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DES MODELES POUR L’ANALYSE DU MILIEU

II. MODELISATION DES SAVOIRS ET CONNAISSANCES DU PROFESSEUR

II.2 ANALYSE ASCENDANTE DE LA SITUATION DU PROFESSEUR

II.2.3 Le milieu de référence de l'élève

Si nous voulons identifier le milieu du professeur, il nous semble nécessaire de préciser le fonctionnement pour l'élève de la situation à ce niveau.

Le milieu de référence pour l'élève est finalisé : en effet c'est à ce point d'avancement de la situation qu'apparaît le but explicite de celle-ci (pour l'élève, ce qui diffère bien entendu du but pour le professeur : par exemple dans la situation du puzzle (Brousseau 1987 p. 134), le milieu de référence « pièces construites du puzzle » est finalisé pour l'élève par la nécessité de reconstruire le puzzle avec les différents morceaux, et la recherche des conditions qui peuvent conduire à cette réussite). Autrement dit, le milieu de référence est celui où l'élève prend prise sur la situation, c'est-à-dire celui où ses connaissances se transforment en savoirs (en connaissances utiles), où l'élève saisit ce qu'il y a à comprendre - à ce niveau - de la situation : par exemple pour le puzzle, qu'il existe une méthode (ou des méthodes) qui permet de réussir « à tous les coups », et que cette méthode ne consiste pas à ajouter 3 à toutes les dimensions. Ceci est d'ailleurs fortement lié à la problématique de dévolution évoquée au paragraphe précédent.

C'est à ce stade que commence la problématique de validation : qu'est-ce qui permettra de dire que la méthode trouvée est bien la bonne ? C'est cette question théorique qui fonde le travail dans le milieu de référence, et non plus une question matérielle comme précédemment (les pièces du puzzle vont-elles se raccorder de façon satisfaisante ?).

On peut dire encore que l'élève s'engage dans une résolution consciente ; c'est une étape de la dévolution, celle où l'élève prend en charge une recherche (qui peut être systématique) de savoirs donnant prise sur la situation. Rappelons en effet que d'après aussi bien (Brousseau 1981) que (Margolinas 1993), le milieu pour la validation ne peut être le milieu matériel ; il s'ensuit que dans une situation comme le puzzle, la problématique de validation ne vient pas de la tâche matérielle à accomplir, mais de la recherche des savoirs permettant d'accomplir cette tâche (et permettant même de le faire en l'absence de cette tâche, c'est-à-dire avec un milieu matériel évoqué).

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Dans ces conditions il peut y avoir demande, de la part des élèves, de renégociation du contrat, c'est-à-dire rupture de contrat provoquée par les élèves : on en trouvera un exemple au chapitre 5, les élèves demandant explicitement quels savoirs leur permettraient de distinguer fonctions majorées et fonctions admettant un maximum sur un intervalle. Dans cet exemple le milieu matériel peut être constitué de schémas, représentations graphiques de fonctions; le changement du niveau de milieu s'effectue lorsque les élèves ne travaillent plus simplement sur des exemples (illustrés par des ostensifs algébriques ou graphiques) de fonctions majorées ou non majorées (par exemple les fonctions « simples », x2, x3, ...) mais sur la question théorique : « Y a-t-il, dans l'analyse classique, des savoirs qui permettent d'affirmer à coup sûr qu'une fonction est/n'est pas majorée ? qu'elle admet ou non un maximum sur I ? »

Dans cette dynamique des connaissances et savoirs, tous les élèves n'en seront peut-être pas au même niveau : certains ne mettront en oeuvre que des savoirs réfléchis 19 alors que d'autres en sont à la recherche de savoirs savants (tels les élèves souhaitant discriminer le cas des fonctions majorées des fonctions ayant un maximum). Dans cet exemple, ce sont des élèves de Première Scientifique, donc ils ont une certaine expérience des mathématiques, ils savent que les savoirs savants peuvent être un raccourci, éviter de replonger dans la situation à chaque fois en étant obligés de vérifier si on est dans le cas « maximum » ou « majoré »; ou éviter de tâtonner sur les graphiques pour essayer de voir les contraintes par l'expérience. Dans ce cas ce sont les élèves qui demandent une renégociation du contrat, orientée sur la recherche de savoirs. Mais on peut l'observer aussi pour un élève très petit, tel cet élève de maternelle, 5 ans et demi qui ne s'engage dans la tâche de distribution (5 objets pour deux tables, une de 4 et une de 3) donnée par la maîtresse qu'intellectuellement (il ne fait pas d'essais) et lui dit : « maîtresse, on sait bien que tu veux nous faire réfléchir! »,et n'accepte de réaliser la distribution qu'après avoir résolu le problème.

Tous sont à la recherche d'une pertinence de la tâche qui peut s'interpréter en termes de savoirs : le contrat, dans le milieu de référence de l'élève, n'est plus de tâtonner pour y arriver mais de déterminer pourquoi et comment on y arrive.

Citons Rationnels et décimaux dans la scolarité obligatoire, p. 174 (Nadine et Guy Brousseau 1987) :

« Certains élèves n'arrivent pas à envisager une stratégie et ne comprennent pas quelles comparaisons ils peuvent faire. (Il s'agit du problème qui suit le puzzle, la

détermination d'un »optimist » réduit). Le but pour les enfants n'est pas d'accomplir une tâche, mais de la déterminer. »

C'est en ce sens que l'élève maîtrise la situation ; il peut même se poser des questions sur la situation et non plus dans la situation (savoirs savants comme pour les fonctions majorées, ou la situation de distribution). Rappelons les questions que nous posions ci-dessus :

1) à quel(s) moments(s) l'élève peut-il prendre ce contrôle de la situation ? 2) quelles conditions le permettent ?

