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Industrie emblématique de Bristol, le négoce du tabac est indissociable de la dynastie des Wills. C’est en 1786 que naît la firme la plus célèbre de Bristol. Bien qu’en 1624 un décret ne limite le monopole de l’importation du tabac à la ville de Londres, dès 1870 la moitié des navires de commerce de Bristol prennent part à ce négoce123. C’est donc tout naturellement que ce secteur de l’industrie commence à prendre de l’ampleur au sein de la cité. Le tabac importé des Amériques permet à de petits ateliers de prospérer dans le centre ville, autour de Castle Street et du quartier de Old market. Au XVIIIe siècle les débuts très modestes des Wills ne laissent pas présager de leur développement futur car la firme n’emploie à l’époque que huit ouvriers. En revanche l’humanisme et la philanthropie de leur employeur sont déjà célèbres :

By that time his kindly attitude towards his eight workers was already being demonstrated by inviting them, four at a time, to dine with him on alternative Sundays. Thus began a tradition that Wills were among the most enlightened employers in the country, and that working for the company usually meant a job for life124.

C’est à partir de 1843, alors que la firme est rebaptisée W.D. Wills & H.O. Wills, que l’entreprise commence à prendre un véritable essor. Les fils du fondateur s’attachent à développer l’affaire et font la promotion, par l’utilisation de la

123 Angus Buchanan, op cit., p.61.

64 publicité, des tabacs pour pipe tels que le « Wills best », « Birds eye » et le « Bishop’s Blaze Shag ». La prospérité et la croissance de leur négoce permettent dès 1855 de produire seize autres types de tabac. La firme acquiert alors une réputation internationale et les exportations se multiplient de par le monde. La croissance de W.D. Wills & H.O. Wills sera dès lors ininterrompue et cela malgré la guerre de sécession qui fait rage aux Etats-Unis et perturbe les échanges commerciaux. L’apparition de la cigarette sur le marché suite à la Guerre de Crimée permet à l’entreprise d’entrer dans une nouvelle phase de développement. En effet, la cigarette devient rapidement un des produits les plus populaires de l’entreprise et semble avoir été en large partie responsable de son essor dans la dernière partie de l’ère victorienne125. En 1880, la compagnie compte 600 employés à Bristol et à Londres et, en 1908, 2000 personnes travaillent pour les Wills. Il est alors important de noter que le nombre d’employés est tout à fait disproportionnel au rayonnement économique et social de cette firme.

Indéniablement la plus prospère de Bristol et la plus réputée, l’entreprise des Wills n’emploie qu’une infime partie de la population active de la cité. En outre, il est nécessaire de noter que la plupart de ces employés sont des femmes ainsi que des enfants qui y font leur apprentissage. Si le tabac des Wills est le plus réputé du Royaume-Uni et le plus exporté, il n’offre du travail qu’à un nombre réduit de Bristoliens. Bien plus encore que par son impact économique sur la ville, c’est peut-être pour les conditions de travail qui y sont pratiquées que la firme s’est illustrée. On a déjà noté le paternalisme du fondateur vis-à-vis de ses premiers employés, tendance qui se confirme au fil des décennies puisque les employeurs n’auront de cesse que de s’assurer du bien-être de leurs ouvriers. John Penny et Helen Meller126 expliquent que c’est l’appartenance religieuse et le non-conformisme des Wills qui est à l’origine de leur implication et de leurs efforts envers leur main d’œuvre. Ardents congrégationalistes, ils exigent de leurs employés qu’ils assistent à l’école du dimanche, organisent des sorties récréatives le week-end, et au fil des années créent pour cette main d’œuvre des bibliothèques, des théâtres, des terrains de

125 Ibid., p.104.

65 sport, des caisses d’épargne, une maison de convalescence, un gymnase ainsi qu’un cabinet médical et dentaire127. En 1893, Wills était devenu l’employeur modèle. Ce paternalisme et cette philanthropie exacerbée feront par ailleurs l’objet d’une analyse plus détaillée dans notre recherche. Cependant il nous faut juste souligner à ce niveau de notre étude que si W.D. Wills & H.O. Wills est à l’époque l’entreprise la plus réputée de Bristol, cela n’incombe pas seulement à son succès économique et financier mais aussi à son activité sociale.

Alors que le tabac s’impose à la fin du XIXe comme le secteur le plus prospère mais aussi le plus emblématique du renouveau économique de Bristol, il est suivi de près par celui du chocolat. Deuxième famille la plus réputée de Bristol, les Fry et leur empire du cacao exercent eux aussi une influence considérable sur la vie de la cité et ce, dans plusieurs domaines. Tout comme le négoce du tabac, celui du chocolat s’amorce au XVIIIe siècle mais ce n’est que dans la deuxième moitié de l’ère victorienne qu’il prend tout son essor et devient une des industries emblématiques de la ville.

