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Section 2 : La demande d’explication

C- Saisine administrative sélective

S’ajoute à cela, le problème lié à la saisine de l’instance habilitée à se prononcer sur l’aspect pécunier, qui relève du pouvoir de l’administration. Cette dernière peut laisser la procédure perdurer au-delà de six (6) mois, notamment dans le cas de la poursuite pénale, au motif que l’instance judiciaire ne s’est pas encore prononcée "définitivement" sur le sujet.

Certes, l’article 66 du décret n°82-302 offre au fonctionnaire la possibilité de saisir cette instance paritaire si l’administration ne l’a pas fait dans les quatre (4) jours qui suivent la date de la suspension, mais il ne peut déclencher la réunion de la Commission Administrative Paritaire siégeant en conseil de discipline qui relève des prérogatives de l’administration(2).

La saisine de la commission paritaire n’a donc pas d’effet sur elle . La suspension qui est une mesure d’ordre intérieur ne peut faire l’objet d’un recours auprès des membres de la Commission Administrative Paritaire ni de la Commission de Recours (3). La faculté offerte par l’article 66 du décret n°82-302 précité au fonctionnaire de saisir directement la commission se contente uniquement d’inciter l’administration à faire diligenter la prise de la décision (de sanctionner ou de s’abstenir de le faire), et raccourcir ainsi la durée de la suspension au minimum.

Par ailleurs la saisine de l’instance disciplinaire par le militaire est absente des dispositions du statut des personnels militaires, ainsi que des dispositions des décrets présidentiels n°08-177-178 et 179 sus cités. Ce qui prive le militaire d’une garantie, celle de recourir à l’instance disciplinaire. De ce fait, il devra attendra la convocation de l’administration militaire pour comparaître par-devant les membres du conseil d’enquête ou de discipline.

c / Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et l’Université d’Oran, affaire

n°54908. Doc, ronéo.

1-Le législateur algérien ne laisse pas le choix à l’administration pour apprécier l’opportunité de la suspension en cas de constatation d’une faute grave, son pouvoir est lié par ce texte. Par contre le législateur français dispose autrement, en effet, l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires donne à l’administration le pouvoir discrétionnaire de l’administration à recourir à la suspension :«en cas de faute grave commise par un fonctionnaire …l’auteur de cette faute peut être suspendu…».

2-Voir infra,une réunion à la demande du fonctionnaire; le bon vouloir de l’administration,p.256 et ss.

3

-La jurisprudence du C.E.F a opté pour un rétrécissement de la notion de mesure d’ordre intérieur par deux arrêts consécutifs datés du même jour; 17 février 1995; M. Marie, req. n°97754 et, M. Hardouin, req n°107766, in A.J.D.A du 20 mai 1995. pp. 420-421. Voir de plus, De Corail. J-L. La distinction entre mesure disciplinaire et

mesure hiérarchique dans le droit de la fonction publique. DA 1967,p.7. A.J.D.A, 1967,p. 3; Singer. J. Les

L’article 33 de la loi organique n°04-11 expédie vaguement la saisine du C.S.M par le magistrat qui s’estime lésé dans ses droits. Cette disposition est rédigée d’une manière générale et n’éclaire pas sur la possibilité pour le magistrat suspendu de saisir directement le conseil.

En effet, l’article 22 de la loi organique n°04-12 relative au C.S.M confirme ce constat et met un terme à toute équivoque : «le ministre de la justice exerce l’action disciplinaire devant le conseil …». Aucune disposition relative à la saisine directe et individuelle par le magistrat suspendu n’est mentionnée, notamment si on sait que cette volonté est renforcée par la "nécessaire" présence des représentants de l’administration dans ce conseil, qui ne peut se réunir ni délibérer sans eux.

Ainsi, aucun texte n’infirme cette volonté d’"évincer" la saisine du fonctionnaire suspendu du processus décisionnel de la commission paritaire. Le fonctionnaire n’aura de soutien effectif que de l’intérieur de la Commission Administrative Paritaire, notamment de la part des représentants du personnel qui peuvent demander la réunion du conseil de discipline.

C’est ainsi que les jurisprudences algérienne et française admettent le recours judicaire contre les suspensions abusives.

