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4.2 Les artefacts symboliques et matériels

4.2.2 Le forum

Le forum, appelé parfois conférence asynchrone textuelle, permet à plusieurs utilisateurs d’interagir à travers un espace d’information partagé. Les interactions sont asynchrones et textuelles, stockées sous forme de messages envoyés vers un lieu identifié où se tient une discussion sur un sujet spécifique. Les usagers d’un forum peuvent lire et réagir aux messages qui y sont postés. Dans un forum, il est impossible de sélectionner un destinataire particulier.

« Toute intervention est publique, lisible par tous les participants au forum, même si elle se présente comme la réaction à une intervention initiative particulière. L’aparté est impossible : le polylogue est la forme habituelle du forum et le multi-adressage en est la norme (Marcoccia, 1998 : 17). L’un des avantages du forum (par rapport au courriel notamment), est d’offrir une base de données centralisée des messages, stockée sur un serveur et à laquelle les usagers peuvent accéder. Ce système est propice à l’élaboration d’un travail collaboratif puisque les informations restent disponibles aux usagers du forum, selon un enchaînement chronologique.

Le forum, qui permet une communication asynchrone, libère des contraintes de temps et d’espace, c’est-à-dire qu’au moment qui leur convient, les participants se joignent au groupe pour échanger, discuter. Les participants disposent de temps pour laisser mûrir leur réflexion.

Henri et Lundgren-Cayrol (2003) ont pu observer auprès de groupes d’apprenants à distance, que les échanges asynchrones sont beaucoup plus réfléchis, mieux structurés et plus profonds que les échanges synchrones car, avant d’intervenir, les apprenants peuvent relire, analyser et mieux comprendre les contributions des autres. La capitalisation écrite des idées, qui ne signifie toutefois pas que ces dernières y soient ordonnées et qui ne traduit pas la récursivité du fil de la pensée, comporte de nombreux avantages. Par rapport à des échanges de vive

109 voix, où « une bonne idée peut être perdue, mal comprise ou déformée sans qu’on puisse la reprendre ou la clarifier » et au cours de laquelle « ni la mémoire des collaborateurs ni la prise de notes ne peuvent rendre compte [...] du déroulement des conversations » (Henri &

Lundgren-Cayrol, 2003 : 69), le forum permet, lui, de mettre en mémoire les messages. Les idées sont alors susceptibles d’être reprises, partiellement copiées, commentées, critiquées, à tout moment. Le fait que les informations soient stockées chronologiquement, permettrait de comprendre l’évolution du travail. De plus, pour le groupe, l’analyse de cette trace « se révèle un excellent moyen de faire un retour sur son fonctionnement et d’en tirer des pistes pour mieux collaborer » (Henri & Lundgren-Cayrol, 2003 : 64).

À la profondeur des échanges que le forum permet, s’ajoute une fonction particulière, celle d’aider à traiter les informations et les décisions qui résultent de discussions et à les mettre à la disposition du groupe. En effet, les forums électroniques ont été conçus pour faciliter les interactions humaines et pour encadrer la dynamique des groupes.

Leur architecture, leurs fonctionnalités et leurs interfaces invitent les usagers à adhérer au groupe, à s’engager envers celui-ci, à collaborer, à participer activement à ses activités. Les observateurs silencieux (lurkers), qui fréquentent souvent les babillards, n’ont pas leur place dans un forum. L’interface presse les usagers de participer. Presque chaque geste, chaque clic appellent une action ou une décision relative à la participation. [...] Au début de chaque message, les participants indiquent l’objet et signalent le lien entre le message qu’ils rédigent et les messages antérieurs. C’est un encouragement à la pertinence et à la cohérence. À tout moment, il est possible d’afficher les messages précédents pour reconstituer la trame de la discussion ; c’est un encouragement à l’élaboration d’une argumentation. Au fil des messages, des liens se tissent entre les idées et aussi entre les participants (Henri & Lundgren-Cayrol, 2003 : 66).

D’autre part, le mode de communication par forum, nous semble tout à fait propice à la construction par les participants d’un « espace transitionnel » (Bourdet, 2007 : 24), un espace où l’on se construit une identité, un corps, une personne, en établissant un espace transitionnel qui permet de se différencier d’autrui et de le rencontrer et « qui est la source de la possibilité d’être et d’apprendre, c’est-à-dire d’évoluer et de se transformer » (Bourdet, 2007 : 24). La création de cet espace imaginaire, dont la réussite d’une formation à distance dépend fortement, est liée à l’ouverture du dispositif de formation, à la possibilité offerte aux participants de parcourir de manières diverses la formation. Le choix du forum, comme principal outil de communication, contribue à la « temporisation des usages », « à la

110 personnalisation de la fréquentation du dispositif […] y compris lors des activités collectives » (Bourdet, 2007 : 25).

