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5.5 Le projet 3 : résolution d’énigmes linguistiques de façon collaborative

5.5.1 Description du projet 3

Inspiré par le projet Lexica Online mené à l’Open University (Lamy & Goodfellow, 1998), le projet 3 de résolution collaborative d’énigmes linguistiques poursuit les objectifs généraux suivants.

- Analyser collectivement des faits de langue et développer des savoirs relatifs aux langues (français, anglais, vietnamien).

- Développer des stratégies et des procédures pour le traitement d’autres questionnements.

- Réinvestir ces savoirs en contexte de manière contrôlée.

162 Le but de la tâche de résolution d’une « énigme linguistique », est que les étudiants non seulement observent les formes linguistiques, leurs régularités, leurs structures, mais aussi qu’ils s’intéressent aux fonctions de ces formes. S’intéresser aux fonctions permet de comprendre pourquoi une forme est utilisée plutôt qu’une autre, en fonction du point de vue de l’énonciateur, du moment de l’énonciation, de la situation d’énonciation et des relations inter-sujets. Cette réflexion sur la langue nécessite pour les apprenants d’appréhender des catégories grammaticales nouvelles par rapport à la grammaire généralement proposée dans les manuels de langues, telles que l’aspect ou la modalité, qui trouvent leurs fondements dans les approches énonciatives. L’objectif n’est pas d’appréhender la langue comme une suite de

« règles » détachées les unes des autres mais selon un système qui fonctionne comme un tout cohérent en s’appuyant sur le concept d’ « énonciation » et sur les relations entre co-énonciateurs.

Dans cet esprit, les exemples que doivent analyser les étudiants sont, le plus souvent, des énoncés que l’on peut situer dans une situation d’énonciation. La prise en charge de l’énoncé par l’énonciateur signifie que celui-ci se sert de marqueurs grammaticaux comme, par exemple, de marques de temps, de détermination, d’aspect ou de modalité pour exprimer la façon dont il se situe par rapport à ce qu’il dit, son point de vue et comment il se situe par rapport à celui à qui il s’adresse. Si des énoncés contextualisés peuvent être préférés, des phrases isolées ne sont toutefois pas à exclure des exemples à faire analyser : lorsque l’on souhaite mettre les apprenants dans une position d’observateurs d’un fonctionnement linguistique dans toute sa variété, un échantillon de phrases isolées est, d’une part, pour les étudiants moins long à analyser qu’un échantillon d’énoncés longs et, d’autre part, offre la possibilité de mettre des phrases par paires et de mettre en contraste un / des point(s) linguistique(s) à analyser. Concernant le choix des énigmes, il a été abordé dans le chapitre 3, nous rappelons brièvement les critères qui ont prévalu : la réflexion métalinguistique doit porter sur les points que, d’une part, la théorie linguistique permet d’éclaircir et de structurer mais aussi sur les points linguistiques qui sont perçus comme constituant un passage obligé en vue de la construction d’autres capacités.

De 2007 à 2009, un travail d’harmonisation des approches grammaticales a été mené entre les trois enseignantes de français de l’IFI, aussi bien pour harmoniser les pratiques en présentiel que pour assurer un passage cohérent entre la formation en présentiel et la formation à distance. L’enseignante d’anglais n’a pu s’associer à ce projet en raison d’une lourde charge

163 de cours dans d’autres établissements où elle enseigne également. Les points linguistiques sur lesquels notre réflexion a porté sont la détermination, le temps et l’aspect essentiellement.

Cette harmonisation a pu se réaliser lors de réunions pédagogiques exclusivement dédiées à ce projet. Les grammaires qui ont servie de support à notre réflexion sont Grammaire du français, Approche énonciative de Maurice Lévy (2000), Grammaire du sens et de l’expression de Patrick Charaudeau (1992) et Pour enseigner la grammaire, nouvelle édition de Roberte Tomassone (2002). Ces réunions ont permis une mise au point linguistique et une entente sur les repères explicatifs vers lesquels nous pourrions guider les étudiants ainsi que sur des orientations didactiques : la nécessité de faire réfléchir les étudiants eux-mêmes sur la langue, guidés par l’enseignant et l’utilité de faire réfléchir sur les langues, en prenant appui sur la L1 des étudiants, le vietnamien, et sur l’anglais. Le manuel Campus, acheté en très grand nombre par la responsable des langues précédentes et utilisé pendant l’année propédeutique (voir chapitre 1), n’offre pas de repères explicatifs pour la grammaire et s’en tient à une description de points linguistiques, la dimension réflexive de la langue étant quasiment absente : la nécessité d’étoffer la réflexion métalinguistique s’est donc imposée.

