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LA DÉLIMITATION DE LA PROBLÉMATIQUE

6.1  Saisir et anticiper l’expérience de la VAE

L’étude préalable nous a permis d’identifier les caractéristiques principales des situations  d’information‐conseil initiale pour la VAE, proposées par le DQA du Canton de Genève sous  forme  d’entretiens  d’accueil  individuels.  Les  résultats  montrent  la  complexité  d’une  rencontre qui a lieu pour la première fois entre deux personnes, dont une est porteuse d’un  projet personnel et l’autre censée la soutenir dans l’éclaircissement et la réalisation de  celui‐ci. Les enjeux de ces situations sont multiples et évoquent en partie ceux indiqués par  les études que nous avons explorées auparavant, tout en manifestant des spécificités  émergeant des caractéristiques du contexte socioculturel où agissent les conseillers en  validation du DQA de Genève. Transversalement à ces aspects nous avons identifié d’une  part l’importante  dimension  formative de ces  SEA, de l’autre une difficulté dans la  dynamique de signification qui les traverse, difficulté qui semble caractériser de manière  spécifique les pratiques d’information‐conseil initiale pour la VAE, voire l’ensemble de la  procédure et des pratiques d’information dans ce domaine. Dans cette section nous  discutons les aspects qui ont émergé de l’étude préalable au regard de la spécificité de  l’intervention du DQA par rapport aux dispositifs similaires en France, de la connotation  formative de ces situations, ainsi que des éléments qui concourent à l’identification de la  problématique de signification que nous venons d’évoquer.  

6.1.1 Une forme d’intervention dans un entre‐deux culturel  

La comparaison avec les caractéristiques de l’activité des conseillers de l’information‐

conseil, qui ressort des études réalisées en France, confirme la dimension émergente de  l’activité professionnelle des conseillers du DQA de Genève. Comme leurs collègues français,  ils doivent trouver des solutions innovantes pour leur pratique, tout en faisant référence à  leurs ancrages professionnels initiaux. Leur activité se caractérise par la présence de  multiples formes d’intervention, qui s’articulent selon la situation et les exigences des  candidats, ainsi que par la recherche d’une collaboration avec ces derniers, notamment lors  des moments de constitution de l’hypothèse de validation par rapport au référentiel du  titre.  

L’activité des conseillers du DQA du Canton de Genève se trouve d’autre part dans un  entre‐deux socioculturel, dépendant à la fois de l’appartenance au service des institutions  étatiques de la Confédération Suisse et de sa situation frontalière avec la France. Comme  signalé  au  Chapitre  2,  en  Suisse  les  pratiques  de  validation  sont  très  récentes  et  caractérisées  par :  (a)  une  importante  structuration  organisationnelle  concernant  les  caractéristiques de la procédure, le rôle des différentes instances impliquées, les prérequis  d’accès pour les bénéficiaires ; (b) une faible diffusion de la « culture de la VAE » sur le  territoire national ; ainsi que (c) par un flou méthodologique pour la mise en œuvre de ces  procédures (Cortessis, 2010). La nécessité de constituer un consensus et un langage  reconnu sur tout le territoire national, produit aussi un développement prudent de ces  pratiques, qui à l’heure actuelle, concernent un nombre limité de titres. Dans cette  transition entre réglementation cantonale et réglementation fédérale des procédures de  VAE, les conseillers du DQA bénéficient d’une légitimation plus étendue de leur activité,  définissent mieux leur rôle de coordination de l’ensemble de la procédure, mais ressentent  que leur possibilité de  manœuvre  se réduit, notamment  en direction des  possibles  candidats au dispositif de validation.  

La proximité culturelle et linguistique avec la France a facilité l’intégration, dans la  pratique pionnière des conseillers du DQA, de certains concepts et approches dérivant de la  culture française de la formation et de l’analyse du travail. Ces éléments infléchissent les  pratiques de validation et ne sont pas répandus dans le reste de la Confédération. Par  exemple la distinction entre travail prescrit et travail réel, ainsi que certaines méthodologies  favorisant l’explicitation de l’expérience, sont presque inconnues dans les régions non  francophones de la Suisse, comme nous l'avons vérifié à maintes occasions au cours de la  participation aux travaux de la Plateforme nationale de validation des acquis.  