Les forums électroniques intégrés à une plateforme, Moodle dans notre cas, peuvent être attribués à un groupe spécifique. Cela signifie que les messages ne peuvent être lus et postés que par un nombre restreint de participants et le tuteur peut ou non être convié à y participer.

Au contraire, des forums peuvent être ouverts à de grands groupes et il revient au concepteur, en fonction des objectifs pédagogiques, d’organiser ces espaces de communication au préalable. À l’intérieur d’un forum, des sujets de discussion peuvent être ouverts par les apprenants, ce qui facilite l’organisation du travail en permettant de ranger les contributions par thématiques ou sous-thématiques. Plusieurs forums peuvent être ouverts simultanément sur une plateforme, certains forums peuvent être réservés à la réalisation d’un projet ou d’une tâche, d’autres à la planification du travail ou encore aux échanges informels. Cependant, la profusion de forums ne facilite pas forcément le travail collaboratif et peut compliquer inutilement l’organisation du travail. C’est ce qui a pu être remarqué lors de la première expérimentation de Fictif en 2008, où deux types de forums ont été attribués aux petits groupes de quatre et au grand groupe d’une trentaine d’étudiants, l’un pour l’accomplissement du projet et des tâches et un autre forum dédié à la planification du travail. Or ce dernier forum, n’a pas été utilisé par les apprenants, les étudiants préférant ouvrir un sujet de discussion dans le forum consacré à la réalisation du projet pour s’organiser. Dans ce cas, le deuxième type de forum a surchargé inutilement l’interface. Il est vrai cependant que les activités collaboratives de la FAD Fictif sont courtes (une semaine), or un projet de longue haleine ne pourrait probablement pas faire l’impasse d’un forum spécifiquement dédié à l’organisation du travail.

Le forum, qui réunit des groupes dans un espace virtuel, incite les participants à communiquer en mode conversationnel. Chacun jouit du droit de parole, chaque participant est invité à exprimer ses idées et à réagir à celles des autres. Le mode conversationnel du forum est un mode de communication unique : l’alternance des messages n’est pas soumise au tour de parole de la conversation orale – « conversation » doit être compris dans un usage extensif et moins comme un type particulier d’interaction verbale –, avec ce mode de communication,

« les règles d’étiquette et le code de comportement ne s’appliquent pas » (Henri & Lundgren-Cayrol, 2003 : 69). Les participants sont libérés de l’ordre séquentiel de la prise de parole et de la règle de politesse qui demande aux interlocuteurs de parler chacun à son tour, de

111 répondre plus ou moins explicitement à ce qui vient d’être dit, et pour les participants, il est possible à tout moment de faire part d’avis divergents. Cela explique que « d’un message à l’autre, le contenu n’a pas à être en rapport direct avec celui qui précède » (Henri &

Lundgren-Cayrol, 2003 : 69). Des points de vue concurrents, des raisonnements parallèles peuvent se suivre, de façon linéaire, parfois sans logique. Le système des tours de paroles des interactions en face à face, décrit par Kerbrat-Orecchioni (2006 : 160-162) où « la fonction locutrice doit être occupée successivement par différents acteurs », où « une seule personne parle à la fois » – tandis que deux ou plusieurs messages peuvent être postés au même moment dans un forum –, où les intervalles séparant les tours de paroles (gaps) sont courts (alors qu’ils peuvent être espacés de plusieurs jours dans un forum), est bien différent. À ces différences, s’ajoute l’absence de signaux de nature phonétique ou de nature mimo-gestuelle qui règlent l’aternance des tours. Et justement, l’absence d’indices paraverbaux dans le forum (ton, attitude, gestuelle) peut affecter la communication et la cohésion des groupes. Il n’est pas aisé pour les participants de ressentir la « présence sociale » des autres participants. À cela, s’ajoutent les intervalles de temps plus ou moins longs entre chaque message, qui peuvent causer un sentiment d’isolement. Le clavardage ou l’audioconférence, moyens de communication synchrones, peuvent compenser les limites sociales du forum.