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Notre  approche  prend  l’activité  comme  objet  d’étude  et  de  conception.  Ce  positionnement, se fonde sur l’exigence d’aller au‐delà des séparations ou clivages entre  facultés humaines, en faisant référence à un continuum dynamique qui recouvre à la fois  des dimensions biologiques, psychologiques, sociales et culturelles, et s’exprime par des  mises en relations, des transformations réciproques, ainsi que des mouvements et des  actions, sans se résumer à ces dernières. Cette conception concerne la relation entre  l’individu et son environnement (physique et social), entre action et cognition, entre champs  disciplinaires, ainsi qu’entre domaines de recherche et domaines d’intervention ou de 

« pratique » (Barbier & Durand, 2003 ; Davydov, 1998 ; Durand, 2009 ; Schwartz, 2007 ;  Theureau, 2009).  

Diverses approches en sciences sociales se fondent sur cette conception unificatrice de  l’activité. Tout en ayant des éléments communs  ‐ une conception holistique, située et  incarnée de l’activité, son inscription dans la continuité et dans le temps, son caractère  négocié ‐, ces approches manifestent aussi des différences parfois irréductibles, qui tiennent  aux articulations entre recherches empiriques et leurs théorisations, et à l’articulation des  points de vue disciplinaires (Barbier & Durand, 2003). Cette diversité rend nécessaire un  effort de positionnement, pour préciser le cadre à l’intérieur duquel est conduite notre  analyse. 

Nous faisons référence à la perspective de l’enaction, telle qu’elle a principalement été  élaborée par Theureau (e.g. 2004, 2006, 2009) dans le cadre du programme de recherche  Cours d’Action. Nous présentons d’abord les éléments clés de cette approche, qui seront  développés  dans  les  chapitres  théoriques  de  la  thèse.  Ensuite  nous  décrivons  les 

caractéristiques générales de la méthode utilisée dans cette recherche, ainsi que la modalité  globale de réalisation de cette dernière.  

1.2.1 Un lien indissociable entre activité, cognition et signification 

La notion d’enaction décrit une approche qui met au centre l’idée que la cognition se  manifeste comme propriété émergeante de l’histoire du couplage d’un système biologique  avec son environnement. Ce lien indissociable entre action et cognition se fonde sur  l’ensemble des prémisses élaborées par Maturana et Varela (1987) sur la dimension  autopoiétique du vivant. Celle‐ci se caractérise par deux dynamiques interagissantes :  l’activité auto‐organisante  et auto‐productrice  de chaque organisme garantissant  son  autonomie,  et  l’activité  d’interdépendance  réciproque  entre  un  organisme  et  son  environnement. Cette perspective va à l’encontre des modèles causalistes de la cognition,  qui se fondent sur l’idée que les processus cognitifs résultent de l’action d’entités qui  préexistent  à  leur  mise  en  relation.  Les  changements  d’un  système  vivant,  bien  qu’interprétables par un observateur comme effets d’une cause externe, sont les résultats  d’un processus d’auto‐transformation visant le maintien de l’invariance organisationnelle  face aux perturbations de l’environnement (Maturana & Varela, 1987 ; Varela, Thompson & 

Rosch, 1991). La perspective de l’enaction se spécifie par les éléments suivants : (a) la  cognition se caractérise par sa capacité de créer de la signification ; (b) le monde n’est pas  quelque chose d’externe qui est représenté à l’intérieur du cerveau mais un domaine  relationnel,  émergeant  de  l’interconnexion  entre  organisme  et  environnement ;  (c)  concernant les êtres humains, l’expérience n’est pas un épiphénomène, mais une dimension  centrale pour la compréhension de la cognition (Thompson, 2007).  

