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La mise en demeure; modalités et contrôle juridictionnel

Le procédé de la mise en demeure est généralement présenté comme étant à la seule disposition de l’administration ; or il est parfois accordé au juge administratif et à certains particuliers juridiquement déterminés à l’employer(2).

Mais la mise en demeure a une singularité ; c’est un élément de procédure de l’action administrative et aussi dans l’étude des cas de recevabilité des recours contentieux.

Sous-section1 : La mise en demeure une garantie disciplinaire régie de façon précise par le droit public.

La mise en demeure est un acte administratif tendant à signaler le retard ou la défaillance dans l’exécutioin d’une obligation pour permettre au fonctionnaire de régulariser sa situation.

Le procédé de la mise en demeure n’est pas un procédé de droit commun, il ne peut être employé que lorsque son utilisation a été prévue par un texte, ainsi la mise en demeure est prévue par l’article 184 de l’ordonnance n°06-03 portant S.G.F.P. Entre autre dans les cas ou le fonctionnaire abandonne son poste de travail. L’article 184 dispose:«Lorsqu’un fonctionnaire est absent depuis au moins quinze (15) jours consécutifs, sans justification valable, l’autorité investie

1-Voir supra,p.144 et ss.

2-Notre étude ne s’étalera pas sur les aspects de la mise en demeure en droit administratif, elle se limitera à la procédure disciplinaire uniquement.

du pouvoir de nomination engage la procédure de révocation pour abandon de poste, après mise en demeure, selon des modalités fixées par voie réglementaire.».

Ou en cas d’absence ou de fausse déclaration de patrimoine, fait grave qui nécessite selon l’article 62 de la loi organique n°04-11 portant statut de la magistrature, une mise en demeure pouvant conduire à une révocation(1).

Dès lors qu’elle est prévue par un texte, la mise en demeure n’est jamais facultative, le juge fait respecter cette règle de manière stricte et l’inclut dans les garanties disciplinaires, puisque l’omission de la mise en demeure est considérée comme un vice de procédure(2).

Aussi, la mise en demeure n’est pas réservée uniquement à l’administration, en fait, trois catégories de personnes physiques ou morales peuvent avoir à l’utiliser(3).

L’administration l’utilise fréquemment dans le cadre de son pouvoir hiérarchique ou de tutelle pour attirer l’attention de ses administrés, de ses partenaires, cocontractants entrepreneurs et des fonctionnaires sur leurs obligations envers elle.

Aussi, l’administration l’utilise dans les cas disciplinaires impliquant les fonctionnaires.

Sous-section2 : Les modalités d’application de la mise en demeure.

La mise en demeure, comme tout acte administratif, doit obéir à certaines conditions de forme, de délai et de contenu.

A- Forme unifiée; intervention de la D.G.F.P souhaitée.

La mise en demeure peut être variable selon les cas; cependant lorsqu’un texte prévoyant une mise en demeure prescrit pour celle-ci une forme particulière, le non-respect de la forme prévue entraîne l’irrégularité de l’opération.

Il va de soi que la mise en demeure doit être adressée par courrier recommandé avec demande d’accusé de réception signé par le destinataire lui-même, c'est-à-dire le fonctionnaire à qui s’adresse la mise en demeure(4).

Mais à l’inverse des modèles fixés par la D.G.F.P relatifs aux décisions de suspension, de la convocation de comparution devant le conseil de discipline et de la notification de la décision du conseil (5), la circulaire n°05 du 12 avril 2004 émanant de la D.G.F.P relative à

1-Nous avons déjà soulevé que la non déclaration du patrimoine constitue une faute professionnelle grave pouvant justifier une sanction disciplinaire de révocation. Voir supra, fautes disciplinaires,p.74 et ss.

2-C.E.F, 11/2/1976, Le Baby Club de Fontenay le Fleury. C.E.F, 25/6/2003, n° 225347,Office départemental

d’habitations à loyer modéré de la Haute-Vienne C/ Christian D., requête 259743 et, requêtes 147511 et

147512, in Rec. C.E. p. 474.