L’entreprise de Joseph Fry, fondée en 1750, marque Bristol de son empreinte. Au XIXe siècle, elle compte parmi les employeurs les plus importants de la ville et s’impose comme une firme de renommée nationale. Prisé à l’origine pour ses vertus thérapeutiques et médicinales, le chocolat n’est alors produit qu’en petite quantité et de façon artisanale. En 1871, Fry rachète une patente appartenant à Churchmans, une firme qui avait développé une machine permettant de broyer le cacao beaucoup plus finement et commence à exploiter cet avantage technologique. Le chocolat devient à l’époque un bien de consommation de luxe et une denrée réservée à une certaine élite. Fry profite de l’emplacement géographique de ses usines pour atteindre cette clientèle fortunée. Située sur le port, la firme se trouve proche des thermes d’Hotwells qui lui procurent une

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BRO 38169/HAF, W.D. &H.O. Wills Limited ; BRO 38169/E/11/6/1, W.D. &H.O. Wills Limited : employees, clubs and societies, dining club, 1890 ; BRO Pamphlet/308, Wills and the City of Bristol ; BRO 38169/E/11/7/1, W.D. &H.O. Wills Limited : clubs, sports ; BRO 36771/8, The Wills Family, Details of the Wills Family benefactions including the Dulverton Trust, Notes from the Wills Family Scrapbooks ; BRO 38169/HAF/21/2, Employees' Welfare : Annual outings ; press cuttings, photographs and notes ; BRL L679, Roger Till, Wills of Bristol, Bristol : Wills Magazine, 1954.

66 clientèle toute disposée à ses produits. De plus, la proximité des docks permet un accès direct aux matières premières importées. Ce n’est cependant qu’à l’arrivée de ses fils dans l’entreprise que l’industrie du cacao prend son véritable essor. Lorsque ses deux fils reprennent l’affaire, ils décident de travailler à l’expansion et la mécanisation de l’usine128. Ils introduisent alors de nouvelles machines dont

l’avant-gardisme et la modernité permettent un rapide développement lequel s’associe au dynamisme des gestionnaires. On notera à ce titre qu’entre 1836 et 1867, les ventes augmentent de £11.041 à £102.747129. Cette croissance permet de créer de nouveau sites de production (sept usines sont créées entre 1860 et 1907)130 afin d’accroître la productivité. Si le négoce du cacao semble si prospère c’est qu’il s’inscrit dans un cycle économique qui lui est favorable. En effet, à cette période le niveau de vie augmente ainsi que le pouvoir d’achat. L’offre se diversifie et le lancement de nouveaux produits adaptés aux goûts des consommateurs joue également un rôle prépondérant.

Fry’s range of products grew as the nineteenth century wore on, and the partners continued their past practice of introducing new lines to keep pace with developments in consumer tastes and to keep up with the activities of their competitors. The firm produced eleven types of chocolate and cocoa in the mid-1820s; by 1843 this number had increased to 28, and increased still further in later years 131.

De plus, dans la seconde moitié du siècle, la firme réussit à conquérir le marché des classes populaires en produisant un cacao à moindre prix, tâche facilitée par la baisse des taxes d’importation sur le cacao et l’utilisation de techniques de production plus sophistiquées. L’amélioration du niveau de vie et la hausse des salaires permettaient également aux plus modestes d’avoir enfin accès à des biens de consommation plus superflus. C’est ensuite l’introduction du chocolat à croquer (venu de France) qui permet à la firme d’augmenter à nouveau son chiffre d’affaires (annexe 1). S’il ne demeure que très peu de documents attestant de la production et des profits perçus dans la seconde moitié du siècle, on sait néanmoins que les ventes sont passées de £102.747 en 1867 à £1.866.395 à l’aube de la

128 John Penny, op cit., p.113.

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Stephanie Diaper « J. S. Fry and Sons » in Charles Harvey et Jon Press, op cit., p.40.