Les éléments constituant la perspective de l’enaction sont assumés par Theureau dans  son élaboration du programme de recherche Cours d’action. Celui‐ci vise la prise en compte  de l’activité dans son contexte complexe, ainsi que les particularités des acteurs qu’y sont  insérés.  Ce  programme  de  recherche  se constitue  par  la  mise  en  exergue  du  lien  indissociable entre activité et cognition, et de l’aspect contextualisé et créateur de cette  dernière.  À  l’intérieur  de  ce  programme,  les  prémisses  évoquées  auparavant  sont  développées par les opérations suivantes : (a) l’intégration de l’hypothèse de la dimension  vécue de l’activité et le compte rendu de l’expérience des acteurs humains à partir de la  notion  de  conscience  pré‐réflexive,  dérivant  des  travaux  de  Sartre (1943) ;  (b)  la  spécification de la dimension située de l’activité humaine, dans ses dimensions sociales, 

culturelles et techniques, à partir d’une relecture critique des nombreuses études en ce  domaine ;  (c)  l’intégration  et  l’adaptation  de  la  sémiotique  de  Peirce  et  de  sa  phanéroscopie, ce qui conduit à l’élaboration de la notion d’« activité‐signe », et à la  constitution d’un cadre théorique permettant d’atteindre une description symbolique  acceptable (selon les termes de Varela) de l’activité humaine ; (d) la mise en œuvre de  recherches empiriques et technologiques dans plusieurs domaines de pratique selon une  perspective d’anthropologie cognitive située (Theureau, 2004, 2006, 2009).  

À partir de ce cadre nous soulignons la spécificité de trois notions qui traversent de  manière importante notre étude : l’information, l’expérience et l’apprentissage. D’abord  l’information est conçue comme un construit émergeant de la dynamique de l’activité, et  non pas comme un élément qui est transporté d’un lieu ou d’un individu à un autre. On  abandonne ainsi la logique, inscrite dans le « paradigme de la commande », du passage  d’information comme instruction, pour assumer la perspective de la conversation, où  l’information apparaît comme codépendante, constructive et créatrice du sens (Varela,  1989a). De la même manière le phénomène de communication n’est pas conçu selon la  métaphore du « canal », car elle dépend de ce qui arrive au système vivant qui la reçoit  (Maturana et Varela, 1987).  

La notion d’expérience est considérée à la lumière des conceptions de Theureau et de  Peirce. Primairement elle correspond au vécu de l’activité, c’est‐à‐dire à une modalité de  conscience particulière, de « présence à soi » consubstantielle au flux de l’activité et qui est  à l’origine d’un point de vue en première personne. Cette forme de conscience (ou  conscience préréflexive) correspond à une familiarité de l’acteur à son activité, comportant  un vécu qui est susceptible de compréhension et d’une certaine connaissance de la part de  l’individu, par la mise en œuvre de conditions spécifiques d’exploration (Theureau, 2006). 

Deuxièmement, comme souligné par Peirce (1931‐1958) l’expérience se caractérise par une  activité interprétative continue de l’existant. Pour Peirce notre vécu inclut l’ensemble de la  dynamique de signification, qui se constitue dans l’interaction entre trois catégories de  l’expérience. La première est de l’ordre du possible, des significations qui pourraient  s’actualiser ou pas dans une situation donnée ; la deuxième est de l’ordre de l’actuel, de ce  qui est perçu comme significatif dans une situation spécifique ; la troisième est de l’ordre du  virtuel et de la généralisation, et se constitue comme médiation émergeante de l’interaction  entre les deux catégories précédentes. Cette dernière catégorie pour Peirce correspond au 

« sens de l’apprentissage » (MS 881, 1885 – in Fabbrichesi Leo, 1992) car elle nous permet 

de valider, infirmer ou modifier les significations constituées auparavant d’une situation  donnée.  

À la lumière de ces conceptions, l’apprentissage n’est pas quelque chose qui advient ou  qui peut ne pas advenir. Si toute activité est à la fois cognitive et signifiante, dans toute  situation expérienciée par un individu sont présentes des dynamiques qui transforment ses  significations, soit dans le sens d’une consolidation, soit dans le sens d’une déconstruction  et reconstruction. Ce sont des dynamiques d’apprentissage, par lesquelles nos savoirs  s’inscrivent dans un continuum de transformation. Elles ne fonctionnent pas sur un mode  séquentiel, enchaînant mécaniquement des éléments précédents à des autres qui leur sont  conséquents, mais s’expriment par l’émergence d’éléments qui à la fois intègrent et vont  au‐delà de leurs prémisses.  

