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d) Obstacles au fonctionnement opératoire

IV. CHANGEMENTS DE REPR?SENTANTS

Si nous envisageons d'utiliser plusieurs registres en interaction les uns avec les autres, nous aurons forcément à prévoir des tâches relatives à la coordination entre registres. C'est ce que nous allons étudier à présent.

IV.1 PROBLEMATIQUE DU CHANGEMENT DE REPRESENTANTS

Le fait de concevoir les représentants possibles d’un concept comme dotés d’un caractère réducteur amène à envisager que le concept lui-même ne peut se construire qu’à travers les différentes visions qu’en peuvent donner les représentants (ce qui correspond en partie au jeu de cadres selon R.Douady). Cependant il n'est pas sûr que la coordination des registres soit un préalable à la compréhension : il semble tout à fait possible, et très vraisemblable, que des connaissances locales puissent s'élaborer dans des registres différents. Ces connaissances peuvent se trouver coordonnées plus tard lors d'une reprise ou d'un approfondissement du concept. Par ailleurs, nous l'avons dit, nous adhérons à l'idée de Bosch et Chevallard, de ce que les technologies relatives aux changements de représentants sont partie intégrante de l'organisation mathématique étudiée, et non des moyens externes de contrôle des ostensifs. Quoiqu'il en soit, il peut être intéressant, en vue de la construction d'un milieu pour l'apprentissage de la notion de fonction, d'étudier ces connaissances et de voir si certains traitements dans un registre, ou certaines conversions entre registres, peuvent être introduits dans une situation d'enseignement avec un gain du côté du sens du concept (au niveau de l'action), ou des possibilités de formulation et de validation.

IV.1.1 Traitement et conversion

On peut penser que des connaissances sont construites dans un registre lors d'un apprentissage ; ces connaissances seront alors spécifiques à l'outil ou au registre utilisé à cette occasion. Par contre dans une tâche relative au passage d'un registre à un autre, des connaissances spécifiques à la transformation peuvent se trouver mobilisées, ou construites. Il s’ensuit que certaines connaissances doivent être spécifiques des outils, tandis que certaines connaissances sont spécifiques des transformations entre représentants. Ces connaissances sont mises en œuvre à l’occasion de certaines tâches qu’il sera nécessaire de spécifier.

Afin d’analyser les connaissances et savoirs en jeu dans ces transformations de registres (conversion ou traitement), nous distinguons, suivant toujours Duval, deux types de transformations entre représentants d’une même fonction :

— les transformations à l’intérieur d’un registre ou traitement ; — les transformations entre deux registres différents ou conversion.

A ces deux caractéristiques il faut ajouter un troisième critère pour analyser les transformations : une opération sur un représentant de la fonction qui a pour effet de modifier la fonction elle-même (par exemple une tranlation d'une représentation graphique de fonction, ou le changement d'origine du repère). C’est-à-dire que finalement on obtient quatre types de transformations :

1. les transformations qui modifient le représentant mais pas la fonction (la fonction est perçue comme l’invariant de ce type de transformation) :

1.1 les transformations à l’intérieur d’un registre ; 1.2 les transformations entre deux registres différents.

2. les transformations qui « changent » la fonction, et qui peuvent se produire là aussi :

199 2.1 à l'intérieur d'un même registre ;

2.2 entre deux registres.

(Par exemple un changement d'origine du repère ne modifie pas une courbe, mais l'équation de la courbe est modifiée, donc la fonction à étudier l'est aussi).

IV. 1.2 Congruence des représentations

Duval a noté d'autre part que les changements de représentants sont d'autant plus faciles que les représentations sont congruentes, c'est-à-dire que l'une est la traduction de l'autre, ceci pouvant se produire dans le même registre ou dans des registres différents. Ainsi les formulations :

A : « l'ensemble des points dont l'ordonnée est supérieure à l'abscisse » et A' : « y > x » sont congruentes, l'une dans le registre de la langue naturelle, l'autre dans le registre algébrique ; alors que B : « l'ensemble des points dont l'abscisse et l'ordonnée ont le même signe » et B' : « xy > 0 » ne le sont pas.

Pour chaque transformation effectuée, la difficulté dépendrait donc de cette plus ou moins grande congruence. Il n'y a pas, a priori, de raison de penser que des transformations à l'intérieur d'un même registre soient forcément plus congruentes que certaines transformations entre registres distincts. C'est à examiner pour chaque cas. Ainsi « l'ensemble des points M(x,y) tels que y>0 » ; « le demi plan situé au-dessus de l'axe des abscisses » et la représentation graphique de cet ensemble, sont trois représentants congruents du même ensemble. Duval (1996) remarque d'autre part que, dans une tâche de conversion, la non congruence peut être très forte dans un sens (du registre A vers B) et très faible dans l'autre sens (de B vers A).

