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ACTIONS ET CONNAISSANCES DU PROFESSEUR DANS LA SITUATION D'APPRENTISSAGE

DES MODELES POUR L’ANALYSE DU MILIEU

II. MODELISATION DES SAVOIRS ET CONNAISSANCES DU PROFESSEUR

II.3 ACTIONS ET CONNAISSANCES DU PROFESSEUR DANS LA SITUATION D'APPRENTISSAGE

La recherche en didactique a depuis bien longtemps mis le doigt sur la difficulté qu'on rencontre chaque fois qu'on veut caractériser ce que fait le professeur dans sa classe, dès qu'on sort du contrat clairement balisé du cours magistral. Les travaux de Chevallard (Chevallard 1996) ont mis en évidence les tâches du professeur ; nous les avons aussi évoquées ci-dessus. Cependant, quand on a défini ces tâches, on n'a pas pour autant réglé le problème de l'action du professeur : que fait-il, pour remplir ces tâches ?

Si nous reprenons les termes de Margolinas (Margolinas, 19/10/97, exposé au Séminaire National de Didactique, Paris) :

22 Sur la dévolution, voir Brousseau 1990, p. 324 et suiv. ; Sensevy, 1998, p.64.

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« Questions de vocabulaire :

Action est un terme générique, que l’on aborde dans la théorie des situations par la détermination d’une situation d’action et des états du jeu. En ce sens, l’action d’un joueur est ce qui modifie les états du jeu.

Le mot choix désigne tantôt une décision effective, tantôt l’existence de plusieurs options pour l’action, ou encore de plusieurs issues correspondant à des actions différentes. C’est ce dernier sens qui est privilégié ici.

La décision est liée à l’existence de la conscience d’un choix pour le sujet.

L’anticipation garantit le lien entre la décision et l’issue de l’action. Dans une situation d’action, l’apprentissage par adaptation est lié de façon essentielle à l’existence d’anticipation.

Le problème que je me pose est donc de déterminer les choix d’un professeur dans une situation didactique donnée, d’observer les décisions qui sont prises par un professeur dans une situation didactique dans laquelle les choix possibles ont été étudiés, mais également d’évaluer quelles peuvent être les connaissances acquises dans une telle situation, envisagée comme une situation d’apprentissage pour le professeur. »

Bien que cette définition de l'action ne nous paraîsse pas lever toute ambiguité sur ce que recouvre le mot (dans le modèle, et dans le système) nous essaierons de partir de cette formulation, tout en prenant également en compte la méthodologie proposée par Robert. Parmi les axes d'analyse des tâches, introduits par Robert, certains sont aussi centrés sur l'enseignant et nous les reprendrons (cinquième et sixième axe d'analyse d'une situation, côté enseignant : Robert 1998 p. 180 - 181). Remarquons qu'il est difficile de décrire l'action de l'enseignant, ce qui explique qu'un certain nombre de chercheurs y aient travaillé dans différentes directions.

II. 3.1 Remarques sur la difficulté de décrire l'action de l'enseignant

Les difficultés rencontrées lors de cette tentative de caractériser les actions de l'enseignant, nous semblent intrinsèques à la description et la modélisation du rôle du professeur. Ces difficultés sont de deux ordres :

1) le professeur agit certes dans la classe mais ses actions sont de nature diverses (pédagogiques, didactiques) et fortement imbriquées : telle décision pourra s'avérer être de nature didactique (ayant pour effet de modifier le travail et son issue) alors qu'elle est « camouflée » en décision pédagogique (modifier les groupes de travail à cause du bruit, interrompre un type de travail pour des raisons d'organisation, etc...). Le contraire (décision pédagogique transformée en didactique) peut également exister, et on peut envisager tous les niveaux d'imbriquement entre les deux.

Celles qui nous intéressent ici sont les décisions et les actions didactiques (celles qu'on peut considérer comme faisant partie de la situation du professeur); il faudra donc les identifier et les caractériser.