130 John Penny, op cit., p.114.

67 première guerre mondiale132. On observe également que sur la même période le nombre d’employés passe de 193 à 5000 personnes et que de nombreux autres sites de production furent érigés entre 1867 et 1914. Il est important de garder à l’esprit que ces chiffres, même s’ils ne semblent pas très élevés dans l’absolu, sont assez spectaculaires pour la ville de Bristol. Ils placent les Fry parmi les plus grands employeurs de la cité et font de ce secteur un élément clé de la vie économique locale. Tout comme les Wills, les Fry s’illustrent autant par le rayonnement économique de leur firme que par leur influence sociale au sein de la communauté133. Eux aussi font preuve d’un grand paternalisme vis-à-vis de leur main d’œuvre comme le rappelle ce témoignage sur Joseph Storrs Fry :

The business under him was run on the old fashion paternal or rather perhaps personal lines, for he had a great objection in interfering with what he considered the private affairs of the workers. He saw every applicant for work himself. All the workpeople (in the days before sick pay insurance) had a regular allowance in case of illness and he visited them in their homes or at the hospital himself. A large and comfortable dining room was provided with arrangements for warming up food and the Bible reading and hymn singing brought him face to face with the whole factory daily134.

Outre ces deux empires, on notera que la deuxième partie du XIXe siècle à Bristol est aussi marquée par l’avènement de l’imprimerie et de l’industrie de la chaussure. Dans ces deux domaines, on assiste à un véritable renouveau et à l’émergence de firmes très réputées, à l’exemple des Robinson, dans le secteur de l’emballage et du conditionnement, ou d’Arrowsmith dans l’édition et l’imprimerie. Avec la confection de produits de consommation tels que le tabac et le chocolat, il n’est pas surprenant de voir émerger des industries spécialisées dans le conditionnement et l’emballage135. Figure de proue de ce secteur, la firme E. S. & A. Robinson créée en 1844 se spécialise à l’origine dans la production de papier d’emballage utilisé dans l’épicerie136. Alors qu’elle rencontre un franc succès, l’entreprise réussit à réinvestir ses profits pour financer de nouveaux équipements et de nouvelles machines mais aussi pour diversifier sa production, s’intéressant

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Ibid., p.40.

133 Voir Helen Meller, oeuvre déjà citée.

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BRO SF/X/16, Notes on the Fry family of Sutton Benger and Bristol, 1697-1921, 1951.

135 Bryan Little, op cit., p.261.

68 ainsi à la lithographie et au packaging. Ces investissements permettent à Robinson de s’attacher de nouveaux marchés, notamment celui de l’almanach. Les années 1870 inaugurent l’âge d’or de cette création typiquement victorienne. Robinson a alors l’idée de convaincre commerçants et industriels de lui commander des almanachs personnifiés comportant le nom et l’adresse de leur entreprise. Grâce à ce projet, la firme connaît une véritable croissance. Si en 1893 elle compte 800 employés, en 1911, le nombre d’ouvriers s’élèvera à 2500, répartis dans une douzaine d’usines137.

Qu’il s’agisse du cacao ou du tabac ou des firmes précitées, un seul constat s’impose, les grandes industries de Bristol, celles dont le nom s’exporte et qui possèdent une réputation nationale voire internationale, ne se sont développées que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Auparavant, malgré une diversité économique indiscutable, aucun secteur ne semblait se distinguer et participer de façon plus visible à la croissance économique locale. Avec les empires respectifs des Wills et des Fry, la ville de Bristol est enfin associée à des entreprises de renom. Cependant, comme il apparaît très clairement à l’étude des chiffres, ces deux firmes n’emploient finalement qu’une infime fraction de la population active locale et recrutent bien souvent une main d’œuvre féminine. Ce phénomène implique donc qu’il soit difficile d’établir un profil circonstancié de la population active et des secteurs d’emploi

En effet, la diversité professionnelle de sa population demeure l’une des caractéristiques les plus fondamentales de Bristol. La spécificité de l’économie de cette ville réside en ce qu’elle englobe une multiplicité de secteurs d’emploi et de production138. En 1866, une enquête parlementaire révèle le grand nombre de

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L’article de Donald Bateman intitulé « The growth of the Printing and Packaging Industry » présente les destins tout aussi triomphants des firmes J. Wright et Arrowsmith. Bateman explique que les grandes industries de Bristol furent celles qui au XIXe siècle surent se positionner sur le marché et anticiper les nouveaux besoins. Néanmoins ces succès sont aussi intimement liés à l’augmentation du pouvoir d’achat, la hausse de l’alphabétisation, le succès de produits tels que le tabac et le chocolat. Donald Bateman « Printing and Packaging » in Charles E. Harvey and Jon Press,

op cit., pp.83-107.

138 « An impression builds up, supported by other circumstantial evidence, that the city’s economic structure was made up from a number of small businesses and industries, providing mainly the

69 petites usines et d’ateliers s’entassant dans les allées et les impasses du centre ville139. Bettey explique qu’une grande diversité de produits étaient fabriqués à Bristol :

*…+, many of them in small workshops which were crowded into the central area of the city. Besides larger concerns such as collieries, glassworks, brickworks, ironworks, sugar refining, soap boiling and chemical works, there were any smaller trades and occupations such as metal working, brass, nail and pin making, lead works, chocolate-making, tobacco, printing, clothing trades, tanning, rag-picking and numerous others140 .

