003), nous ajoutons que le travail de réflexion, mené par l’apprenant avec ses pairs avec l’aide d’un expert, au-delà de la résolution ponctuelle d’un problème particulier, permet de résoudre d’autres problèmes car l’apprentissage visé est celui de structures interprétatives générales. En effet, les stratégies construites par les apprenants grâce à un effort d’attention volontaire, de verbalisation de leurs représentations grammaticales qui rend possible la confrontation avec l’avis d’autres pairs, avec ou sans guidage d’un expert, peut permettre des ajustements dans la grammaire interne des apprenants mais aussi le transfert de stratégies et de procédures pour le traitement d’autres questionnements. Quant à savoir si l’automatisation de règles conscientes les fait entrer dans le travail épilinguistique global de structuration du système intermédiaire, il semble qu’à ce jour, ce passage soit encore mal cerné.

Il en résulte que l’articulation complexe entre les processus d’apprentissages conscients et non conscients est méthodologiquement difficile à approcher. Les oppositions entre connaissances explicites et implicites signifient que l’apprenant est capable d’utiliser des règles sans avoir conscience de son fonctionnement tandis que la connaissance est explicite quand l’apprenant est capable de formuler ou reproduire des règles internes métalinguistiques ou avec ses propres mots, mais elles traduisent mal le problème du passage de la règle enseignée à la règle apprise. La prudence est donc de mise et selon Trévise (2009), « on est encore loin de la découverte d’invariants d’acquisition / apprentissage précis dans ce domaine » (Trévise, 2009 : 7).

Une chose semble certaine cependant, c’est qu’en apprentissage guidé, toutes les données linguistiques (input) ne sont pas acquises de façon consciente et heureusement car de nombreux points restent obscurs en linguistique. La conscientisation de données automatisées peut permettre une amélioration de l’interlangue de l’apprenant. Par interlangue, nous postulons que les connaissances provisoires de l’apprenant constituent une entité au moins partiellement analogue à une langue naturelle (Porquier & Py, 2006) ; l’interlangue comporte une orientation dynamique vers un modèle de langue cible et se caractérise par sa perméabilité à remettre en cause un de ses microsystèmes. Ces connaissances provisoires ne sont pas un magma informe mais elles sont structurées (Porquier & Py, 2006) et pour accompagner l’apprenant dans sa restructuration, la réflexion métalinguistique doit porter sur les points que, d’une part, la théorie linguistique permet d’éclaircir et de structurer mais aussi

82 sur les points linguistiques qui sont perçus comme constituant un passage obligé en vue de la construction d’autres capacités. À titre d’exemples, parmi ces points linguistiques, pour notre public de niveau intermédiaire (B1, B1 +, B2), figurent en premier chef la détermination ; suit la difficulté à saisir la différence entre un passé composé et un imparfait, ce qui implique d’introduire la notion d’aspect en plus de celle de temps. À leur niveau, il apparaît important également qu’ils puissent prendre en charge leurs énoncés avec plus de nuance et de maîtrise.

Pour cela, l’étude de la modalisation est importante. L’utilisation des pronoms, dans les formes impersonnelles en particulier, constitue pour les étudiants vietnamiens de niveau intermédiaire, une véritable énigme.

Si l’objectif de la pratique réflexive des langues est de permettre à l’apprenant de résoudre des difficultés qui freinent l’évolution de l’interlangue, l’appropriation de la démarche est, elle aussi, centrale. Il s’agit d’amener les apprenants à appréhender par eux-mêmes les régularités qui structurent le système de la langue. Il s’agit donc pour l’apprenant de se construire des schèmes explicatifs, des représentations cognitives structurées, non pas juxtaposées mais interreliées et dynamiques.