C’est également au cours de ces réunions que les « énigmes linguistiques » ont été choisies et certaines explications élaborées, en s’appuyant sur un cadre énonciatif.

Parmi les points linguistiques retenus, pour notre public de niveau intermédiaire, figurent la détermination. La difficulté d’emploi de cette catégorie, et notamment des articles, par les apprenants dont la langue 1 ne possède pas d’équivalent morphologique de l’article français, relevé par exemple par DeKeyser (2005), est bien réelle pour les étudiants vietnamiens ; le déterminant « des », qui permet, entre autres, de quantifier de façon neutre, sous-employé par les étudiants au profit du déterminant « quelques » a aussi fait l’objet d’une énigme, pour faire prendre conscience des nuances de sens. D’autre part, la différence entre un passé composé et un imparfait reste obscure pour les étudiants, ce qui fait appel à la notion d’aspect en plus de celle de temps. L’utilisation des pronoms dans les structures impersonnelles (« il est difficile de… », etc.) constitue aussi un point sur lequel les étudiants achoppent : se pencher sur ce point linguistique implique de distinguer le sujet grammatical du sujet énonciateur, d’introduire l’étude de la modalisation et les différentes possibilités de prise en charge de l’énoncé. En effet, à leur niveau, une prise en charge des énoncés avec plus de nuance et de maîtrise implique l’étude de la modalisation. Cela peut être envisagé en faisant repérer des marques linguistiques connues et nouvelles qui permettent à l’énonciateur de prendre position par rapport à son dire ou, au contraire, de prendre de la distance par rapport à son énoncé (ou

164 au co-énonciateur), par le repérage de différentes nuances du doute ou encore sur différents moyens d’appuyer une assertion.

Une énigme linguistique se présente sous forme d’une question et de quelques énoncés sur lesquels porte la question. À titre d’exemple, voici une énigme proposée.

Figure 9 – Exemple d’énigme linguistique.

Cette énigme vise à faire prendre conscience aux étudiants des valeurs particularisantes ou généralisantes de l’article dit « défini » (Lévy, 2000) selon les contextes ainsi que des différentes opérations de détermination permises (le renvoi à la notion dans l’exemple 4, « le fromage » par opposition à tout ce qui n’est pas fromage ou une opération de fléchage qui consiste à reprendre un élément déjà repéré ou supposé repéré par le contexte par l’énonciateur et le / les co-énonciateur(s)). Nous revenons sur le détail de certaines énigmes au chapitre 7.

Trois phases sont distinguées dans le processus de résolution collaborative d’énigmes linguistiques.

- Une phase de lecture ou d’écoute du corpus, de repérage, de questionnement et d’analyse collective, par groupe de quatre étudiants, dans un forum accessible au groupe et au tuteur uniquement (activité 1). Pour cette phase,

165 la production attendue est une analyse collective à déposer dans le forum

commun à tous les groupes à date et créneau horaire fixes.

- Une phase d’évaluation des analyses : chaque groupe compare les analyses faites par les sept autres groupes, en choisit une et justifie son choix qu’il présente à la communauté. Le choix et la justification sont postés dans le forum commun à tous les groupes (activité 2)

- Une phase d’attention et de rétroaction sur l’utilisation du point linguistique (dans l’ensemble des forums des trois projets qui se jouent simultanément, dans les activités de relecture d’un pair du projet 1, par exemple) (activité 3).

Figure 10 – Guide du module du projet 3.

