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3.4 Communication et acquisition

3.4.4 Communication exolingue et appropriation

Bruner, nous l’avons vu, a mis en avant dans ses recherches le concept de « format » pour l’acquisition de la langue maternelle. Il nous intéresse de faire un survol de rituels possibles ou styles conversationnels propices à l’acquisition de la LE dans le cadre des conversations exolingues.

94 Par conversations exolingues, nous entendons des conversations où le code est maîtrisé de manière asymétrique « en ce sens que les compétences respectives des participants ne se superposent pas entièrement » (Porquier & Py, 2006 : 28). Cela présuppose, dans l’interaction, un axe qui se définit par deux pôles, respectivement endolingue et exolingue.

Bien qu’il y ait toujours des asymétries dans l’interaction, de même qu’il y a toujours des éléments codiques communs, on parle de conversation exolingue « à partir du moment où les asymétries de codes ne peuvent plus être ignorées » (Porquier & Py, 2006 : 29). Le passage de l’endolingue à l’exolingue se manifeste par la récurrence des activités métalinguistiques et métadiscursives « telles que négociation du sens, reformulation, sollicitation d’aide, coénonciation, achèvement interactif, thématisation de malentendus, séquences analytiques, etc. » (Porquier & Py, 2006 : 29). Py et Porquier (2006) font l’hypothèse que ces activités discursives constituent un cadre propice à l’appropriation de nouvelles connaissances en L2.

En effet, certaines séquences spécifiques, appelées séquences potentiellement acquisitionnelles (SPA), sont un type particulier de séquences dans lesquelles les interlocuteurs reconstruisent une situation pédagogique qui permet l’échange de données et leur appropriation par l’apprenant (Di Pietro, Matthey et Py, 1989). Cette situation repose sur un contrat entre les deux interlocuteurs. Ce contrat est implicite ou explicité par des demandes d’aide et de données en L2 de la part du non-natif. Il s’agit d’un moment de focalisation sur le code (Vasseur, 1993). Typiquement, ces séquences se construisent en trois temps : l’apparition d’un obstacle pour le non-natif (NN) créé par le déroulement de l’interaction, intervention du natif (N), reprise de la proposition de N par NN. Mais l’intervention du natif pour proposer des données et leur reprise par le non-natif ne conduisent pas automatiquement à l’appropriation de ces données car un certain nombre de conditions doivent être réunies pour que la séquence soit efficace. En plus de la focalisation convergente sur le code des deux interlocuteurs et, en particulier, sur un point du code qui pose problème, il faut que le non-natif soit capable d’analyser et d’intégrer les nouvelles données dans l’ensemble des règles mises en place provisoirement. L’analyse et l’intégration de nouvelles données ne sont possibles que si ces dernières ne dépassent pas trop les capacités cognitives du non natif ; il faut que le non natif puisse intégrer ces nouvelles données dans son système linguistique tel qu’il fonctionne à un stade donné. Nous rejoignons ici le concept de zone de proche développement vygotskien : pour qu’une séquence de type SPA ait des chances de contribuer au développement linguistique du non-natif, il faut qu’elle réponde à des questions que l’apprenant est en mesure de se poser à un stade donné du développement de son interlangue

95 en plus des contraintes liées à la situation d’interaction (comportement du natif qui suscite ou non le questionnement, nature de la tâche qui rend ou non nécessaire ce questionnement).

