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DEUXIÈME PARTIE

2 Un consensus social institutionnalisé

2.1.2 Les fondations

Il semble nécessaire de commencer ce travail d’analyse des différents types d’associations caritatives par les cas des « endowments », c'est-à-dire des fondations. Bien que la popularité de celles-ci s’amenuise au XIXe siècle au profit des associations caritatives rassemblant plusieurs donateurs, certaines fondations héritées des siècles passés perdurent et demeurent placées sous l’administration

189 des « Municipal Charity Trustees » alors que d’autres sont contrôlées par les paroisses. Etant la forme la plus ancienne d’aide institutionnalisée, nous nous proposons donc d’en faire notre premier objet d’étude. Nous nous interrogerons à la fois sur leur fonctionnement et sur la place qu’elles pouvaient occuper parmi les multiples formes d’assistance aux pauvres.

Les « endowed charities » reposent, comme nous l’avons exposé précédemment, sur le désir d’un testateur d’utiliser une partie ou la totalité de son patrimoine financier ou foncier afin de le faire fructifier et d’utiliser les dividendes ainsi obtenus pour financer un projet caritatif (annexe 5).

Ces fondations sont à l’origine de la création de nombreux hospices, maisons d’accueil pour les pauvres mais aussi d’écoles et d’hôpitaux388. A Bristol trois écoles et trois hospices financés grâce à des fondations sont, à la période qui nous intéresse, placés sous le contrôle des « Municipal Charity Trustees » : la « Bristol Grammar School », la « Red Maids School » et « Queen Elizabeth Hospital » d’une part, et « Foster’s Almshouse », « Trinity Hospital North » et « Trinity Hospital South » d’autre part389.

Cependant, le plus souvent, ces fondations financent des dons aux pauvres et fonctionnent selon les modèles suivants :

Lady Harberfield Charity : ‘I give to the Bristol Charity Trustees Five Hundred Pounds to be invested in Consols, and the annual income therof to be divided equally on the twenty-seventh day of December in every year among Ten Poor Married Women not receiving parish relief as the said Charity Trustees may select.

Thomas Holbyn’s Gift: Income £5 per annum, £4.10s of which is distributed in gifts of 10s e ach to poor people in St Thomas parish and 10s a year is paid to the vicar for a sermon390.

On notera à cet égard que les précisions quant au type, au genre et à l’origine du testataire sont généralement clairement établies dans le legs. Par

388 BRL BL12E1, Charities under the Management of the Municipal Trustees, 1871 ; Voir Thomas John Manchee (ed.), oeuvre déjà citée.

389 BRL 726.50 ARR.

190 exemple, Hannah Ludlow précise que seules pourront bénéficier d’un secours les femmes veuves ou célibataires, de plus de cinquante ans, ayant reçu une bonne éducation, respectables et d’un caractère irréprochable391. Pour John Merlott en revanche, seuls les hommes aveugles et de plus de cinquante ans pourront recevoir £10 par an392. Le désir de s’assurer de la moralité du bénéficiaire de la fondation semble avoir été présent depuis longtemps dans l’esprit des philanthropes. L’hospice créé par le distillateur Fry en 1742 est établi à l’époque pour accueillir huit femmes en détresse. Ces dernières y reçoivent une dot de cinq shillings par semaine. Le règlement stipule :

There shall be in the said hospital, eight women elected by the governors, none of whom shall be under the age of fifty at the time of election *…+ must be well bred and known of good moral and religious character and of the communion of the Church of England393.

Enfin, on remarquera également que ces fondations peuvent servir à financer le prêche d’un sermon. Ainsi parmi les objets de la fondation créée par le Docteur White, il est précisé qu’annuellement £10 devraient revenir au pasteur de l’église All Saints pour qu’il dise quatre sermons, de même pour le pasteur de St Werburgh’s394.

Cependant ces requêtes sont parfois accompagnées de demandes plus insolites. Le testament du Docteur White fait apparaître que ce dernier souhaite qu’une fois par an les administrateurs de l’hospice créé et financé par celui-ci se livrent au rituel suivant : participer à un dîner au menu préétabli.

*…+ a belly of boiled pork, with peasen pudding, an apple pie baked in a pewter dish, a suet pudding, a loin of veal, and a baron of beef, which was to be brought in on an iron gallows395.