Dans l’analyse de Bosch et Chevallard (1999), la non congruence traduit en fait quelque chose qui est susceptible de nous intéresser, du point de vue de l’analyse des connaissances en jeu dans un travail : l’existence d’une organisation mathématique restée souvent implicite, ou manquante, et qui est le savoir (ou la connaissance) permettant de passer d’un représentant à l’autre; ce savoir se traduit (ou se traduirait) par une chaîne d’ostensifs, qui rend compte de la transformation des représentations. S’il y a donc des représentants pour lesquels le passage peut se faire de façon très économique, du point de vue de l’organisation mathématique et des ostensifs mobilisés, il y a des représentants entre lesquels ce passage est dépendant d’une chaîne plus importante d’ostensifs. Si cette chaîne n’est pas prise en charge dans l’enseignement, la transformation apparaîtra comme relativement opaque ; l’élève aura seul à reconstituer la chaîne manquante, ce qu’il fera plus ou moins aisément. Or l’enseignant, tributaire des habitus de l’institution dans laquelle il fonctionne, risque de ne pas percevoir le travail en jeu dans cette transformation. Ce travail ne pourra donc s’exprimer que sous forme de connaissances privées, et ne recevra pas le statut de savoir; et l’institution peinera à identifier la nature du manque, donc continuera de ne pas le traiter. C’est ce qui se produit dans l’exemple donné par Duval : traduction vectorielle d’une disposition de points sur une droite (Duval 1996 p. 366). C’est aussi ce qui est en jeu dans les manques relatifs à la constitution de tableaux de variations à partir de l’expression algébrique de la fonction (voir ci-dessus au II.2.2).

IV.1.3 Changement de représentant et connaissances

Cette interprétation de la non congruence (manque de visibilité d’une organisation mathématique permettant la transformation) nous alerte sur le fait que les activités de changement de représentant ne sont pas déterminées par les codages des représentants : codage de départ, codage d’arrivée. En ce sens elles engagent l'activité du sujet d'une façon qui n'est pas algorithmique.

Donnons un exemple : on peut donner une règle permettant de coder des points par leur abscisse et leur ordonnée, mais cette règle ne suffira pas pour tracer la représentation graphique d'une fonction affine ou du second degré : le sujet qui trace la RGC devra se servir des caractéristiques connues de la fonction (coefficient directeur si c'est une droite, allure de la parabole, sommet de celle-ci si c'est une fonction du second degré) pour tracer celle-ci. Il s'ensuit que les transformations dans un même registre, ou entre registres, ne se laissent pas analyser comme des codages/décodages, de façon algorithmique ; c’est encore une raison de considérer les changements de représentant en termes de connaissances du sujet qui effectue la transformation ; et ces connaissances ont trait au concept mathématique sur lequel porte le travail. Il est raisonnable de penser que ces connaissances doivent d'autant plus avoir trait au concept sous-jacent que les représentants ou les registres sont non congruents : en d'autres termes, si les représentants sont de nature très hétérogènes, c'est le sens du concept qui guide la transformation. Il faut entendre ici le sens du concept dans une situation d’action ou de formulation, c’est-à-dire que la transformation sera guidée par le milieu dans lequel elle sera effectuée, et les rétroactions du milieu ou les validations possibles dans la situation.

De façon réciproque, on peut supposer alors que les transformations puissent jouer un rôle dans la compréhension d’un concept, puisqu'elles obligent à contrôler le sens par des connaissances ayant trait non seulement au représentant, mais bien au concept. C'est d'ailleurs ce que soutient Duval, qui affirme même que la compréhension convenable d'un concept ne peut se faire sans la coordination des registres de représentation (Duval 1994). Sans le suivre forcément jusque là, nous pouvons remarquer que le contrat actuel de l'enseignement secondaire ne met que peu en interaction les différents registres de représentation qu'il sollicite : le registre algébrique fonctionnant essentiellement dans la résolution d'équations et l'étiquetage des courbes, et le registre graphique de façon idéogrammatique. Afin de mobiliser des connaissances fonctionnant comme outils de validation et de contrôle dans un travail sur les fonctions, il est donc souhaitable de prévoir des tâches de conversions entre registres distincts ; et ceci d'autant plus que nous avons noté qu'un registre (comme le registre formel) pouvait être plus propre à la validation alors qu'un autre (le registre graphique) permettait le travail sur des propriétés de l'objet « fonction » (propriétés non prises en compte dans un autre registre), mais qu'il était plus propre à l'ostension.

