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Choix théoriques et méthodologiques

Suite à l’exposition de ces diverses considérations terminologiques et théoriques, il nous appartient maintenant d’inscrire le travail de recherche ici mené au sein d’un des cadres précités. Nos choix théoriques et historiographies doivent être dès à présent justifiés et argumentés.

Afin de mener à terme cette étude des rapports sociaux et des rapports de classes à Bristol, nous choisirons de nous rattacher à la tradition révisionniste. Les théories développées par ces historiens suggèrent notamment que la tradition religieuse, les liens préexistants entre les groupes privilégiés et les catégories laborieuses ont pu persister malgré la révolution industrielle, hypothèses dont nous souhaitons vérifier la validité. Les aspects de continuité si fervemment défendus par les révisionnistes seront donc ici explorés. Nous essaierons d’apprécier dans quelles mesures les rapports sociaux de Bristol ont pu être nourris d’un apport résiduel, d’une tradition, de coutumes locales et d’un attachement à des valeurs et des

80 Joseph Femia, op cit., p.24, p.37.

45 représentations préindustrielles. Nous proposons de suivre les recommandations de Reid qui explique :

*…+ it is time to stop looking for a single concept to open up all the secrets of nineteenth-century society, and instead to focus on building up a more systematic framework for the comparison of the interaction between economic, cultural and political influences in different parts of the country82.

L’objectif de ce travail sera donc d’analyser les rapports sociaux à l’aide des appartenances de classe, des attachements religieux et des conflits industriels ainsi que de souligner les situations de coopération et les relations d’interdépendance. Ce type d’approche sous-tend que les rapports sociaux ne se réduisent aux seuls rapports de classes et que les classes, telles que nous souhaitons les définir ici, ne conditionnent pas absolument les rapports sociaux. La notion de classe devra être travaillée en parallèle avec d’autres regroupements et représentations identitaires. Pour cette raison, nous choisissons d’adopter la définition wébérienne de classe, reposant sur des critères économiques, mais ne lui attribuant pas de conscience de classe. Notre appréhension des classes est donc nominaliste, nous les comprenons comme des groupes d’individus possédant des revenus et des « chances de vie » comparables. Nous accepterons que la classe est déterminée économiquement et pour reprendre le découpage de Joyce, la classe ouvrière sera comprise comme « a common socio-economic condition as proletarians, or dependent, manual wage workers »83. Cette adhésion au découpage wéberien sous-entend la séparation des classes et des groupes de statut, puisqu’au sein d’une même classe, comme nous le démontrerons, co-existent plusieurs gradations sociales. Cette stratification pourra reposer sur le prestige social associé à une occupation (d’où l’existence de la célèbre « labour aristocracy »), ou encore sur l’adhésion à certaines valeurs comme la respectabilité, sur une religion ou sur un parti politique. Cette distinction nous permettra de procéder à une étude plus circonstanciée et nuancée des rapports sociaux qui peuvent donc être influencés par l’appartenance à une classe, à un groupe de statut ou un groupe politique. Ainsi donc les individus appartenant à la

82 Alistair Reid, op cit., p.55.

46 même classe économique n’auront-ils pas automatiquement les mêmes valeurs ni les mêmes réflexes face à certaines situations.

L’appartenance à la classe ouvrière n’implique pas obligatoirement, comme l’a fait remarquer Neale, l’adhésion à une culture prolétaire, ni même le soutien au parti travailliste. Dès lors, l’idée d’une conscience de classe universellement partagée devient obsolète et l’étude des relations sociales s’inscrivant dans un conflit opposant des classes homogènes manque de nuances. Les interactions sociales sont, comme nous tenterons de le démontrer, infiniment plus complexes et ne reposent pas uniquement sur des antagonismes verticaux. Les liens transversaux sont tout aussi importants et le travail de recherche qui suit propose d’étudier les différentes sphères d’interactions sociales et de préciser si, au sein de ces sphères, qu’il s’agisse d’entreprises, d’églises, d’institutions culturelles, récréatives, politiques ou caritatives, ces relations s’inscrivent dans un schéma de conflit, de coopération, ou de dépendance par exemple.

Afin de mener à bien cette réflexion, il est tout d’abord nécessaire de poser des jalons. Pour être en mesure d’étudier le type de rapports qui s’instaurent entre les classes, il nous faut, en tout premier lieu, commencer par dresser un portrait de ces dernières. Quelle est la composition professionnelle de la classe ouvrière de Bristol ? Qui sont les membres de la classe bourgeoise ? Quelles industries font vivre la cité ? Comment les contemporains de la reine Victoria vivent-ils dans la capitale du sud- ouest ? Telles sont les questions primordiales auxquelles nous devons répondre avant de pouvoir analyser les rapports sociaux et les relations de classes. Les prochains chapitres de ce travail consisteront donc à brosser les profils socio-économique et culturel de la ville. La structure socio-économique étant la pierre angulaire sur laquelle repose le profil professionnel et le profil social de la population locale, il nous faut ainsi débuter notre recherche par l’analyse du développement économique de Bristol au XIXe siècle. Le chapitre qui suit en offre une étude.

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1.2 Un contexte économique atypique