Enfin prenons l’exemple de l’école Queen Elizabeth Hospital, aujourd’hui encore l’une des écoles les plus réputées de Bristol, afin d’illustrer les sources de

391

Ibid., p.249.

392 Ibid., p.250.

393

BRO StMr/ch/ 9/ 1/ 2, Fry’s House of Mercy, minutes 1854-1922.

394 James Fawckner Nicholls et John Taylor, op cit., p.250.

191 revenus possibles d’une fondation. Les finances de l’institution en 1871 montrent l’origine des ressources financières de l’école :

Sources de revenus de QEH en 1871

Rents and produce of real estate £7128 5s 5d

Fee farm rents £23 18s 0.1/2d

Dividends on stock in the public funds £113 4s 6

Farmer’s gift paid by the Corporation £20 0 0

Hugue’s Gift £32 16s 3

Gist’s charity £100 0 0

Total £7458 4 2.1/2d

Sources: BRL BL12E1

La fondation QEH possède donc des terres (terres mais aussi cottages, maisons, fermes et plantations) dont elle tire une rente à laquelle s’ajoutent également les dons apportés par d’autres fondations396.

Cette première partie de l’analyse nous permet ainsi de mieux comprendre le fonctionnement de toutes ces actions caritatives reposant sur le legs et le testament. Il est maintenant nécessaire d’établir quelle fraction de l’aide aux pauvres les œuvres de charité ainsi financées pouvaient représenter. A combien s’élève le budget total des fondations de Bristol ? Quelle place ce budget occupe-t-il près du budget public de la loi sur les pauvres ou de celui des associations caritatives associatives?

396

La liste des dépenses fait par la suite apparaître que sur cette somme, plus de £430 de charges devront être déduites. Les dépenses faites pour entretenir les propriétés et les terres s’élèvent à £1387, celles pour l’entretien de l’école £496, les salaires des professeurs et les fourniture scolaires représentent £824, les frais pour les apprentis £140, les dépenses pour le personnel, la nourriture, le charbon, les vêtements £3352.15 et enfin les dons faits à d’autres écoles et associations caritatives £47. Ce rapport fait apparaître un souci de transparence de la gestion en rupture complète avec l’ancienne administration des fondations avant la réforme de 1835.

192 Il ne fait pas de doute que les fondations ont joué un rôle important dans l’aide aux pauvres. Rappelons que ces dernières peuvent être administrées soit par la paroisse soit par des administrateurs municipaux. Dans une étude des finances des fondations gérées par les « municipal trustees », Livock recense le nombre d’associations ainsi que leurs revenus annuels et la répartition de leurs dépenses. En 1850, les trente sept fondations cumulent un revenu de £18366, en 1870 elles sont au nombre de trente six et rassemblent £26355, en 1880 les quarante huit fondations possèdent £24320, en 1890 elles sont trente neuf au capital cumulé de £26 369, et quarante en 1900 avec £28274397.

En parallèle à ces legs placés sous l’égide de la corporation, il faut compter avec un nombre extrêmement élevé de fondations administrées par les paroisses. Nous pouvons ici prendre l’exemple de celles régies par St Mary Redcliff. Comme le montrent les archives, en 1860 on recense 23 fondations dans la paroisse. Ces sources nous apprennent qu’au fil de cette année, 736 personnes ont versé des sommes diverses et variées à ces fondations. L’argent ainsi distribué provient d’une part des intérêts et dividendes divers amassés par les fondations et d’autre part des dons spontanés de nombreux bienfaiteurs. La moyenne du don se situe entre £0.3 et £0.4. La liste ici reproduite précise le nom de la fondation (et par conséquent celui de son créateur) ainsi que la somme récoltée dans l’année.

