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1.3 Les secteurs d’emploi à Bristol

1.3.2 Salaires et revenus à Bristol

De ce fait, il est maintenant utile de se pencher sur les salaires et le niveau de vie des classes ouvrières locales. A cet égard, on notera que les revenus des classes laborieuses sont généralement en deçà de ceux observés habituellement. On a attribué ces bas salaires en partie à l’utilisation de matériel vétuste dans de nombreuses industries, comme c’est le cas dans la confection de chaussures par exemple, puisque ce phénomène ne permet pas aux industries de se positionner de façon compétitive au sein de la production nationale175.

Pour juger du cas de Bristol, il convient de le comparer au reste du pays. Si on s’en réfère aux études de Leone Levi portant sur les salaires des classes ouvrières

90 en 1867 et 1889, il apparaît que le salaire moyen en Grande-Bretagne pour un homme adulte s’élève à 22s 6d contre 19s 6d pour la femme176. Qu’en est-il pour Bristol ?

Pour répondre à cette question, il est plus facile de comparer les salaires moyens de chaque corps de métiers recensés par Levi et de les comparer à ceux des ouvriers de Bristol. Les archives des anciennes entreprises locales, la presse, les registres d’associations caritatives sont autant de documents rapportant les salaires des classes ouvrières. Pour Levi, le salaire moyen d’un ouvrier non qualifié, le « labourer », s’élève à 19s mais dans un article du Bristol Mercury en 1855177 ce salaire est compris entre 11s et 15s par semaine. Cependant, quelques années plus tard, dans les registres de la Samaritan Society178 tenus entre 1884 et 1886, les salaires des ouvriers non qualifiés oscillent entre 16s et 18s. Ces chiffres ne sont bien sûr qu’une moyenne qui évolue au fil du temps mais aussi suivant les employeurs car si l’on regarde les salaires des journaliers chez Arrowsmith en 1856 ils surpassent juste les 8s179 alors qu’un employé des manufactures de cacao des Fry touchera, à l’âge adulte, entre 18s et 24s en 1889180. Le tableau suivant permet de comparer les salaires perçus par certains types d’employés :

Salaires moyens des ouvriers de Bristol par corps de métier

Métier Moyenne nationale Bristol (obtenus en faisant

une moyenne des données collectées) Docker 15s-18s 17s Printing industry : Compositor 28s 28s 176

Leone Levi, Wages and Earnings of the Working Classes : with some facts illustrative of their

economic condition, drawn from authentic and official sources, London : John Murray, 1867, p.xxxi.

177

Supplement Bristol Mercury, 25 février 1855.

178 BRO P/stj/soc/J, Samaritan Society, 1884-1905.

179

BRO 40145/E/1b, Records of J.W. Arrowsmith Ltd, Records of Employees, 1855-1873.

180 Bernard Alford, W.D. & H.O. Wills and the Development of the UK Tobacco Industry, 1786-1965, Londres : Methuen, 1973, p.285.

91 Woodcarver 35s Watchmaker 35s Shipbuilder 34s 36s Cabinet maker 32s-36s 25s-26s Tailor 15s-38s 26s Miner 25.8s 20s-21s Brickmaker 21s-26s 17s

Boot and shoe maker 23s 15s-24s

Potter 14s-22s

Plumber 30s

Painter 22s-30s

Mason 43s 36s

Carpenter 28s-30s 18s-26s

Sources : Voir Leone Levi, œuvre déjà citée ; BRO P/stj/soc/J Samaritan society, 1884-1905.