Considérant toujours la situation du puzzle, nous sommes alors amenés à la replacer dans son contexte, c'est-à-dire comme étape de la construction des fractions ; rappelons (cf Brousseau 1987 et Margolinas 1993) que le puzzle est introduit à la suite de la situation

19 Cf Conne 1992.

« Epaisseur des feuilles de papier », pour pouvoir donner du sens au produit de deux fractions, à travers une situation où l'un des nombres considérés a un statut de mesure (comme dans les feuilles de papier) et l'autre un statut d'opérateur sur le premier.

La lecture de l'étude des séances (Brousseau 1987), comme de l'analyse qu'en fait Margolinas (Margolinas 1993, p. 139 à 148), fait bien apparaître que chaque nouvelle tâche « replonge » à nouveau certains élèves au moins dans le milieu matériel, c'est-à-dire un milieu qui ne permet pas la validation, ni le contrôle de l'élève. On pourrait dire la même chose pour les fonctions : certains élèves ne se saisissent pas immédiatement des savoirs sur les fonctions, et cherchent en tâtonnant à construire des graphiques même lorsqu'on peut répondre à la question de manière théorique (en utilisant les savoirs sur les fonctions).

D'où peut venir pour ces élèves la problématique de validation ? A notre sens ce ne peut être que de deux circonstances :

— la nécessité, à chaque étape (modules 1 à 11 dans Brousseau 1987), de se « désolidariser » du milieu matériel pour se placer dans un milieu évoqué, qui lui est régi par des « déclarations mathématiques » ;

— la succession des modules, succession qui permet aux élèves de se saisir chaque fois d'un nouveau milieu matériel pertinent par rapport au savoir visé, puis de reprendre et de remettre en jeu les critères de validité déjà établis dans les modules précédents. En accord avec Margolinas, nous pensons que la mise en jeu et l'utilisation de critères de validité est progressive. Ceci s'oppose bien sûr à une conception simpliste des situations fondamentales, qui tendrait à les présenter comme un moyen quasi automatique d'apprentissage d'une notion en une ou à la rigueur quelques séances ; ce malentendu a pu se faire jour dans la vulgarisation de la didactique et engendrer quelques quiproquos.

Il apparaît donc que les moments où l'élève peut élaborer des savoirs pour prendre la maîtrise, au moins partielle, de la situation, sont ceux où le milieu matériel est en arrière plan, et le premier plan occupé par des formulations (sur les essais, erreurs, sur les stratégies possibles...) : or le rôle du professeur dans cette phase est bien de gérer les formulations, tant du point de vue de la rationnalité mathématique que de l'efficacité pédagogique. De ce point de vue nous pouvons faire trois remarques :

— le rôle du professeur est souvent minimisé ou peu éclairé dans cette phase (cf Margolinas 93, p. 84 à 90) ;

— ce rôle est déterminant : dans tous les exemples étudiés par Margolinas, soit le professeur est intervenu pour gérer un débat, favoriser l'échange ou la formulation... , soit il y a eu ce que Margolinas appelle une phase d'évaluation (Margolinas 1993 p.29), ce qui de fait a mis un terme à la situation a-didactique. En effet, dans une situation d'évaluation, le professeur s'engage beaucoup plus que sur les déclarations des élèves, en fait il prend à sa charge l'énoncé du savoir ; il en résulte que la caractère a-didactique de la situation ne peut plus demeurer.

— ce rôle du professeur doit pouvoir se caractériser en termes d'actions ; c'est à quoi nous nous emploierons ci-dessous.

Nous avançons donc que le milieu de référence de l'élève est un milieu pour l'action du professeur.

Nous précisons plus loin ce que nous entendons par là (cf II.3).

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Remarque : le milieu d'apprentissage, milieu de la situation didactique, n'est pas pour le professeur un milieu pour l'action ; c'est un milieu pour l'institutionnalisation. Le professeur, selon Margolinas, y est comme Professeur, disons plutôt : Professeur-pour-l'élève (pour enseigner à l'élève, il tient sa position ainsi que le dit Mercier (Mercier 1998a)) ; il n'y exerce pas (ou peu, sur le mode maïeutique) d'interaction avec les déclarations des élèves 20, il déclare le savoir auquel cette phase de la situation a permis d'arriver et l'inscrit dans la mémoire de la classe. C'est un geste professionnel, qui nécessite bien entendu des savoirs et des connaissances ; mais ce n'est pas une phase du jeu a-didactique ; autrement dit le professeur n'est plus lui non plus, à ce stade, en phase a-didactique. Cependant ce sont les connaissances qu'il a mises en oeuvre dans la situation d'apprentissage qui lui permettent d'initier le processus d'institutionnalisation (cf. Perrin-Glorian, 1996, pages 79 à 90).

Nous serons donc conduits à concevoir trois milieux pour le professeur en exercice dans sa classe (en dehors des milieux déjà décrits par Margolinas dans les niveaux sur-didactiques) :

— un milieu d'observation, correspondant au milieu objectif de l'élève agissant ; — un milieu pour l'action, correspondant au milieu de référence de l'élève apprenant ;

— un milieu pour l'institutionnalisation, correspondant au milieu d'apprentissage de l'élève dans la situation didactique.

II. 2.4 Le milieu de référence pour le professeur : un milieu pour l'action