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4.2 Les artefacts symboliques et matériels

4.3.1 Le dispositif Lexica Online

Lamy et Goodfellow (1998), dans le cadre d’un cours de FLE à distance donné par l’Open University britannique, ont cherché à encourager les conversations réflexives sur le lexique avec des apprenants adultes de FLE. Outre le but de générer parmi les apprenants des discussions en langue étrangère qui prennent pour objet la langue étrangère, le projet pilote Lexica Online vise également le développement de méthodes d’apprentissage « qui viendront conforter chez l’apprenant isolé le désir de persévérer dans ses études de langues » (Lamy &

Goodfellow, 1998 : 81). Expérimenté avec dix adultes de niveau intermédiaire en français, l’outil privilégié dans ce dispositif de FLE à distance, est la conférence textuelle asynchrone, autrement dit, le forum, pour les potentialités réflexives que ce mode de communication permet.

Le dispositif de formation, entièrement à distance, comprend un logiciel hors ligne de lexicométrie que possèdent les apprenants et qui intègre des textes en format numérique, un dictionnaire bilingue français-anglais électronique et un forum dans lequel prennent place les conversations des étudiants et des tuteurs, le tutorat étant assuré par deux Français natifs. Les activités proposées aux étudiants sont d’étudier des textes dans un premier temps à l’aide du logiciel Lexica qui leur permet de sélectionner le vocabulaire qu’ils souhaitent apprendre et de le classer, puis de discuter de leurs progrès ou des difficultés rencontrées avec leurs tuteurs et leurs pairs sur le forum ; enfin, les apprenants utilisent des sites Internet francophones comme sources de nouveaux textes afin de recommencer un cycle d’activités.

Le cadre théorique s’appuie sur deux modèles d’interactivité, le modèle cognitif, dans lequel la négociation du sens est centrale pour l’acquisition – recherche de confirmations, vérification de la compréhension, demandes d’éclaircissements, reformulations, etc. – et le modèle socio-affectif, dont l’axe monologue-dialogue-conversation offre une perspective complémentaire d’analyse. Dans le cadre de la deuxième perspective, fondée sur une analyse

118 conventionnelle des relations de pouvoir à l’école (van Lier, 1996), et selon un axe qui représente le degré de contrôle qu’exerce un individu sur un autre, les modalités d’échanges vont d’un fort contrôle (monologue), au dialogue (la parole passe de l’un à l’autre mais toujours par le contrôle de l’expert), à la conversation où la communauté des apprenants explore librement la connaissance. Ces auteurs parviennent à la conclusion selon laquelle les conversations réflexives semblent correspondre mieux que d’autres aux conditions favorisant l’interactivité, notamment celles qui ont pour thèmes le vocabulaire, les langues en général ou leur apprentissage, autrement dit celles au sein desquelles l’interactivité vient doubler la pratique de la réflexion (Lamy & Goodfellow, 1998). Au cours d’une conversation réflexive, les participants sont égaux et les tours de paroles sont partagés par tous ; l’équilibre entre des éléments connus et non connus des apprenants, l’équilibre entre le familier et l’imprévisible caractérisent l’aspect « contingent » de l’interaction, qui selon les auteurs, permet les meilleures possibilités d’apprentissage.

Ces auteurs soutiennent, par ailleurs, que les dialogues réflexifs sont susceptibles de favoriser l’acquisition et notamment l’attention portée à la forme, la négociation des aspects contingents de l’interaction et la prise de conscience de stratégies d’apprentissage à condition que ces dialogues durent dans le temps afin de donner aux apprenants un maximum d’occasions de s’exposer à des conditions d’apprentissage favorables. Or ces auteurs observent un certain nombre de messages butoirs, c’est-à-dire de messages en fin de chaîne dans le forum qui n’ont pas reçu de réponse, soit parce qu’ils n’en sollicitaient pas, de façon explicite ou implicite, soit parce que les apprenants n’ont pas les moyens linguistiques « de faire avancer le thème de la conversation en prenant en compte ce qui précède et en éveillant la curiosité pour ce qui va suivre, c’est-à-dire remplir les conditions de familiarité et d’imprévisibilité combinées qui sont caractéristiques de l’interaction contingente » (Lamy &

Goodfellow, 1998 : 91), ni les moyens linguistiques de « proposer des textes bien formés et non ambigus, tant linguistiquement que du point de vue du discours » (ibidem). À cela, s’ajoute la nécessité d’alterner le rôle d’expert et l’égalité des tours de paroles mais pour cela, les apprenants doivent trouver du sens à l’activité proposée.

Outre l’intérêt que cette étude soulève pour la réflexion sur la langue et la réflexion sur les stratégies d’apprentissage de la langue par les apprenants eux-mêmes, elle questionne également le rôle du tuteur : permettre l’aspect contingent de l’interaction entre apprenants – Henri et Lundgren-Cayrol (2003) parleraient d’interdépendance positive – n’est-ce pas offrir

119 aux apprenants la possibilité de se constituer eux-mêmes comme ressources pédagogiques ? Cela ne signifie-t-il pas pour le tuteur de s’effacer autant que possible et permettre aux apprenants de s’emparer alternativement du rôle d’expert ? Au niveau de la conception pédagogique, cela n’implique-t-il pas la mise en œuvre d’un dispositif pédagogique qui permette de s’affranchir du tuteur ? Le modèle collaboratif, n’est-il pas le plus à même de créer un cadre idéal de « conversation réflexive » en exigeant plus de présence sociale et cognitive ?

Nous pensons que l’extension de ce projet à la pratique réflexive des langues, et plus seulement au lexique, en introduisant des repères explicatifs pour résoudre des problèmes de façon collaborative, peut permettre non seulement des interactions fécondes en terme d’apprentissage mais aussi le transfert de stratégies et de procédures pour le traitement d’autres questionnements. De plus, l’Open University, par nature « ouverte » comme son nom l’indique, attend de ses apprenants une forte capacité d’autodirection ; la flexibilité structurelle du dispositif de Lexica Online est grande, en raison du degré de liberté de choix dans la détermination de la composante spatio-temporelle et pédagogique offert aux apprenants. Le modèle collaboratif, bien qu’exigeant une dimension automisante forte, semble mieux adapté à notre contexte, en raison du cadre structurant et sécurisant que nécessite la constitution d’un « groupe » pour l’apprentissage collaboratif. En effet, le modèle de collaboration conduit à s’intéresser au « groupe », et non simplement à un regroupement d’individus. Le groupe se définit par sa taille, par la relation qui s’établit entre les individus et par le but qui les rassemble. Comme le relève Damphouse (1996), les groupes et les regroupements ont un point commun, celui de partager un même but qui répond aux intérêts des membres. Ce qui les distingue, c’est l’interaction entre les membres et les relations qui se tissent entre eux. Dans un regroupement, les membres ne sont pas portés à agir et à engager des actions communes or dans un groupe, la conscience aiguë du but commun à atteindre, justifie et rend nécessaire la participation active de tous les membres. Le but commun, ou la cible commune des groupes d’apprentissage comporte, d’une part, la réussite individuelle de l’activité de formation et, d’autre part, l’apprentissage avec les autres (Damphouse, 1996).

Pour le groupe, collaborer, s’engager dans le groupe est par conséquent un but en soi. Mais il ne suffit évidemment pas de regrouper des individus dans un environnement virtuel pour qu’ils collaborent spontanément.

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4.3.2 Un modèle collaboratif pour la réflexion