1°) La décision de suspension est susceptible de recours pour excès de pouvoir, de même qu’elle peut ouvrir droit à dommages-intérêts au profit de l’agent, si elle apparaît finalement comme injustifiée(1).

La non-justification de la mesure peut notamment résulter du caractère insuffisamment grave des fautes reprochées(2).

2°) On peut enfin préciser que, si l’agent suspendu reste soumis à l’obligation de réserve, il est libéré, du fait qu’il n’exerce plus ses fonctions, de l’interdiction d’exercer une activité professionnelle privée(3), mais à condition qu’elle ne soit pas incompatible avec la mission du corps de fonctionnaires auquel il appartient toujours(4).

Sous section 2 : Une suspension soumise à la poursuite pénale.

La difficulté de la notion de poursuite pénale résulte de ce qu’il n’existe aucune définition précise de cette notion dans le code de procédure pénale. Ainsi, les termes de "poursuites pénales" sont employés dans plusieurs législations (droit administratif, droit du travail, droit fiscal) sans être assortis d’une définition et il n’existe pas non plus de définition générale de la notion dans un texte de droit pénal, y compris dans le code de procédure pénale.

Par ailleurs, la durée de la suspension ainsi que la perception de la totalité de la rémunération du fonctionnaire suspendu et leur relation avec la durée de la poursuite pénale accusent des lacunes.

1-Chambre administrative de la cour suprême algérienne; 22/1/1977, Boudiaf Mohamed c/ Directeur de

l’institut de droit et Ministre de l’enseignement supérieur, in R.A.J.A, op.cit. P,89. A noter ici, que cette

jurisprudence a fluctué dans la mesure où la cour suprême a jugé la suspension d’un maître assistant par le directeur de l’Université d’Oran justifiée et légale; 27/2/1988;B. A. N. A c/ Ministre de l’enseignement

supérieur et directeur de l’Université d’Oran,op.cit; C.E.F, 2 mars 1972,Comm. d’Asnières –sur-Oise AJ

1979 n°10, p. 44; 15/10/1982 Rocque in R.D.P, 1983. p, 1114, et Arrêt Reinhart précité et 19/5/1965 DmeCirio

AJ 1965, p. 623. Le tribunal administratif de Lyon a par contre estimé que la circonstance qu’un fonctionnaire (directeur d’école soupçonné d’agressions sexuelles contre des mineurs de 15 ans) ait été relaxé des faits pour lesquels il a été suspendu ne rend pas a posteriori illégale la suspension qui a un caractère purement conservatoire. La responsabilité de l’Etat du fait de cette suspension n’est pas établie; 14/10/2004. M. D, Req. n°0202492-D, in A.J.F.P janvier–février 2005. p,47. Alors que le tribunal de Nantes a retenu une solution contraire; 19/12/2002. M. Hureau,n°0000735.

2-C.E.F 24 juin 1977 DmeDeleuse, p. 294, in R.D.P, 1977, p. 1353.

3-Cour Suprême (Cham adm) 11/2/1991 B.A c/Bureau Piérre, in Revue Judiciaire n°4 de 1992, page 133. C.E.F 16/11/1956 Renaudat p. 434. D 1956, p. 762 et rev adm 1957, p. 34. Sur le régime de suspension aggravé institué, en relation avec les événements d’Algérie voir arrêt FEN précité, et G Morange, les principes généraux

du droit et la VeRépublique. in R.D.P, 1960. p 1180. Voir aussi, supra; obligation de non cumul d’activités et

obligation de réserve,respectivement, p.100 et ss, et p.114 et ss.

4

A - Procédure pénale; notion difficile à déterminer.

La D.G.F.P a essayé d’apporter une clarification de la poursuite judiciaire qui conditionne la suspension du fonctionnaire : «

la suspension ne peut être prononcée par l’administration que lorsque la poursuite pénale est effectivement engagée par le procureur de la république ou par le juge d’instruction dans le cadre de la mise en mouvement de l’action publique»

(1)

.

Mais on a vu des cas où le juge d’instruction ne suit pas les recommandations du parquet et prononce un non-lieu. Le juge d’instruction peut aussi refuser d’instruire (d’informer) une plainte d’un administré ou d’une administration formulée contre un fonctionnaire, l’action judiciaire commence certes par une instruction du parquet ou du juge d’instruction, mais ne finit pas forcément auprès d’eux; l’affaire peut être jugée par le tribunal qui peut condamner, relaxer ou acquitter.