De même Pugsley, précurseur de l’étude le l’histoire économique de Bristol précise dans un article publié dans le Bristol Times and Mirror :

The chief feature that strikes the commercial visitor to Bristol is the complexity of its industrial activities. Practically every phase of industry is represented to a greater or lesser extent in Bristol, and no other city in the country shows such diversity of interest. Its economic life is not inseparably bound up with the prosperity of one or two trades as it is the case with other large towns.141

Toute aussi révélatrice, la publication en 1883 d’une série d’articles dans le

Times and Mirror dédiés à l’industrie à Bristol et à ses différentes entreprises et ses

secteurs d’emploi présente vingt-quatre firmes de taille plus ou moins variable (1600 ouvriers travaillent à la Great Western Cotton Works tandis que 30 s’affairent dans l’usine de produits laitiers qui y est présentée). Ce recueil d’articles se fait une parfaite illustration de la grande diversité économique de la ville puisqu’on y décrit les affaires de deux entreprises de cacao et de confiserie, des entreprises de produits chimiques, de coton, de mobilier, de cuir, d’eaux minérales ou encore de produits laitiers142.

Contrairement, il est vrai, aux grands centres industriels du nord, Bristol ne se distingue donc dans aucun secteur particulier. Cette économie hautement

goods and services for which there was a demand in a large city like Bristol. There were firms manufacturing household furniture, coaches and vehicles, millinery, corsets and tailoring, boots and shoes, and household products such as soap and brush making. » Helen Meller, op cit., p.34.

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PP 1866 vol XXIV, Appendix to Fifth Report, Report on Some Miscellaneous Manufactures of

Bristol by Mr J. E. White.

140 Joseph Harold Bettey, op cit., p.114. 141

Bristol Times and Mirror, 1 mars 1922.

142 BRL L338.O9, Work in Bristol, a series of sketches of the chef manufactories in the city, reprinted

70 diversifiée empêche de labelliser la ville et de lui attribuer une activité propre. Ce phénomène explique en partie l’apathie économique du début du siècle, ou tout au moins la comparaison négative avec les centres du Lancashire et du Yorkshire. Son développement est plus lent, plus progressif mais par la même il est également plus stable. En effet, l’absence d’un secteur industriel dominant, employant une large proportion de la population active locale, permet d’éviter les épisodes violents de crise et de récession économique. Lorsqu’un secteur industriel traverse une période de déclin, cela n’affecte pas une grande partie de la population et ne plonge pas la ville dans un marasme économique généralisé. Harvey et Press expliquent au sujet du déclin de certaines industries:

Yet, while some individuals and communities inevitably suffered from these changes, the economy as a whole did not suffer too greatly. No firm or industry was large enough for its failure to cause large-scale redundancies or induce a spiral or regional economic decline. The city was able to generate or attract sufficient new industries not only to take up the slack but also to provide fresh employment opportunities for tens of thousands of people. And, as the population grew, so too did demand for the products- goods, services and housing –of old and new industries alike143.

La diversité économique de la cité représente une de ses caractéristiques les plus marquantes. Il en va de même pour sa courbe de croissance et ses phases de développement puisqu’on retiendra que ce n’est véritablement qu’à partir des années 1860 et jusqu’à la fin du siècle que la croissance économique bat son plein et que Bristol recouvre une certaine prospérité. L’extrait d’un rapport d’une enquête parlementaire le prouve bien:

The year 1899 will be memorable for great activity in nearly all industrial departments, plenty of work for all willing to do it and wages on the upward grade *…+

Mr Maitland (Bristol) –Most branches of trade have been brisk in this district in 1899: -The boot and shoe trade however, one of the largest in Bristol and neighbourhood has been slack.

-We have several large tobacco manufacturing firms and their business judging by the extension of buildings and by the additional numbers of hands employed, must recently have been increased.

-Another trade which is continually growing is the manufacture of confectionery including chocolate on an extensive scale.

-Bristol was, at one time, a great centre for sugar and there were numerous sugar refineries. When the sugar trade began to decline and the refineries to close, it was naturally anticipated that the decrease of occupation would be a serious loss to the town. These anticipations have not however, been realised and from such rough calculations as I have

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been able to make, it would appear that, on the contrary, the actual number of persons at present employed in the manufacture of confectionery, as compared with those formerly