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DES MODELES POUR L’ANALYSE DU MILIEU

I.1. CONNAISSANCES ET SAVOIRS DANS LA PERSPECTIVE DE LA DETERMINATION D’UN MILIEU POUR L’ENSEIGNEMENT DE

1.1.2. Savoirs, connaissances et transposition didactique

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capacité à assurer le maintien de la relation entre le sujet et le milieu, finalisé par la situation. Cette nécessité... devra être transportée dans le savoir. ”

Le modèle d’analyse ascendante et descendante de Margolinas (Margolinas 1994), dérivé de “ l’oignon ”, s’attache à préciser les connaissances des acteurs impliqués dans la situation, à chaque niveau de celle-ci. En reliant cette analyse à celle du temps didactique, il apparaît que les connaissances de l’enseignant sur la situation ne dépendent pas de ce temps (contrairement aux connaissances de l’élève) et donc que cette a-temporalité des différentes positions du professeur aux différents niveaux de milieu, et des connaissances y afférentes, est ce qui caractérise la place de l’enseignant dans la structuration du milieu. (Margolinas, 1997, Séminaire National de Didactique). Ces connaissances sont d’ailleurs une caractéristique de ce que Chevallard appelle son topos, sa place dans le milieu, et ne caractérisent pas une évolution de son rapport au savoir : “ Ceci implique (..) qu’il

(l’enseignant) reconnaisse ce milieu a-didactique comme territoire de référence culturelle et de fonctionnement des savoirs qu’il enseigne ”, ainsi que le dit Brousseau. (Brousseau 1990, cité ci-dessus)

Si donc les connaissances de l’enseignant ne sont pas ce qui contrôle l’évolution de sa position, dans l’analyse du milieu, c’est que ces connaissances sont d’une nature différente de celles de l’élève, et ne s’en distinguent pas simplement par un décalage temporel (les connaissances de l’élève “ rattrapant ” presque celles du professeur en fin d’apprentissage). J’avais tenté, dans Bloch 1997, de pointer la spécificité des connaissances de l’enseignant pour l’enseignement, c’est-à-dire justement celles qui lui permettent de contrôler la situation vécue et agie par l’élève. Une hypothèse faite alors était qu’il existerait une “ transposition didactique intermédiaire ” qui serait celle de l’enseignant (et qu’il reste très largement à étudier). On peut faire l’hypothèse que ce qui distingue les conaissances de l’enseignant tient :

• à leur nature (dans Bloch 1997 nous disions que ces connaissances étaient “ la part mathématique du didactique ”) ;

• à leur genèse (dans l’activité mathématique d’enseignement justement, par une transposition spécifique) ;

• à leur fonction, et en conséquence à leur fonctionnement.

L’étude des connaissances que le professeur manifeste dans la situation, pour la contrôler, et particulièrement dans les phases a-didactiques, apparaît donc comme une nécessité liée à celle de l’étude du milieu. (voir III)

Tout ceci nous conduit :

1) à nous interroger sur la nature des liens qu’entretiennent connaissances, savoirs et transposition didactique ;

2) à chercher comment modéliser, dans la perspective de l’étude de la structuration du milieu de l’enseignement de l’analyse, les activités respectives de l’élève et du professeur et les connaissances présentes dans cette (double) activité.

1.1.2. Savoirs, connaissances et transposition didactique

D’un point de vue convergent, on peut dire aussi que la distinction connaissance/ savoir est une nécessité de l’étude de la transposition didactique (cf Conne, 1997b) :

“ ... la distinction connaissance / savoir suit logiquement la prise en compte de la

transposition didactique comme phénomène....Pour moi, la didactique étudie le système enseignement / apprentissage. ..Les études didactiques opèrent ce que j’appelle un retour sur les savoirs et les pratiques. ”

Puis après une citation de Brousseau 1986, sur le fait que “ le milieu a-didactique est à la fois milieu actuel et représentation d’un système distinct du système éducatif ” :

“ La didactique se caractérise donc par une (nécessairement) double référence à la réalité ”. (Conne 1997b).

Cependant pour Conne, il y a lieu de faire des distinctions plus fines que celles exposées plus haut, et de distinguer connaissances et différents types de savoirs :

“ Je propose que l’on distingue le cas où le contrôle de la relation sujet/situation se trouve du côté de la situation, ce sera l’ordre de la connaissance, du cas où ce contrôle se trouve du côté du sujet (et de la représentation) ce sera l’ordre du savoir. (...) le savoir est de l’ordre de l’utilité des connaissances pour transformer les

situations. ” (Conne 1992, p.223)

“ L’ordre de la connaissance et l’ordre du savoir ne sont pas régis par des processus identiques, la situation les départage. (...) Enseigner, c’est travailler le savoir, pour induire dans un cadre situationnel choisi, un processus cognitif supportant l’apprentissage dont le produit sera en retour institué en savoir. ” (Conne 1992 p.249)

“ Un savoir est une connaissance utile. Utile est à prendre dans le sens le plus large possible : utilisable, à utiliser, etc. ” (idem p. 250)

De plus Conne distingue savoir-faire, savoirs réfléchis et savoirs savants — et parmi ces derniers, certains sont des savoirs institués :

“ En résumé, le savoir-faire est une connaissance utile en regard d’une situation donnée et du produit qui résulte de l’interaction. Le savoir-réfléchi est une connaissance utile en regard de la représentation à l’oeuvre dans cette interaction. (...). La finalité d’un savoir savant sera l’organisation et le développement des savoirs eux-mêmes. ... Les savoirs savants sont des savoirs sur les situations. ” (idem p. 255)

Les savoirs institués sont alors les savoirs qui jouent un rôle privilégié de référence. Ces savoirs institués ne sont pas forcément des savoirs scientifiques (“ l’astrologie en est un ”) et ne sont pas forcément des savoirs savants (les savoirs professionnels par exemple sont des savoirs pragmatiques). Mais, dit Conne, “ les savoirs institués se donnent à nous tout organisés (même si cette organisation ne nous est pas accessible). ” (Conne 1997b)

Ces considérations sont à prendre en compte aussi bien en ce qui concerne les connaissances de l’élève que celles du professeur, présentes dans le milieu organisé pour l’enseignement.