Trois autres éléments caractérisent l’activité des conseillers du DQA par rapport à leur  homologues français. Premièrement le système de formation professionnelle en Suisse est  moins complexe qu’en France, par conséquent les candidats ont une perspective assez  claire du positionnement du type de qualification recherché. En second lieu, le DQA est  intégré dans un Office cantonal pour l’orientation et la formation professionnelle continue. 

Ce deuxième élément fait que le niveau d’information‐conseil plus général, concernant  l’évaluation de la pertinence de la procédure de VAE par rapport aux parcours personnels et  professionnels des usagers, est pris en charge par les conseillers d’orientation de l’Office. 

Ainsi l’activité des conseillers en validation du DQA se focalise davantage sur l’apport aux 

candidats  de  repères  concrets  pour  vérifier  la  faisabilité  et  les  modalités  de  leur  engagement  dans  la  procédure.  Enfin,  l’intervention  d’information‐conseil  n’est  pas  circonscrite à la seule phase d’entrée dans la procédure (bien que celle‐ci est l’objet de  notre thèse) mais s’étale tout au long de celle‐ci, jusqu’à sa conclusion.  

Ces  éléments  différencient l’activité  des  conseillers  du  DQA par rapport  à  leurs  homologues français, principalement sur ces dimensions : (a)  moindre complexité du  système de validation, qui engendre une facilitation partielle au regard de l’information à  donner au public ; (b) davantage de focalisation sur l’information concernant les dimensions  concrètes de la procédure ; (c) davantage de retour sur l’ensemble du parcours des  candidats, sur les obstacles et sur les éventuelles mesures à mettre en œuvre. Ceci permet  de comprendre pourquoi parmi les différentes formes d’intervention à l’intérieur des SEA,  l’analyse  de  besoins  se  présente  de  manière  réduite.  Parallèlement  une  évaluation  pronostique régulière émerge, nourrie des connaissances constituées par les conseillers sur  les éléments qui favorisent ou entravent la procédure. Cette anticipation permet aussi de  prévenir les obstacles à la réussite des candidats.  

6.1.2 Une dimension formative implicite et structurante  

Nous considérons que l’entrée dans le parcours de validation, telle qu’elle est réalisée  dans les SEA considérées, se caractérise par des dimensions formatives importantes qui,  bien  qu’implicites,  se  manifestent  par  trois  éléments  principaux :  (a)  leur  fonction  informative ; (b) leur structure ; (c) la proposition d’offres de compréhensions basées sur la  ressemblance.  

D’abord,  la  dimension « informative » de  ces  entretiens  implique  l’activation  de  dynamiques de transformation des savoirs pour les deux acteurs concernés, car nous ne  concevons pas l’information comme « un objet transportable d’un individu à l’autre » mais  comme une émergence de significations, dépendante de la perspective de chaque acteur. 

Cette dimension formative se trouve renforcée par la structure de la SEA, qui se configure  comme un micro‐parcours de validation, condensant les différentes caractéristiques de la  procédure entière : au cours de la SEA toutes les étapes, les contenus et fonctions de la VAE  sont abordés et préfigurés, voire partiellement expérimentés.  

L’offre prépondérante de modes de compréhension basés sur la ressemblance, que nous  assimilons, en suivant Peirce (1931‐1958), aux modalités de signification de type iconique, 

indique l’effort mis en œuvre par les conseillers pour donner des ancrages de signification  accessibles aux candidats. Ce qui leur facilite la compréhension et la préfiguration du  parcours de validation, en reliant l’événement de la VAE à un cadre expérientiel connu, et  en sollicitant des expériences mimétiques (Durand, Goudeaux, Horcik, Salini, Danielian & 

Frobert, sous presse). Cette offre se manifeste par l’utilisation de schémas, métaphores,  exemples, anecdotes, dialogues fictifs, simulation d’entretiens d’explicitation, ainsi que par  la structure même de la SEA, qui semble représenter une icône de la procédure. Comme  indiqué par nombreux travaux (e.g. Durand, 1996 ; Fabbri & Munari, 2005 ; Filliettaz, de  Saint‐Georges, Duc, 2008) les modalités de signification de type iconiques (ailleurs aussi  dénommées  de  type  analogique)  sont  à  la  fois  un  élément  saillant  des  processus  d’apprentissage et des méthodologies de formation.  

