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Le non-conformisme et l’opposition au pouvoir établi

1.5 La force de la religion à Bristol

1.5.3 Le non-conformisme et l’opposition au pouvoir établi

De fait, il existe un lien tout à fait particulier entre l’identité religieuse et les affiliations politiques de la population. L’Eglise anglicane représentante de l’autorité officielle c'est-à-dire de l’ « Establishment » apparaît tout naturellement comme l’église des conservateurs, de ceux qui souhaitent préserver les liens paternalistes et hiérarchiques de la société. Cette institution officielle du royaume fait partie intégrante du système paternaliste traditionnel, système qui repose sur la déférence et au sein duquel les élites foncières exercent toujours de manière plus ou moins latente leur pouvoir sur les classes plus modestes. D’ailleurs le lien étroit entre le conservatisme et la religion anglicane est tout particulièrement observable dans la façon, par exemple, dont les sièges sont attribués à l’église ; le statut social régit la manière dont les individus sont placés. La disposition même des fidèles reflète l’ordre hiérarchique et les différences sociales, permettant ainsi de pérenniser et de marquer physiquement l’ordre social. Si l’on regarde les registres de vote avant

126 que le vote à bulletin secret ne soit mis en place en 1872, on peut établir des liens entre l’affiliation politique et l’appartenance religieuse. Ainsi les pasteurs non-conformistes et les prêtres catholiques votent-ils généralement pour le parti libéral alors que le clergé de l’Eglise anglicane vote effectivement plutôt conservateur250. Cette première association de la religion anglicane à l’ « establishment » et aux élites est très importante puisqu’elle implique que l’adhésion aux sectes non-conformistes ait une signification peut-être plus large que le seul rejet de quelques doctrines.

En effet, la fin du XVIIIe siècle coïncide avec la croissance accélérée des nouvelles sectes dissidentes. Cette croissance est elle-même nourrie du climat de réforme qui souffle en Europe et remet en cause les systèmes politiques ou l’organisation sociale de nombreux états. Selon Gilbert, il existe une claire corrélation entre dissidence religieuse et dissidence politique. L’historien dresse alors un parallèle entre le développement du non-conformisme en Grande-Bretagne et celui du protestantisme au Brésil, en précisant que dans ce cas, il avait été démontré que la conversion à la foi protestante représentait un moyen d’exprimer une hostilité et une rébellion envers une structure sociale en décomposition251. Ainsi donc, alors que la Grande-Bretagne est bouleversée par le souffle de la révolution industrielle et que les crises politiques se multiplient à l’étranger, nombre d’individus, notamment ceux issus des classes émergentes, cherchent à se positionner au sein de la structure sociale et à se démarquer de l’ancien ordre. Ceux qui désirent la réforme politique rejoignent les bancs des congrégations dissidentes, symboles de la contestation de l’ordre établi puisqu’elles s’opposent à l’église officielle. On retrouve donc un dénominateur commun, celui du désir de contestation de l’ordre établi et du choix d’une voie alternative. Le lien entre le libéralisme et le non-conformisme peut être observé à plusieurs niveaux de la société. McLeod souligne :

There was the Liberalism of the new urban elite of successful business men, which emerged in the 1830s and 1840s to challenge what they saw as an antiquated

250 Hugh Mcleod, op cit., p.44 ; Steve Bruce, Politics and Religion, Cambridge : Polity, 2003, p.116.

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establishment of Tory Anglicans, standing in the way of necessary reforms. Their liberalism and their non-conformity were two aspects of their nineteenth-century modernity, their belief in opportunity, efficiency, and a healthy atmosphere of free competition252.

La nouvelle classe bourgeoise émergente voit dans le libéralisme comme dans le non-conformisme une manière d’affirmer son identité et de se distinguer des élites traditionnelles et des leurs privilèges liés à l’hérédité. Cette classe bourgeoise en plein essor fait l’apologie de la respectabilité, du travail, de l’effort et du mérite. Ces valeurs impliquent nécessairement une critique des classes aristocratiques privilégiées de par la naissance. Du coté des classes ouvrières, si le non-conformisme (plus particulièrement le méthodisme) rencontre un certain succès c’est qu’il est perçu, comme nous l’avons précédemment souligné, comme une religion plus démocratique, plus égalitaire. Le discours de Wesley qui dit : « We regard no man according to his *…+ country, riches, power or wisdom *…+ We consider all men only in their spiritual state, and as they stand related to a better world »253 contient dans son message l’idée d’une égalité des hommes aux yeux de Dieu, égalité qui a sûrement dû séduire les classes les plus modestes pour des raisons évidentes mais qui a aussi trouvé un écho chez les classes moyennes puisqu’il présente aussi une critique des élites traditionnelles254.

Gilbert explique donc qu’à part l’avantage manifeste de diffuser un message d’espoir et de salut possible, le non-conformiste agit auprès des marchands prospères et des ouvriers d’usine, comme le rejet symbolique des moeurs et des valeurs d’un système social qui n’attribuait jusqu’alors un statut

252

Hugh McLeod, Religion and Society in England, 1850-1914, Basingstoke : Macmillan Press, 1996, p.95.

253

Alan Gilbert, op cit., p.84.

254

Dans Politics and Religion, Steve Bruce note au sujet des sectes dissidentes : « They denounced wealth and indulgence and corruption and argued for a return to the simplicity of the early Christian church. Not surprisingly, this none-too-subtle way of criticising the rich had its great appeal with those rising classes that were relatively free of feudal domination: independent small farmers, skilled craftsmen in towns. In part this was a practical matter. Only those who were independent could afford to defy their masters. But there was also a more subtle connection. Those people whose financial circumstances allowed them to think for themselves as being as good as anybody were attracted to revisions of the dominant tradition in directions that suited their view of the mundane world ». Steve Bruce, op cit., p.115.

128 qu’en fonction de l’héritage de terres et de titres255.

Le libéralisme comme le non-conformisme sont des expressions d’idéaux de démocratie et d’égalité et permettent aux classes moyennes et à certaines sections de la classe ouvrière de s’émanciper idéologiquement. Les différences entre l’Eglise anglicane et les dissidents ne se situent donc pas tant au niveau des doctrines qu’au niveau de ce qu’elles représentent idéologiquement et de leur relation au pouvoir en place. Même dans l’organisation de leurs congrégations, les dissidents montrent plus d’indépendance et un rejet de la hiérarchie traditionnelle. Les quakers par exemple, tout comme les méthodistes, peuvent être considérés comme plus libéraux car ils autorisent les femmes à prêcher. Les congrégationalistes quant à eux sont appelés « les indépendants » car ils ne sont régis par aucune autorité que celle de la congrégation qu’ils forment. Toutes ces caractéristiques traduisent une fois de plus une certaine liberté et un goût pour l’indépendance.

Ces considérations sont fondamentales pour notre étude puisqu’elles montrent que l’appartenance à l’Eglise anglicane officielle ou au non-conformisme implique un certain positionnement vis-à-vis du pouvoir et vis-à-vis de la manière dont la société est organisée et régie. Ces faits vont donc ici nous permettre de comprendre, une fois le profil religieux de Bristol clairement établi, combien d’individus et quels types de personnes étaient susceptibles de s’opposer à l’ordre social traditionnel, ou au contraire de le soutenir.

Pour analyser ce phénomène, il nous faut dans un premier temps, montrer à quel point la religion imprègne la culture et la société victorienne dans son ensemble et comparer ce phénomène au cas de Bristol. En rendant compte de la force des églises auprès de la population, nous serons plus à même de juger de son impact sur les relations sociales et les comportements politiques.

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