D’ailleurs à propos de la transposition didactique, Conne signale, (Conne 1992), ce qu’il nomme son ambivalence : à savoir la “ navette ” effectuée par celle-ci entre savoirs savants et savoirs enseignés.

“ Ainsi lorsque la transposition didactique procède d’un savoir savant, il lui faut transposer ce savoir en une situation pratique c’est-à-dire réaliser ce savoir comme savoir pragmatique. Il faut que le travail scolaire soit pour de vrai. En revanche, cette situation ne sera pas à prendre pour elle-même mais pour l’exemple , parmi tant

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d’autres réalisations pragmatiques qui eussent été possibles. C’est alors par l’enchaînement et l’articulation des situations elles-mêmes que la transposition didactique retrouvera le savoir-savant et son organisation, c’est-à-dire assurera que les savoirs scolaires s’organisent et se développent à la manière des savoirs savants. ” (Conne, 1992, p.263)

Dans un autre texte (Conne 1994) Conne nous invite à parcourir dans les deux sens la chaîne de la transposition didactique, afin de comprendre le processus qu’il nomme transposition de savoirs :

“ Du point de vue didactique, la double conversion opérée par l’acte d’enseignement correspond à ce que nous nommons une dévolution du savoir en connaissance, suivie d’une institutionnalisation de connaissance en savoir. Il n’est cependant jamais assuré que ceci se solde exactement par une boucle, que la connaissance induite par la situation soit reconnaissable comme le savoir que l’on se proposait d’enseigner, que le processus d’enseignement ait pu être à ce point contrôlé qu’il n’ait connu en cours de route aucun gauchissement. (...) Il y a donc un écart connaissance / savoir qui se manifeste par une dérive transpositive. ” (Conne 1994 p.9)

Comment dans ces conditions faire état d’une connaissance manifestée par un sujet dans une situation ? cette connaissance est-elle reconnaissable par le savoir correspondant ? et sur quels critères ?

Si donc nous étudions les savoirs et connaissances en jeu dans une situation d’enseignement, n’y a t-il pas le risque que nous perdions de vue l’objet de savoir visé par l’enseignement pour n’étudier que des objets infiniment dérivés, construits par la théorie didactique qui les considère comme des connaissances relevant de ce savoir ? autrement dit quel est le rapport entre le savoir (les savoirs institués) et ce qu’on peut en lire dans l’expérience ?

Afin d’éviter ces dérives de l’étude didactique, dérives signalées aussi bien par Chevallard (Chevallard 1991, chap.2) que par Brousseau (Brousseau 1986), Conne propose de remonter la chaîne de la transposition didactique : en effet considérer la transposition didactique dans le sens unique savoirs → connaissances risque de contribuer à la dérive mentionnée.

“ Rappelons que cette chaîne se définit par : xxx → objet de savoir → objet à enseigner → objet d’enseignement. (...) Ma réponse à ceci se trouve en filigrane dans ma thèse, puisque je propose en fait de prolonger la chaîne transpositive jusqu’à l’objet effectivement appris et à la remonter en examinant aussi les reflux de la transposition, sous forme des objets restitués par les acteurs sis aux différents maillons de la chaîne : xxx → objet de savoir → objet à enseigner ← → objet d’enseignement ← → objet enseigné ← → objet appris.(...)

La transposition didactique est donc un cadre théorique pour l’étude et le travail sur les décalages cognitifs à l’école et plus précisément en classe. Je ne me contente pas de tendre le fil sur lequel descendrait la transposition, mais je considère qu’il est parcouru par une navette qui assume les descentes et remontées des connaissances ou des objets d’enseignement. ” (Conne 1994 p.17)

Dans cette navette nous retrouvons les connaissances du professeur, qui a “ [reconnu] ce milieu a-didactique comme territoire de référence culturelle et de fonctionnement des savoirs qu’il enseigne ”, et qui pourra reconnaître (et éventuellement institutionnaliser) les

connaissances et objets enseignés lors de leur remontée. Ce qu’il est important de noter ici, c’est qu’il apparaît clairement que cette navette de la transposition didactique ne peut fonctionner sans un double investissement de connaissances, côté élève et côté professeur. Si les connaissances du côté de l’élève ont été évoquées dans de nombreux travaux (à travers les conceptions, ou les connaissances à acquérir — faire acquérir par l’élève, ou les théorèmes en acte et modèles implicites d’action) il n’en va pas de même pour les connaissances du professeur, qui sont moins étudiées (voir cependant les travaux de C.Margolinas à ce sujet ; M.Legrand a également évoqué ces connaissances de l’enseignant en parlant de contrôle épistémologique du professeur sur la situation : cf Legrand, 1991 et Di Martino, 1992). Surtout, il apparaît à l’issue de cette étude qu’il peut être producteur d’étudier conjointement ces différentes connaissances, au lieu de les disjoindre. C’est pourquoi, suivant en cela F.Conne, nous parlerons de connaissances du couple enseignant/enseigné, dans le travail de la classe qui est identifié comme une activité mathématique propre aux deux composantes de ce couple : l’élève et le professeur.

1.2 ACTIVITE MATHEMATIQUE DU COUPLE