La dimension d’évaluation pronostique des SEA participe aussi à cette dimension  formative implicite car, construite partiellement avec les candidats, elle peut favoriser chez  eux un processus d’apprentissage. Une dimension formative est également présente chez  les conseillers, par l’intégration des savoirs concernant les différents métiers qui leur sont  décrits par les candidats. Cela étend et précise leur culture professionnelle, et ils peuvent  s’appuyer sur ces descriptions pour comprendre les exigences des titres, et faciliter la  compréhension des liens entre les compétences requises par un titre et la pratique d’un  métier par les candidats successifs.  

6.1.3 Une problématique de signification et d’anticipation de l’inconnu  

Les situations d’information‐conseil initiales se caractérisent par la présence massive  d’une préfiguration de l’expérience future ‐ ou d’anticipation de l’avenir. Cette préfiguration  est exprimée par différents éléments, qui ont une fonction de préparation et de pronostic  de faisabilité et/ou de réussite de la procédure pour les candidats. La prégnance de cette  activité de préfiguration nous fait envisager une difficulté spécifique à décrire, faire saisir et  anticiper l’expérience de la validation des acquis de l’expérience.  

La VAE est porteuse d’indétermination ou de flou, qui se manifeste par le vécu  d’incertitude évoqué par les candidats, qui a déjà été repéré dans les études françaises et  lors des premières séances de RSD pendant l’étude préalable. Ces candidats disent ne pas  savoir à quoi s’attendre dans les situations d’information‐conseil initiales, ainsi que dans la  procédure de validation dans son ensemble. Pourtant la VAE ne se présente apparemment 

pas comme un événement imprévisible et inattendu : toute son organisation est au  contraire marquée par des indications portant sur ce qu’il faut faire et comment le faire. 

Cette dimension d’indéfinition nous semble associée à la difficulté des conseillers (bien que  ceux du DQA l’expriment de manière moins insistante que leurs collègues français) à définir  la spécificité de leur prestation, en utilisant des modalités de définition par la négative : « ce  n’est pas » de l’accompagnement, de l’orientation, de l’évaluation.  

Plus globalement, en ce qui concerne l’interaction réciproque, une préoccupation  commune semble animer les deux catégories d’acteurs impliqués dans la SEA : comprendre  (et se comprendre) pour comprendre que faire. Pour les conseillers cela concerne les  stratégies à adopter pour rendre accessible la procédure aux candidats ; pour ces derniers la  saisie  des  explications  du  conseiller  afin  de  préfigurer  les  activités  à  réaliser,  et  éventuellement s’y engager.  

La VAE correspond à un objet de connaissance et d’expérience dont le caractère est  encore très nouveau, abstrait et vague pour ceux qui vont s’y engager, ainsi que pour ceux  qui doivent la décrire. Nous faisons l’hypothèse qu’informer et conseiller sur la validation  des  acquis  de  l’expérience  engage  une  problématique  spécifique  de  signification,  concernant  les  modes  de  compréhension  d’un  phénomène  inconnu  (Eco,  1997). 

Problématique  qui  se  manifeste  par  une  difficulté  à  saisir/faire  saisir  et  anticiper  l’expérience de la validation des acquis de l’expérience, ainsi que par le recours, de la part  des conseillers, à une pluralité d’offres de signification de type iconique (notamment sur un  mode métaphorique) lors des SEA. Cette problématique est l’objet central de notre thèse,  dont nous précisons les modalités d’exploration dans la section suivante.  

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