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DEUXIÈME PARTIE

2 Un consensus social institutionnalisé

2.1.3 Oeuvres caritatives associatives

Nous nous proposons maintenant de nous tourner vers un deuxième type d’aide caritative, celle dispensée par des associations démocratiques rassemblant plusieurs donateurs et membres ayant choisi de combiner leurs ressources pour répondre aux besoins des plus démunis. Si les objectifs demeurent souvent similaires à ceux des « endowed charities », le fonctionnement et l’organisation de l’administration des associations volontaires diffèrent. Dans ce nouveau chapitre, nous tenterons à l’aide des annales, des rapports annuels et des publicités de ces diverses associations de rendre compte de leurs caractéristiques. D’autre part, ces diverses données permettront à leur tour de préciser et de quantifier l’aide apportée aux démunis et fourniront de nouvelles informations sur l’agencement des relations de classes. Il est utile de rappeler à ce stade de notre démonstration que les associations qui font ici l’objet de notre attention sont strictement limitées à celles dédiées au soulagement de la pauvreté et non à la réforme des mœurs. Nous réserverons, par la suite, une partie de notre étude à ces dernières.

Ce que les historiens nomment « voluntary societies » sont tout à fait emblématiques du XIXe siècle et obéissent à une organisation totalement différente de celle des fondations :

Money was collected from members. The funds were distributed and activities were organised by a committee and officers elected by subscribers at the annual general meeting. .. Normally the result was ruled by an oligarchy selected from higher status members of the society. The president was often a high status local leader, often a major industrialist, the secretary usually a solicitor and the treasurer perhaps a local merchant or banker401.

Ces institutions sont généralement administrées par les notables de la cité. Pour nous en convaincre, il suffit de se pencher sur les annales de ces institutions. La « Clifton Loan Blanket Society », par exemple, fondée en 1855 stipule dans son règlement les conditions suivantes :

196

Rules : 2 - That the society be under the management of a committee consisting of the clergy of Clifton and the treasurer and secretaries of the District visiting society and the churchwardens of the parish church402.

De même, en s’intéressant aux archives de la « Gloucestershire Society » dont l’objet principal concerne le versement d’une allocation aux femmes en couches et le financement d’un apprentissage pour les jeunes garçons, on remarque qu’au fil des ans les présidents de l’association sont tour à tour pasteurs, sherifs, membres du parlement ou aristocrates403.

Parfois, c’est l’objet même de l’institution qui explique l’implication des élites locales dans son administration. Notons à cet effet le cas de la « Bristol Benevolent Institution », créée en 1870, qui propose d’établir un fond de pension pour les commerçants et autres marchands qui auraient fait faillite ou n’auraient pas réussi à épargner suffisamment. La société « soon gained a hold upon the sympathies of the well-to-do of Bristol » et les objectifs de l’organisation précisent que celle-ci a été créée pour:

*…+ for the refuge of tradesmen and others who through various circumstances had failed to secure some provision against the dependence and poverty of old age and had had gradually to descend from positions of respectability and end their days in obscurity and want404.

Lorsqu’on considère la liste des membres de l’association, on retrouve les grands industriels de Bristol tels les Fry, Foster, Derham en membres actifs du comité, dont on peut supposer que le soutien est probablement dicté par une forme de compassion à l’égard de ceux de leur classe qui auraient été plus malchanceux.

Retenons donc que l’un des aspects caractéristiques de ces sociétés réside en la mise en commun des donations des membres et dans l’exercice d’une administration démocratique. Les membres du comité sont élus par les adhérents. Il existe souvent un système de gradation de ces adhérents selon qu’ils ont prodigué

402 P/StA/Soc/1 (a-b), Clifton Loan Blanket Society, minutes 1855-1881.

403

BRO 40556, Volume of extracts from Western Daily Press regarding 53 Bristol schools, hospitals and benevolent institutions, 1883.

197 une donation plus ou moins généreuse. Si l’on considère par exemple, le règlement de la « Clifton Loan Blanket Society », l’on voit qu’une donation de trois shillings permet à un individu d’acquérir la qualité de membre pour une année alors qu’un don de cinq livres sterling permet d’être nommé membre à vie. On distinguera ainsi les « permanent subscribers » des « annual subscribers », qualification inscrite dans les registres de l’association405. L’autre particularité de ces associations réside dans l’administration des finances. Les philanthropes victoriens vont rapidement préférer les associations volontaires aux fondations. Correspondant plus à l’air du temps et aux tendances de la nouvelle économie, ces institutions fonctionnent selon Owen comme des entreprises :

*…+ as in a company, where shareholders and directors performed different functions, so in the charity of the future subscribers would furnish pounds and shillings, but the more active work would be left to other hands. Subscription lists were to become as vital to philanthropy as lists of shareholders were to a joint stock company406.