Le mot « énigme » a été préféré au mot « problème », dont la définition peut renvoyer à un trouble comme dans « avoir des problèmes ». Cela aurait pu connoter négativement ce projet.

Le mot « énigme » nous a semblé plus approprié pour exprimer « une chose difficile à comprendre et à expliquer au premier abord » (Littré) et pour marquer le plaisir de l’exercice intellectuel. Les groupes de quatre étudiants disposent de quatre jours pour proposer dans le forum commun à la communauté une analyse, sous forme de texte ou de schéma.

Voici le schéma de la première activité.

166 Figure 11 – Schéma de l’activité 1 de résolution collaborative d’énigmes.

Dans cette première activité, les étudiants sont invités à résoudre collectivement une énigme.

Il leur est demandé d’examiner et de comparer dans le forum de leur groupe les différents contextes du fait linguistique, d’en identifier les composants, les régularités et irrégularités et de tenter de comprendre le fonctionnement du mécanisme de langue pointé par l’énigme en manipulant les énoncés, en faisant de premières hypothèses explicatives, en croisant les différentes hypothèses et en se mettant d’accord sur une analyse commune. Les groupes de quatre étudiants, librement constitués avant le démarrage de la FAD sont identiques à ceux du projet 2. Parmi les ressources mises à disposition des étudiants, outre les énoncés à analyser, figure un glossaire explicatif franco-vietnamien de 35 termes linguistiques où sont expliqués quelques concepts comme par exemple l’énonciateur, le co-énonciateur, la modalisation, le sujet grammatical, le moment d’énonciation, le temps de l’énoncé, l’aspect, l’opération de fléchage, etc. Le choix des termes ainsi que les explications données en vietnamien sont largement inspirés de Souesme (2003) qui propose, pour la pratique raisonnée des langues, une sélection de termes et de concepts énonciatifs, accompagnée d’explications compréhensibles et illustrées. Le choix d’un glossaire explicatif et non d’une traduction des termes métalinguistiques en vietnamien vient du fait que, lorsqu’on se réfère à une théorie linguistique, il paraît préférable de faire passer un contenu de pensée plus qu’une traduction

167 vietnamienne du vocabulaire linguistique. De plus, les formulations explicatives ne doivent pas être envisagées « uniquement au travers d’une terminologie réduite à un étiquetage de différents marqueurs et catégories. Il faut analyser l’articulation et la construction d’un discours métalinguistique qui devra aider l’apprenant à construire des significations […] » (Demaizière, 1986 : 339). Pour notre recherche, nous avons tenté de trouver un équilibre entre, d’une part, des explications sans métalangage qui impliquent l’utilisation de termes ambigus et qui peuvent induire des compréhensions tout aussi ambiguës (comme « renvoyer à », « être connu de », etc.) et, d’autre part, des termes métalinguistiques plus techniques (« énonciateur », « co-énonciateur », « opération de renvoi à la notion », etc.) qui peuvent donner l’illusion d’être précis mais peuvent rester opaques pour les apprenants. Concernant quelques termes métalinguistiques fréquemment utilisés (adverbe, article, etc.), ils ont été ajoutés au glossaire explicatif, une simple traduction en vietnamien a été donnée. Voici un extrait du glossaire franco-vietnamien.

Figure 12 – Extrait du glossaire franco-vietnamien.

Pour cette activité, la rubrique « Comment faire ? » est détaillée et des pistes pour parvenir à une analyse commune sont proposées. Voici un extrait de la consigne.

168 Figure 13 – Extrait de la consigne de l’activité 3.1 de repérage et d’analyse d’un point

linguistique.

Concernant les modalités d’évaluation de la première activité, en voici le détail.

Activité 3.1 Repérage / analyse Activité de groupe

Le groupe propose une analyse détaillée 0 0,5 1 Le groupe tente de comprendre le

pourquoi du fait linguistique

0 0,5 1

Tous les étudiants participent 0 0,5 1 1,5 2 Les traces de collaboration sont

importantes et fructueuses

0 0,5 1

Respect de la contrainte temporelle de

postage de l’analyse 0 1

Tableau 1 – Critères d’évaluation de l’activité 3.1.