Ces chiffres font apparaître une certaine disparité entre les salaires et indiquent que les ouvriers à Bristol étaient souvent rémunérés en-deçà de la moyenne nationale. Edward Hunt s’est lui aussi intéressé aux variations régionales de salaires et explique qu’en règle générale le sud-ouest est, pour la période 1850-1914, caractérisé par des salaires bas. Même si dans les villes un peu plus importantes telles Exeter, Plymouth, Bristol et Swindon les employeurs rémunèrent leur main d’œuvre un peu plus généreusement, aucune ne fut jamais une ville à hauts salaires181. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les données suivantes :

181 Edward Hunt, Regional Wage Variations in Britain 1850-1914, Oxford : Clarendon Press, 1973, pp.14-16.

92

Salaires des artisans et des ouvriers non qualifiés par heure en pence

1886 1886 1897 1897 1906 1906 Artisans manoeuvre a m a m Londres 9 6 9 6 10.5 7 Bristol 6 4 7.5 4.5 9 6 Exeter 5.5 3.5 6 3.75 7.5 5 Plymouth 6 4 6 3.75 8 5 Swindon 6 7

Source: Edward Hunt, op cit., p.16.

Salaires des artisans et des ouvriers non qualifiés du bâtiment par heure en pence

1860 a 1860 m 1886 a 1886 m

Bristol 5.25 6 4

Birmingham 5 3.25 8 5

Leeds 5 7.25 5

Manchester 7 8 5.5

Source: Edward Hunt, op cit., p.68.

Si les salaires pratiqués à Bristol sont supérieurs à ceux des autres villes du sud-ouest, ils sont néanmoins très inférieurs à ceux de Londres et des autres grands centres industriels. Les employeurs dans des régions où de nombreux métiers sont sur le déclin ne ressentent pas la pression de devoir augmenter les salaires pour maintenir une main d’œuvre adéquate. Les trop faibles profits de ces employeurs les incitent à verser des salaires peu élevés182. Cela dit, même certaines des firmes locales les plus prospères pratiquent des salaires très bas, comme c’est le cas des usines de tabac Wills qui emploient une majorité d’ouvriers non qualifiés et beaucoup de femmes, ce qui permet de conserver des salaires peu élevés.

93

Salaire des ouvriers non qualifiés en 1894 chez W.D. & H.O. Wills183

âge Salaire homme en shilling Salaire femme en shilling

13 4 3 14 6 4 15 8 5 16 10 6 17 12 7 18 14 8 19 16 9 20 18 10 21 20 10s6d 22 21 11 23 22 11.6 24 23 12 25 24 12.6 26 24 13 27 25 13.6 28 25 14 29 26 14.6 30 26 15 32 27 35 28 40 29 45 30

Source: Bernard Alford, W.D. & H.O. Wills and the Development of the UK Tobacco

Industry, p.289.

En règle générale, les salaires de femmes sont très bas à Bristol. John Lynch note à cet effet :

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Female employment in Bristol was concentrated in the low pay/status sectors of industry. In the boot and shoe industry, where female wages were highest, 50 per cent of female workers earned under 12 shilling a week compared to only 18 percent receiving over 18 shillings. In the clothing industry the figures were 68.6 and 8.2 per cent, in the chocolate factories 59.1 and 0.4 per cent. However the lowest rates were in the confectionery trade where 95.8 per cent earned under 8 shilling a week and no female worker earned over 12 shillings184.

Quelles conclusions tirer de ces diverses observations ? Tout d’abord le fait que la population active de la ville est très fragmentée dans ses secteurs d’emploi. De plus, cette dernière perçoit des salaires et des revenus souvent plus bas que ceux pratiqués dans d’autres villes. Ces aspects ont nécessairement eu un impact important sur l’identité des classes ouvrières locales mais également sur les rapports entre ces dernières et les classes moyennes. On peut supposer qu’à la fois plus pauvre et plus fragmentée, la classe ouvrière aura plus de mal à s’organiser. La multiplicité des corps de métiers et des emplois a pu altérer la manière dont les ouvriers se reconnaissaient comme appartenant à un même groupe et a pu influer sur les phénomènes d’identification et de représentation. L’absence d’industries dominantes ne permet pas le regroupement d’un grand nombre d’individus partageant un lot et une expérience commune. Ici au contraire, la population ouvrière est structurellement très divisée. Ajoutons à cela que des revenus modestes ont invariablement une incidence sur la capacité des ouvriers à s’organiser en tant que groupe et à s’impliquer dans des institutions (qui, telles que les syndicats et les mutuelles, sont payantes) qui dans les autres villes servent à les fédérer et à les rassembler en tant que membres d’une même classe.