Bien que les travaux sur les SPA nous intéressent au plus haut point et qu’ils puissent s’étendre à des situations d’interaction entre non-natifs présentant une asymétrie, ils n’occupent pas une place centrale pour notre recherche dans la mesure où la communication exolingue se limite à deux activités de la FAD Fictif et que dans ces activités de discussion entre non-natifs et natifs, la focalisation se porte moins sur le code que sur de possibles différences et / ou ressemblances interculturelles entre les étudiants vietnamiens, camerounais et français. La fluidité des échanges est recherchée. À ce titre, la façon dont les apprenants non-natifs « mettent en scène » leur apprentissage dans les interactions qu’ils vivent avec les natifs, la conduite interactionnelle choisie nous semble pertinente pour notre recherche. Il s’agit d’un autre niveau de focalisation des interactions exolingues, le niveau du positionnement social ou de la figuration (Goffman, 1971 cité par Vasseur, 1990). Parmi les travaux sur ce point, il apparaît que pour un non-natif, interagir avec un natif, ce n’est pas seulement se faire comprendre et avoir l’occasion d’acquérir un code mais aussi de jouer un rôle social (Vasseur, 1990). Ce qui se joue dans les échanges, « c’est autant les places que le sens, ce qui s’apprend c’est autant la figuration que la langue dans la mesure où cela est rendu possible par la compétence linguistique, les contraintes de l’activité et le comportement du partenaire » (Vasseur, 1990 : 97). C’est ainsi que Vasseur (1990) constate qu’interrompre le fil du discours pour signaler ses problèmes peut être une stratégie liée à l’image que l’on veut donner de soi au natif et que si elle est acceptable et positive dans les premiers échanges entre natifs et non natifs, elle l’est moins par la suite. Pour l’apprenant, continuer à s’attribuer le rôle de l’apprenant, contribue à figer ou du moins freiner le processus d’acquisition, tandis que participer aux échanges en rompant le moins possible le fil de la conversation, c’est ménager sa « face positive » (Brown et Levison, 1978, cité par Vasseur, 1990), c’est s’attribuer un rôle de locuteur bilingue autonome, d’interlocuteur qui se pose sur un pied d’égalité. S’attribuer le rôle d’ « alloglotte » au sens de locuteur bilingue autonome, c’est se préparer à dépasser le statut d’apprenant et effacer les frontières entre la communication exolingue et bilingue. Pour notre recherche, le rôle que les apprenants s’attribuent lors des échanges à distance avec les natifs pourra être un indicateur d’une évolution positive de leur processus d’apprentissage de la LE.

96 Il nous intéresse d’approfondir plus en détail le caractère problématique de la relation entre discours et appropriation. La maxime bien connue selon laquelle « c’est en communiquant que l’on apprend une langue » rend compte, de façon catégorique, d’expériences dont toute personne parlant plusieurs langues peut témoigner. À l’instar de Porquier et Py (2006), nous postulons que par « communication » il faut entendre globalement l’expérience pratique de la LE et moins des situations discursives comme les SPA. Ces mêmes auteurs introduisent alors une distinction entre « la prise » par usage ou par mention et « la saisie ». « La prise par usage » signifie que « l’apprenant saisit en quelque sorte la donnée au vol et l’introduit immédiatement et sans modification dans un énoncé, contribuant ainsi de manière directe à la poursuite de la séquence en cours » (Porquier & Py, 2006 : 36) ; « la prise par mention » implique, elle, une opération de décontextualisation, c’est-à-dire, pour Porquier et Py (2006) le fait que le locuteur extrait un élément de son contexte d’occurrence originel et s’il insère cet élément dans un contexte nouveau, il y a « recontextualisation ». Dans les deux cas, la

« prise » est un acte qui s’effectue dans le discours. « La saisie », quant à elle, est un acte cognitif, un acte d’intégration de « la prise » dans l’interlangue. Cette intégration peut n’être que provisoire, le temps de résoudre un problème de formulation ou d’interprétation, ou être plus durable. « La saisie » n’est observable que par la récurrence de l’unité concernée dans des contextes variés, à des moments différents. Quoi qu’il en soit, « prise » et « saisie » sont deux moments nécessaires à la réalisation de tout apprentissage linguistique ponctuel.

La décontextualisation, qui implique un changement d’orientation de l’attention, où le sens du message est provisoirement abandonné au profit de la forme, annonce une double focalisation, – Bange (1992) parle de bifocalisation – c’est-à-dire qu’un segment de discours devient thème de ce même discours. Il s’agit de la fonction métalinguistique que nous avons abordée auparavant. Ces traces métalinguistiques apparaissent comme autant de manipulations d’entités linguistiques par l’apprenant : « celui-ci joue avec la langue, et ces jeux entraînent ipso facto une certaine familiarisation avec les entités sur lesquelles ils portent (Porquier &

Py, 2006 : 38). Et si cette familiarisation ne suffit pas à garantir un apprentissage effectif, ce qui signifie pour l’apprenant de pouvoir disposer de nouveaux moyens linguistiques accessibles dans différents contextes, elle constitue tout au moins une condition nécessaire.

Mais ces manipulations ne sont pas forcément accompagnées d’un métadiscours grammatical et peuvent être une simple attention à la forme, ce qui nous renvoie aux activités épilinguistiques et métalinguistiques mentionnées plus haut.

97 Concernant la spécificité de l’interaction écrite asynchrone en LE, où le langage écrit et les artefacts jouent un rôle déterminant dans l’interaction, nous l’abordons dans le chapitre suivant. Mais avant de clore ce chapitre, nous souhaitons explorer le rôle de la production dans le traitement de l’input.

3.5 Le rôle de la production pour un