2) nous avons évoqué la difficulté qu'il y a à identifier, en quelque sorte une par une, les actions du professeur. Le niveau de l'action pure est bien sûr trop rudimentaire pour nous permettre d'étudier l'évolution de la situation. Le professeur parle, écrit, se manifeste par une gestuelle... tout ceci pouvant être significatif par rapport à la gestion de la situation, ou pas du tout. La définition ci-dessus donne plus de prise, du moins dans le modèle : il reste à préciser

à quoi tout ceci correspond dans le système, c'est-à-dire à faire fonctionner ce modèle. Convenons donc que les actions du professeur, dans la situation, sont ses

interventions, c'est-à-dire bien ce qui modifie la situation, ce que nous allons préciser. Modifier la situation, ce peut être :

— modifier l'incertitude de l'élève (confirmer par exemple que tel calcul est utile, ou bien engagé, ou au contraire faire bifurquer les élèves car l'enseignant s'aperçoit qu'ils ne vont pas là où il veut les envoyer);

— modifier le jeu (les règles), consciemment (si ça ne fonctionne pas, ou si l'enseignant pense que ça ne fonctionne pas); ou inconsciemment, sous couvert d'une décision mineure en apparence;

Dans tous les cas, nous pensons que ces interventions ne peuvent en aucun cas s'interpréter en elles-mêmes, mais qu'il est nécessaire de les rapporter à l'effet qu'elles ont sur l'élève et le milieu de l'élève (celui avec lequel il interagit)23; en ce sens, comme dit plus haut, le système antagoniste du professeur est le système élève- milieu de l'élève. Autrement dit, les interventions du professeur se repèrent par leur interférence avec le jeu de l'élève, par leurs effets sur la situation de l'élève (en termes de modifications ou au contraire de confirmations). Ces interventions peuvent donner lieu, de cette façon, à des observables ; en effet nous faisons l'hypothèse que les effets de l'intervention du professeur sont repérables dans le milieu des élèves, et que ces effets permettent de déterminer de quelle nature est l'intervention. Toute intervention du professeur devra être replacée dans cette perspective; en effet, étudier une intervention du professeur « pour elle-même » ne donne guère de renseignement sur cette intervention dans la situation : les exemples sont nombreux, de professeurs ayant cru intervenir sur la situation et qui ont en fait parlé dans le désert; C.Margolinas en a d'ailleurs étudié (cf Comiti, Grenier, Margolinas, 1995). Hache et Robert ont aussi étudié des interventions de professeurs, suivant trois axes (cf Hache et Robert, 1998, p. 119) : la fonction du discours (relative aux décisions didactiques), l'objet du discours (mesurant le degré de décontextualisation) et la teneur du discours (relative aux sollicitations envers les élèves et à la distance entre le vocabulaire employé et le vocabulaire mathématique). Nous nous centrons plutôt sur le premier axe, c'est-à-dire les interventions du professeur et ses décisions d'ordre didactique; et nous tentons :

— d'une part, de situer ces interventions dans le milieu;

— d'autre part, d'étudier l'effet de ces interventions sur la conduite de la situation et sur le maintien (ou non) d'une composante a-didactique.

II. 3.2 Typologie des tâches du professeur

a) Dans le milieu objectif

Le professeur, nous l'avons dit, a plusieurs rôles dans le milieu objectif : — engager la dévolution;

23 Par abus de langage nous disons : "milieu de l'élève", "milieu du professeur"; il est clair qu'il s'agit du milieu avec lequel interagit l'acteur concerné, et que ce milieu n'est pas propre (n'appartient pas) à l'acteur, mais est une caractéristique de la situation : c'est le milieu avec lequel l'élève (ou le professeur) se trouve interagir dans cette situation.

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— observer : le fonctionnement convenable de la situation de référence, les procédures des élèves, les erreurs, le fonctionnement de la classe (échanges dans les groupes et entre groupes, formulations, oppositions...);

— reconnaître les connaissances des élèves, et en tout premier lieu s'assurer que ceux—ci ont bien à leur disposition les connaissances nécessaires pour s'engager dans le jeu proposé;

— préparer l'étape suivante de la situation, de façon à ce que le jeu des élèves s'avère possible dans la phase de formulation et de validation.

Ces rôles induisent des actes, et nous en avions signalé quelques uns au II.2.2. Ces actions sont notamment celles relatives à l'observation systématique des élèves.