1.2.2 Méthode et modalité de mise en œuvre de la recherche 

La recherche qui fait l’objet de cette thèse a été réalisée selon une perspective  d’anthropologie  cognitive  située,  telle  qu’élaborée  par  Theureau,  afin  d’assurer  une  cohérence entre la méthode d’étude de l’activité humaine et l’épistémologie du programme  de recherche Cours d’Action (Theureau, 2004, 2006). Visant l’étude de l’activité des acteurs  en situations naturelles, et en considérant aussi leur vécu, cette perspective délimite une  série d’objets théoriques et précise les conditions de mise en œuvre d’un « observatoire »  de ces objets, et les modalités de recueil des données, ainsi qu’un cadre théorique d’analyse  pour leur traitement.  

L’activité est considérée à partir à la fois des éléments ressortant d’une observation des  acteurs  en  situation  (les  dimensions  extrinsèques  de  l’activité)  et  des  contenus  de  l’expérience exprimés par ces acteurs (les dimensions intrinsèques de l’activité, ou cours  d’expérience). L’articulation entre les descriptions extrinsèques et intrinsèques de l’activité  d’un acteur donnée, en une situation donnée, correspond au cours d’action de cet acteur,  les descriptions intrinsèques ayant valeur de primauté sur l’ensemble des descriptions  (Theureau, 2004, 2006).  

La constitution de l’observatoire des objets théoriques de l’activité se fonde sur une  série de conditions : (a) le recueil de données en situation naturelle ; (b) la mise en œuvre  d’une méthodologie qui permette l’accès au vécu de l’acteur en situation (ce qui est réalisé  par des séances de « remise en situation dynamique », détaillées dans les chapitres 

méthodologiques  de  cette  thèse) ;  (c)  la  clarification  du  positionnement  éthique  et  méthodologique du chercheur au regard de ses rapports avec les acteurs de terrain,  garantissant non seulement la fiabilité des données récoltés, mais aussi une relation à  l’autre non objectivante (Theureau, 2004 ; 2006).  

Le  traitement  de  données  de  type  extrinsèque  est  réalisé  selon  une  approche  ethnographique, visant l’identification des caractères typiques de l’activité observée. Le  traitement des données de type intrinsèque se fonde sur le cadre d’analyse sémio‐logique  du cours d’expérience, inspiré par la sémiotique peircienne. Selon ce cadre dans un premier  temps l’activité est déconstruite à partir de l’identification des unités de signification  exprimées par les acteurs, et dans un deuxième temps elle est reconstruite en identifiant les  dimensions typiques de la dynamique de signification de ces acteurs.  

À la lumière des prémisses épistémologiques, méthodologiques et éthiques décrites plus  haut, notre étude, comme toute recherche, s’est constituée à partir d’une récursivité  régulière  entre  dimensions  empiriques  et  problématisations  théoriques.  De  cette  structuration progressive ce travail ne peut pas rendre complètement compte, mais nous la  synthétisons en en pointant deux mouvements clé. Dans un premier mouvement, nous  avons exploré notre sujet d’étude pour en identifier les problématiques sous‐jacentes. Cela  a été effectué par une étude préalable, où ont été prises en compte surtout les dimensions  extrinsèques de l’activité étudiée. Le mouvement successif, fondé sur l’individuation de la  problématique devenue objet central de notre thèse, s’est caractérisé par une double  opération. D’une part une analyse de type conceptuel a permis la délimitation du cadre  théorique de la problématique identifiée, d’autre part une analyse empirique du cours  d’expérience  des acteurs,  a  permis l’identification des  dimensions typiques  de leurs  dynamiques de signification, en considération aussi du cadre théorique identifié auparavant.  

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