Mary Smith : To poor old persons being inhabitants of this parish £49.3.6 Alice West: To the poor generally £12.8

Thomas Farmer: In bread or coals to the poor of the parish £2.0 William Curtis: To the poor generally £2.0

Mary Caseboard: To four or more distressed families not receiving alms £2 Ald. Whitehead: To ten poor housekeepers not receiving alms £2.10 Ald. Jackson : To the generally poor £1.15.0

Robert Sandford: To be distributed jointly by the ministers and churchwardens to thirty poor housekeepers of this parish not receiving amls and who must be members of the Church of England £40

Ed Cox: To the second poor at the discretion of the vestry £1

193

Mary Gibbs: To the poor generally £1.4.0

The mayor’s Gift: At the discretion of the vestry £1

Arthur Farmer: To six poor families whereof heads are or were freemen and reduced by misfortune to poverty £1.12.0

Sarah Birks: To poor widows of one husband £0.16

Ald. Kitchen: To four freemen being inhabitants of the parish £2

Ald. Harrington: To four freemen or their widows, being inhabitants of the parish £2 Francis Gleed: To four housekeepers or widows not receiving alms £1.18

Margaret Stokes: To the second poor £0.80 Eliz Yeamans: To the poor generally £0.80 Lady Yeamans: To the poor generally £0.11 Eliz Carro: To the Widows of one husband £0.40 W. Prewett: To the poor in Spittal house £0.10 Yeamans, Edson, Edson & White: £20398

Bien qu’il n’existe pas de recensement officiel exhaustif de la totalité des fondations à Bristol, l’exemple cité ici des legs administrés par la seule paroisse de St Mary Redcliff laisse supposer que ces dernières occupaient une place importante dans le paysage caritatif de l’époque. La quarantaine de fondations administrées par la municipalité et les multiples autres legs laissés aux soins des paroisses pouvaient rassembler de vastes sommes d’argent. Le rapport d’enquête sur la condition des pauvres publié en 1883 édite le détail des finances de ces fondations pour l’année 1873 et indique que la combinaison de leurs revenus atteint pour cette année la somme de £48 356399. La répartition de l’agent ainsi amassé montre que £19 986 sont allouées à l’éducation et que la deuxième dépense la plus importante est celle dédiée aux hospices qui recueillent £12 176.

Si on compare les revenus des fondations à ceux des œuvres caritatives associatives et à ceux de l’assistance publique, on observe que les fondations cumulent £50 000, les œuvres caritatives £38 000 et que l’aide publique apporte £55 000 aux nécessiteux400. Ajoutons à cela les £3000 amassées par les institutions de Colston et l’estimation selon laquelle £50000 seraient distribuées aux pauvres

398

BRO 37164/Red/2/, Charity accounts, 1860.

399 Report of the Committee to Inquire into the Condition of the Bristol Poor, p.175.

194 sous forme d’aumône au cours de l’année. Ainsi en 1873, la totalité des fonds mobilisés pour pallier la misère à Bristol s’élève à plus de £195 000 et plus de 25% de cette somme proviennent des fondations et des legs.

Par conséquent, pendant la période qui nous intéresse, ces derniers continuent à jouer un rôle considérable dans le secours caritatif. Par leur biais, de nombreux philanthropes assurent la pérennité de leur don et apportent un secours aux miséreux. Les budgets de l’aide publique et des fondations sont presque équivalents. Cependant, leur signification sociale et le symbolisme dont ils sont investis sont totalement différents. L’assistance publique relève de l’action gouvernementale, elle possède un caractère officiel. Les secours apportés par les fondations relèvent du privé, du don et présentent un rapport de proximité (symbolique plus que réelle) entre le donateur et les donataires. L’influence sociale de ce type d’action philanthropique fera l’objet d’un développement ultérieur.

L’objectif de ce travail de présentation des fondations victoriennes à Bristol a consisté à mettre en lumière les caractéristiques de ces dernières mais surtout à montrer quelle place elles occupent dans l’assistance aux pauvres à l’époque. Il est indéniable que par leur nombre, leur tradition historique et l’importance de leurs revenus ces institutions étaient familières aux Victoriens. Il sera donc nécessaire dans une prochaine partie de notre travail d’étude sur la philanthropie de nous interroger sur l’influence sociale de ces fondations. Nous essaierons alors de comprendre quelles influences la culture de la philanthropie et des fondations ont pu avoir sur les rapports de classes et les rapports sociaux. Cependant avant de répondre à ces questions, il nous faut présenter un second type d’institutions : les œuvres caritatives associatives, dont l’étude nous permettra de présenter le portrait le plus circonstancié possible de l’activité philanthropique à Bristol.

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