G.Sensevy également a pointé quelques gestes professionnels de l'enseignant dans le milieu objectif. Relevons donc certains de ces gestes :

— l'aide au travail de collaboration dans les groupes;

— la facilitation du dialogue entre élèves, par une aide au niveau du vocabulaire spécifique par exemple;

— la mise en évidence des conflits entre des interprétations contradictoires des élèves; tâches signalées par Sensevy (Sensevy 1998, p.116 ; voir aussi Sensevy (à paraître), intervention à la Xème Ecole d’Eté de didactique des mathématiques), auxquelles nous ajoutons :

— le contrôle du bon fonctionnement du milieu objectif;

— la réaction si la situation ne fonctionne pas (a priori ceci ne devrait pas se produire dans une situation a-didactique construite conformément à la théorie, du moins si elle est gérée par un professeur expérimenté, c'est donc un cas qui se présentera surtout pour une situation non contrôlée par cette théorie; cependant même dans une situation éprouvée, il peut y avoir problème si l'enseignant ne s'est pas assuré que les connaissances nécessaires au jeu dans la situation sont bien disponibles chez tous les élèves.);

— le relevé des procédures, essais, erreurs, réussites... des élèves, acte essentiel pour la poursuite de la situation. Ce relevé n'est en aucun cas une simple énumération; le professeur doit pouvoir classer les productions des élèves, et les mettre en correspondance avec des connaissances, des savoirs... ou au contraire y reconnaître un (des) élève(s) aux prises avec une ignorance institutionnelle, ce qu'A.Mercier nomme un épisode didactique..24

Ce relevé permettra au professeur d'enclencher le processus de validation dans la situation d'apprentissage.

Dans une situation d'enseignement classique, ce relevé n'a pas lieu d'être; il y au moins deux raisons à cela :

— le professeur est par exemple dans un cours dialogué : dans ce cas il réagit dans

l'instant aux remarques ou questions des élèves; il utilise ses connaissances et surtout ses savoirs mathématiques / didactiques pour ramener toujours le cours — les élèves — dans la direction qu'il souhaite leur voir prendre. A supposer que ce soit un cours magistral, les échanges avec les élèves sont alors réduits au minimum; la question de relever leurs réactions est alors sans objet. 25

24 Sur l'importance de la rencontre personnelle, par un élève d'une ignorance institutionnelle, voir Mercier, 1992, 1995; Sensevy, 1998.

25 Voir Brousseau, 1996, cours à la VIIIème école d'été de didactique des mathématiques, sur les contrats faiblement didactiques

— la suite du cours ne dépend pas des productions des élèves : en effet un cours classique suit, en principe, un chemin presque immuable qui est celui que le savoir a balisé. Il en est bien sûr tout autrement d'une situation a-didactique, où, nous le redisons, les procédures que les élèves pourront engager à la phase de validation dépendront de ce que le maître aura reconnu chez l'élève et dont il aura favorisé l'expression, et ce, d'autant plus que l'élève est jeune.

Ce point nous paraît essentiel; prenons un exemple dans l'enseignement élémentaire : dans la situation fondamentale du dénombrement (aller chercher en une seule fois une collection équipotente à une collection donnée); les enregistrements réalisés montrent l'enseignant interrogeant l'enfant sur sa réussite ou son échec, afin de lui permettre de poursuivre et, comme dans (Brousseau 1987) ci-dessus, de comprendre qu'il y a une question à déterminer. Et pourtant ces deux situations comportent une possibilité de validation matérielle; mais, ainsi que le dit D.Fregona (Fregona 1995) le milieu matériel n'est pas un milieu pour la validation. Validation peut donc signifier validation à l'aide du milieu

matériel, ou bien validation de l'action par le milieu matériel, mais la validation des

connaissances répond toujours à une question théorique (c'est une question de savoir : savoir réfléchi ou savoir savant), donc elle ne se produit pas dans le milieu matériel. Les phases de validation, par exemple sous forme de bilan collectif, jouent bien ce rôle de reconnaissance des procédures des élèves et des avancées du savoir auxquelles correspondent ces procédures. Dans l'enseignement de la théorie qui nous occupe, l'analyse, le milieu matériel peut, dans certaines situations, n'être qu'évoqué, ou être constitué déjà d'outils sémiotiques, représentants de concepts moins élaboré que celui qui est visé par la situation; voire même d'outils sémiotiques du concept visé, mais provisoirement peu sophistiqués ; on comprend facilement qu'il est d'autant plus important que le professeur soit capable, à tout instant, de repérer où en sont les connaissances, les procédures des élèves; sinon il risque de s'engager seul dans le processus de validation, sans même le recours à un milieu matériel qui aide professeur et élèves à statuer sur les réussites ou les échecs de ces mêmes élèves. Pour ce repérage, le professeur a déjà besoin de connaissances mathématiques et didactiques. Pour engager favorablement la phase suivante, il lui faut de plus savoir que faire des connaissances des élèves (et des siennes!). C'est par ce faire qu'il met en œuvre ses connaissances dans le milieu de référence. C'est pourquoi nous avons dit que celui-ci est un milieu pour l'action du professeur.