Plusieurs interprétations sont dès lors possibles, la première consiste à faire prévaloir une interprétation autonome de la notion, propre au droit de la fonction publique, et la seconde à s’aligner sur la signification donnée à ces termes dans la procédure pénale. Le C.E.F l’a très bien démontré dans l’affaire Vedrenne(2).

1- Notion définie en référence au code de procédure pénale.

Aucun argument juridique déterminant ne faisait obstacle à ce que le juge adopte dans cette affaire, en l’absence de définition précise, une interprétation de la notion de "poursuite pénale" propre au droit de la fonction publique. Bien au contraire, la circonstance que la suspension soit en quelque sorte le prélude à une action disciplinaire aurait pu inciter le juge, en vertu du principe de l’indépendance de l’action pénale et de l’action disciplinaire, à retenir une interprétation de ces termes propre au droit disciplinaire des fonctionnaires.

Dans ces conditions il aurait été possible de considérer qu’il y a engagement des poursuites pénales dès le stade de l’enquête préliminaire dans la mesure où elle est destinée à éclairer le parquet sur l’opportunité des poursuites. L’ouverture de cette enquête, qu’elle soit diligentée par le parquet ou d’office par les services de police judiciaire, a d’ailleurs pour effet d’interrompre la prescription de l’action publique, ce qui montre bien son lien avec le déclenchement du procès pénal.

En pratique le déclenchement de poursuites pénales est le résultat d’un processus de plusieurs étapes. Dans un premier temps, les services de police judiciaire reçoivent les plaintes ou dénonciations et constatent les infractions. Ils doivent transmettre au procureur de la république toutes les infractions dont ils ont été avertis ou qu’ils ont constatées(3).

Une enquête préliminaire peut être diligentée à ce stade en vue d’établir l’exactitude des faits. Cette enquête est engagée soit à l’initiative du procureur de la république lui-même, soit d’office par les officiers de police judiciaire; elle est conduite sous la surveillance et la direction du procureur. Au vu des procès verbaux, plaintes et dénonciations qui lui ont été transmis et, le cas échéant, des résultats de l’enquête préliminaire, le procureur décide alors de classer l’affaire ou de mettre en mouvement l’action publique(4).

Le déclenchement de l’action publique passe principalement par la citation directe de l’agent devant le tribunal ou, lorsque la loi exige une instruction préalable ou que la matérialité des faits est mal établie, l’auteur de l’infraction inconnu, la culpabilité douteuse, par le réquisitoire introductif adressé au juge d’instruction.

L’action publique peut également être mise en mouvement par la victime elle-même, par une citation directe devant le tribunal ou une plainte avec constitution de partie civile. Enfin le

1-D.G.F.P, circulaire n°5 du 12 avril 2004, voir annexes.

2-Voir A.J.D.A du 20 décembre 1993, p. 889.

3-Article 40 ter du code de procédure pénale.

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procureur exerce l’action publique devant la juridiction de jugement par les réquisitions qu’il prononce.

Donc, les délais qu’encourent les investigations de la police judiciaire, de l’instruction, ainsi, que le temps que commandent les impératifs du jugement en première (tribunal) et deuxième instance pénale (cour) liés aux principes du contradictoire et aux droits de la défense feront sans aucun doute allonger les procédures d’appel et de cassation, qui ne seront pas en faveur du fonctionnaire suspendu. La notion du délai raisonnable relatif au jugement des affaires liées au droit disciplinaire de la fonction publique trouve ici sa pleine raison d’être(1).

2- Considération plus rigoureuse au profit du fonctionnaire.

Néanmoins des considérations fortes de l’affaire Vedrenne, ont conduit le C.E.F dans un sens différent, conformément aux conclusions de son commissaire du Gouvernement Gilles

Le Chatelier.

D’une part, la matière pénale se trouvant ainsi au cœur des libertés individuelles, il convient de faire prévaloir une interprétation précise et rigoureuse de la notion de poursuites pénales afin d’éviter que le fonctionnaire ne soit livré indéfiniment aux aléas de l’enquête de police, même si l’action des services de police judiciaire est encadrée par le procureur de la république.