Par rapport à notre problématique, il nous paraît important d’insister sur le fait que le milieu est déterminant : c’est la détermination d’un milieu convenable qui assure bien que le travail se fait sur le concept visé, et ce sont les possibilités de validation ouvertes dans ce milieu qui attestent de ce que le rapport au savoir visé est effectif. Ce qu’affirme Duval, c’est qu’un tel milieu a tout avantage à intégrer des ostensifs de différents registres et des tâches de conversion.

On peut alors se poser plusieurs questions :

— quel est le statut, dans la classe, des tâches de traitement et de conversion ? Sont-elles initiées par le professeur, ou produites spontanément par les élèves ?

— quelles sont les connaissances en jeu dans les tâches de traitements et de conversions ?

— comment les repère-t-on ? (dans quelles situations)

— sont-elles spécifiques des registres, des transformations, du concept ?

— et quelles sont les situations pour lesquelles ces connaissances sont opératoires ?

IV. 1.4 Traitements et conversions entre registres : approche didactique

L’utilisation, dans la classe, de registres de représentation se fait par des écritures, un langage, des symboles… qui sont représentatifs, à un moment donné, de ce que les élèves et le professeur ont en commun comme répertoire pour traiter une question mathématique. On peut définir un répertoire comme étant un ensemble de connaissances (y compris des situations) susceptibles d’être mises en œuvre dans certaines situations relatives à cette

201 question mathématique62.

Un répertoire peut être décomposé comme une praxéologie didactique : en tâches, techniques, technologies, théories. On peut aussi le considérer du point de vue des connaissances, et essayer de classer celles-ci, ce qui ne sera pas traité dans cette travail. Ce qui nous intéresse est l’évolution des répertoires sous l’influence de l’enseignement, afin de chercher si un traitement, ou une conversion, peut se produire spontanément, ou sous l’influence du professeur, et de quelle manière.

Considérons le répertoire de la classe, relatif à un savoir mathématique, à un instant t, soit R(t) ; et soit R(t + 1) le répertoire relatif au même savoir, après une intervention didactique, porteuse d’une intention didactique de faire évoluer les connaissances de la classe. Alors R(t) et R(t + 1) sont d’intersection non vides, mais le répertoire ayant évolué, certaines connaissances ont été abandonnées car non adaptées, et d’autres sont acquises ; en même temps que ces connaissances, les ostensifs qui leur sont associés, dans un ou des registres, ont évolué. Cependant :

— certains éléments ont évolué dans le sens voulu de l’intention didactique ;

— certaines évolutions sont spontanées, et vont ou non dans le sens voulu par l’intention didactique ;

— certaines connaissances, que le professeur voulait rendre obsolètes, ont résisté ; — certaines intentions didactiques sont sans effet.

Ce qui peut être traduit par le schéma figurant page suivante.

Pour ce qui est des traitements et conversions, il s’agit d’une transformation d’ostensifs, soit dans le même registre, soit dans un registre différent. Or on peut observer, chez les élèves, des traitements et conversions spontanés, car les sujets apprenant ont une grande propension à chercher des formes voisines, ou traduites, d’une connaissance (par exemple des analogies, des traductions abrégées, etc…). Le travail du savoir est de limiter les traitements et conversions à ceux qui sont légitimes : on peut donc envisager des traitements - conversions spontanés des élèves, auxquelles l’institution offre une résistance car elles vont à l’encontre du savoir ; et aussi des traitements - conversions légitimes, prônés par le professeur, et que les élèves n’arrivent pas à faire. La dialectique traitement - conversion / traitement - conversion légitimes est donc complexe ; et distinguer les effets de l’intervention didactique dans l’apparition de traitements et de conversions l’est tout autant.

Schéma 4. 2

R(t) R(t +1) Intentions didactiques Connaissances qu’on voulait rendre obsolètes

et qui ne l’ont pas été

Intentions didactiques sans effet Evolutions spontanées Evolutions dues à l’intervention didactique

62 Pour des définitions plus circonstanciées, se reporter à la thèse (en cours) de F.Genestoux.

IV.2 CONNAISSANCES ASSOCIEES A L'UTILISATION DES

REPRESENTANTS ET AUX CHANGEMENTS DE REPRESENTANTS

Les connaissances associées à l'utilisation d'un registre sont liées aux caractéristiques des registres ; elles viennent de la distinction des symboles pertinents du registre (par exemple, dans le registre graphique, le repère, son orientation, les unités sur les axes....). Mais des connaissances qui nous intéressent particulièrement sont attachées aux caractères des