Les critères de réussite insistent en priorité sur la participation des étudiants, sur celle de chacun des quatre membres d’un groupe et sur le nombre d’interactions générées dans le forum du groupe. Ces critères sont en adéquation avec notre objectif de développement de l’apprentissage par la collaboration, sur la nécessité que chaque membre s’engage et communique ses idées à son groupe. Deux autres critères insistent sur l’analyse souhaitée : une analyse détaillée et la volonté du groupe de tenter de comprendre le point linguistique abordé, ce qui doit nécessiter une réflexion et la manipulation de quelques concepts énonciatifs. Cette incitation à la réflexion devrait favoriser les interactions. Des explications reprises telles quelles de grammaires de FLE ou de sites grammaticaux de FLE recensés sur le portail http://www.lepointdufle.net, par exemple, ne peuvent être attendues car les explications y font figure d’exception. Les grammaires et sites grammaticaux de FLE ne sont, par conséquent, guère utilisables pour la résolution des problèmes posés. Le dernier critère

169 concerne le respect de la contrainte temporelle, qui exige du groupe une bonne gestion du temps imparti.

Concernant la deuxième activité qui correspond à la phase 2, les étudiants sont invités à lire l’ensemble des solutions proposées par chaque groupe dans le forum commun, à sélectionner la solution jugée la meilleure et à justifier rapidement leur choix. Un groupe ne peut voter pour son propre groupe. Les étudiants disposent de leur forum et d’un clavardage accessible au seul groupe et au tuteur et de trois jours pour faire ce choix. Voici le schéma de cette activité.

Figure 14 – Schéma de l’activité 3.2 d’évaluation de la meilleure analyse.

Les critères d’évaluation de l’activité 3.2 sont les suivants.

Activité 3.2 Vote de la meilleure analyse

Activité de groupe

Les traces de collaboration sont importantes et fructueuses

0 0,5 1

3 groupes au moins ont voté pour votre analyse

5 groupes au moins ont voté pour votre analyse

1

2

Respect du délai temporel 0 1

Tableau 2 – Critères d’évaluation de l’activité 3.2.

170 Le premier critère insiste encore sur la nécessité de choisir une analyse collectivement.

L’adjectif « fructueux » tente d’orienter l’attention des étudiants sur la nécessité de croiser les idées, plutôt que de les juxtaposer, d’aiguiller vers une co-construction de l’analyse. Le dernier critère nécessite, lui, que le groupe s’organise pour respecter la contrainte temporelle.

L’évaluation, dans le critère 2, est assurée par les étudiants eux-mêmes, ce qui correspond à l’une de nos finalités.

Dans la troisième et dernière activité, il est demandé aux étudiants d’observer le point linguistique abordé dans l’énigme lorsqu’ils le rencontrent dans de nouveaux contextes, d’être attentifs lorsqu’ils l’utilisent et de veiller également à ce que les autres étudiants l’utilisent correctement dans les forums des différents modules, en particulier dans les activités de relecture d’un pair (projet 1). Voici le schéma de cette activité.

Figure 15 – Schéma de l’activité 3.3 d’attention et de rétroaction du point linguistique analysé.

Cette troisième activité d’attention et de rétroaction sur le point linguistique analysé (3.3), est évaluée sous forme de bonus : « Vous alimentez le forum de l’espace commun de nouveaux contextes d’utilisation du point linguistique, souvent (au moins 3 fois), très souvent (5 fois et plus) » ; bonus de réutilisation contrôlée ou de rétroaction appropriée sur les autres étudiants avec un renvoi explicite vers une analyse : souvent (au moins 3 fois), très souvent (5 fois et plus) ; bonus d’encouragement d’un groupe en difficulté et aide dans le forum de l’espace

171 commun du projet 3 (reformulation, explication, exemples) (bonus à ajouter à la note sur 90).

Ces bonus, outre l’entraide qu’ils encouragent, ont pour but que les étudiants apportent des explications à de nouvelles interrogations et assurent une partie du scénario d’encadrement, dans une logique de responsabilisation des étudiants.