D’autre part, le législateur français a voulu renforcer la protection des fonctionnaires suspendus en supprimant le principe de la retenue sur traitement et en serrant strictement dans le temps l’effet de la suspension; or, dans la mesure où l’effet des poursuites pénales est précisément de réduire cette protection (la suspension est prolongée sans limite et une retenue peut être effectuée sur le traitement dans la limite de la moitié de son montant), la notion de poursuites pénales doit être entendue dans un sens strict.

C’est dès lors une conception plus rigoureuse des poursuites pénales qu’à retenue le conseil d’Etat, en se fondant sur le sens donné habituellement à ce terme en procédure pénale. Il n’y a en effet poursuite au sens procédural du terme que lorsqu’est prise la décision de poursuivre l’auteur d’une infraction. Cette décision correspond à la mise en mouvement de l’action publique, par le procureur ou par la victime se constituant partie civile.

L’importance pratique de la décision Vedrenne est certaine, elle impose à l’administration de faire preuve de vigilance lorsqu’elle suspend un fonctionnaire qu’elle suspecte d’avoir commis une infraction dans la mesure où elle devra le réintégrer dans ses fonctions au terme de six mois si l’action publique n’a pas d’ici là été déclenchée contre lui.

Il reste que l’administration n’est pas démunie de tout moyen d’action dans le cas où l’action publique n’a pu être mise en mouvement à temps.

D’une part, rien ne l’empêche, bien au contraire, d’infliger au fonctionnaire une sanction disciplinaire. Le principe de l’indépendance de l’action pénale et disciplinaire a en effet pour conséquence que l’autorité disciplinaire n’a pas à attendre les résultats de l’action pénale éventuelle pour se prononcer(2).

D’autre part, l’administration n’est pas tenue de réintégrer l’agent dans son emploi d’origine au terme du délai de six (6) mois.

3 – L’innocence n’ouvre pas tous les droits.

Le fonctionnaire qui est rétabli dans ses fonctions au bout de six (6) mois, doit-il être réaffecté dans son emploi d’origine ou dans un emploi similaire?

Encore une fois, le C.E.F a écarté l’obligation de réintégrer l’agent dans son emploi d’origine après une suspension. Une telle interprétation est sous-tendue par de solides

1-JORDA. J. Le délai raisonnable et le droit disciplinaire de la fonction publique, in A.J.D.A de janvier 2002. p, 13 et ss.

2-C.E.F, 9/7/1948, Sieur Archambault. Leb. p, 323; 13/12/1968, Ministre des finances c/ Sieur Gomard, Leb. p, 652. Aussi, voir infra, p.207 et ss.

arguments d’opportunité : autant il est légitime de réintégrer un agent dans son emploi lorsque le ministère public a renoncé à le poursuivre car l’infraction n’était pas établie, autant sa réinsertion dans son emploi peut être difficile, en dépit du principe de présomption d’innocence, dans le cas où l’enquête se poursuit.

Néanmoins, le C.E.F a jugé que la suspension d’un fonctionnaire en raison de poursuites pénales engagées contre lui n’ouvre pas une vacance d’emploi autorisant la nomination d’un autre fonctionnaire dans les mêmes fonctions occupées. Aussi, il peut prétendre s’il est finalement relevé indemne de toute sanction disciplinaire ou de toute condamnation pénale au remboursement des retenues effectuées sur sa rémunération(1).

Mais rien n’empêcherait l’administration de procéder si nécessaire à une mutation de l’agent dans l’intérêt du service, mesure qui ne revêt pas de caractère disciplinaire. Comme c’est le cas pour les magistrats algériens suspendus par le ministère de la justice qui ont été disculpés par le Conseil Supérieur de la Magistrature, le ministère de la justice les a mutés d’office dans d’autres emplois; décisions qu’ils contestent, car ils estiment que la mutation dont ils font l’objet malgré le non-lieu du C.S.M est une sanction disciplinaire déguisée et non une mesure administrative interne(2), alors que le ministère de la justice considère que leur mutation est un détachement qui obéit aux dispositions de l’article 57 de la loi organique sur la magistrature.

En limitant les effets des mesures de suspension sur la situation juridique et pécuniaire des fonctionnaires, ces décisions se situent dans le prolongement de l’évolution jurisprudentielle qui a cherché à la fois à minimiser la nature des mesures de suspension et à renforcer les garanties des fonctionnaires suspendus.