Selon Morris, toutes les associations qui se développent au XIXe siècle permettent à leurs membres de se constituer en réseaux et de se réunir dans des projets communs. Elles autorisent les classes moyennes à se fédérer, à se rassembler et à se forger une identité. Les agences caritatives fournissent aux nouvelles classes bourgeoises une opportunité de travailler de concert, de se reconnaître dans certaines valeurs et de se distinguer des autres classes. La participation à ces associations permet de marquer l’appartenance au groupe et de renforcer la conscience identitaire.

Whether formally or informally organised, the voluntary societies were networks of people in similar situations solving like problems and fulfilling like needs in an independent manner but conscious of each others’ existence. This was part of the process of creating class, sectarian and other forms of group consciousness on a natural basis and thus overcoming the individuality of the nineteenth century towns with their community loyalties and politics407.

Rappelons également que certaines de ces associations possèdent un réseau national de branches présentes à travers le pays alors que d’autres de moindre

405

P/StA/Soc/1 (a-b).

406 David Owen, op cit., p.12.

198 envergure ne disposent d’aucune ressources hors de leur communauté ou de leur paroisse408.

Contrairement aux fondations étudiées précédemment, la création ou au contraire la disparition des œuvres caritatives associatives sont parfois dictées par la conjoncture. En effet, au regard des archives, on remarque que quelques-unes de ces associations volontaires étaient soumises aux aléas de l’économie ou plus exactement que leur émergence et leur disparition étaient dictées par les impératifs de l’époque. Selon les besoins de la population certaines associations sont créées rapidement pour répondre à une situation de crise ou bien au contraire sont dissoutes si leur action devient moins nécessaire.

Dans un rapport de la « Redcliff Ward Soup Society » daté du 23 novembre 1854, il est fait mention de ces aléas économiques et météorologiques. Le rapport montre également la manière dont les organisateurs déterminent la mise en œuvre d’actions caritatives :

The chairman reported to the committee that in consequence of the mildness of the last three winters, the low prices of provisions and the poor having had a fair amount of employment, he had not thought it requisite to call for the inhabitants of the ward for subscription to this city. At the present time provisions were much higher in price and weather severe, he had therefore called the committee together to lay before them the state of the finances of the society in order that they may consider the question of collecting subscription before any urgent call for help should arise409.

Par ailleurs, en 1854, lors d’une réunion on décide de fermer le centre de distribution puisque suite à des changements climatiques et à l’adoucissement du climat, le travail en plein air reprend et de nombreux ouvriers retrouvent un emploi. La demande pour la distribution de soupe chute considérablement410.

408

David Owen, op cit., p.36.

409 BRO P/St Mr/ch 18 (a), Redcliff Ward Soup Society, 1849-1861.

410

Les explications fournies le 23 mars 1854 précisent : « closing of the soup house: mildness of climate and consequent increase of outdoor employment *…+ there has been little demand for soup lately *…+ agreed to close on the 25th until further notice. » BRO P/St Mr/ch 18 (a).

199 Les exemples de la capacité des Victoriens à fonder des associations pour répondre à des situations bien précises sont légion. Ainsi les annales de Latimer fournissent-elles de nombreuses illustrations d’actions de ce type. Ce dernier y relate le cas d’une récolte de fonds organisée suite à une inondation qui dévasta plusieurs quartiers de la ville en mars 1889, épreuve pendant laquelle « No time was lost in starting a subscription for the relief of sufferers and £11700 were soon raised »411. On notera également la collecte 1895 pour venir en aide aux pauvres suite à l’hiver rigoureux de janvier :

great distress was created among the working-classes by the severity of the weather, frost having set in early in January and continued until near the close of the following month. A subscription for relieving the unemployed was started by the mayor and upwards of £6900 were distributed amongst about 6000 families412.

Dans ce cas précis, la détresse et le mécontentement causés par de mauvaises récoltes ou par les accidents climatiques requièrent impérativement que des mesures compensatoires soient mises en place afin d’éviter tout malaise social. C’est dans un souci de préservation de l’ordre social que s’organise l’aide aux pauvres413.

Comme nous l’avons noté précédemment, les objectifs des associations volontaires victoriennes sont extrêmement variés, certaines visant à prodiguer une aide purement financière, d’autres des biens en nature (pain, soupe, charbon, couvertures) ou encore une place dans un hospice. Leurs spécificités sont toujours clairement énoncées dans les règlements des associations ou dans les publicités publiées dans les « trades directories », ces annuaires victoriens. La « Gloucestershire Society » énonce ainsi son objectif : « to afford pecuniary relief to poor married lying-in women and funds to apprenticing poor boys414».

411

John Latimer, The Annals of Bristol in the Nineteenth Century (concluded), 1887-1900, Bristol : William George, 1902, p.11.

412

Ibid., p.43.

413 Robert John Morris, « Voluntary societies and British Urban Elites », op cit., p.106.