3

-L’administration, sujet de notre étude; les particuliers juridiquement déterminés, comme les cocontractants de l’administration, qui mettent en demeure l’administration pour qu’elle mette à leur disposition en temps voulu les éléments, terrains, matériaux,….nécessaires à l’exécution du contrat suivant code des marchés et, la mise en demeure faite par le juge administratif qui, lorsque le délai fixé pour la production des mémoires en défense est écoulé, adresse une mise en demeure au ministre ou à la partie qui n’a pas respecté le délai imparti. CAPLAUX. J. La mise en demeure en droit administratif, doc ronéo. 1977. Ces deux derniers cas échappent à notre étude, on se contentera donc du premier sujet, l’administration.

4-Aucune disposition législative ou réglementaire ne parle des modalités de réception et de notification de la mise en demeure, cependant l’article 168 de l’ordonnance n°06-03 exige la notification par lettre recommandée avec accusé de réception pour comparution par-devant les membres du conseil de discipline :«Le fonctionnaire traduit devant la commission administrative paritaire, siégeant en conseil de discipline, est tenu, sauf cas de force majeure, de comparaître en personne. La date de sa comparution lui est notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception au moins quinze (15) jours à l’avance…». L’article 23 de l’ancien code de procédure civile considérait la réception (dans une affaire judiciaire) faite par le concierge, les parents et proches, ainsi que les domestiques du destinataire ou toute autre personne habitant dans le même lieu que ce dernier comme si elle était faite par l’intéressé lui-même. Cette pratique comportait des risques pour le destinataire (par exemple, non remise effective par la personne qui a reçu la mise en demeure à la personne destinataire; du fait d’éloignement, changement d’adresse, voyage, hospitalisation, ou simplement par animosité personnelle).Certaines administrations recourent aux services d’huissiers en pareils cas.

5-Le C.E.A, 20/4/2004, M.A c/ Wali de la wilaya de Skikda, a annulé une décision portant sanction de révocation au motif que l’administration n’a pas prouvé qu’elle a effectivement convoqué le requérant

l’application des articles 130 et 131 du décret n°85-59 du 23 mars 1985 précité, n’a pas fixé de modèle à la mise en demeure(1).

Le juge annule les décisions intervenues à la suite d’une mise en demeure prise dans une forme ne correspondant pas à celle prévue ou annule la mise en demeure elle-même lorsqu’elle est admise comme un acte faisant grief, dans le cas où aucune forme n’est prévue, comme c’est le cas pour la mise en demeure pour abandon de poste ou d’absence de déclaration de patrimoine. Ainsi, le juge décide que la mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l’agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu’il appartient à l’administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d’un document écrit, notifié à l’intéressé, l’informant du risque qu’il encourt d’une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable (2). Une simple lettre peut constituer le support de la mise en demeure et c’est le cas le plus fréquent, on rencontre ici une analogie avec la mise en demeure en droit civil.

B– Un délai fixe ajusté à chaque cas.

La mise en demeure signale le retard dans l’exécution d’une faute, pour permettre au destinataire de régulariser sa situation; aussi la réglementation du délai accordé à ce dernier est-elle importante.

Le texte prévoyant la mise en demeure indique expressément le délai applicable accordé au destinataire pour obtempérer aux injonctions qu’elle contient.

Dans le cas de l’abandon de poste il est estimé à quinze (15) jours(3)

. Quant à l’absence de déclaration du patrimoine, le délai n’est pas précisé dans l’article 184 de l’ordonnance n°06-03 précitée, néanmoins, on peut supposer, eu égard au délai d’un (01) mois donné pour le fonctionnaire nommé ou déchargé de ses fonctions, et la prorogation d’un mois prescrite en cas de force majeure par les dispositions de l’ordonnance n°97-04 sus citée, que la mise en demeure interviendra dans le troisième mois qui suit l’installation ou la fin des fonctions(4)

. Notre déduction est renforcée par l’énoncé de l’article 36 de la loi n°06-01 précitée qui édicte des sanctions du défaut ou de la fausse déclaration du patrimoine en obligeant l’administration à adresser une lettre de rappel après deux mois de la prise ou de fin de fonction :«

est puni …qui deux mois après un rappel, par voie légale,…».

D’autre part, le délai accordé doit être suffisant pour permettre la régularisation demandée dans ces cas. L’administration peut fixer un délai de quarante-huit (48) heures pour le fonctionnaire le sommant de rejoindre son poste de travail, ou de produire des justificatifs à son absence.

Le cas de la maladie est à éloigner dans ce cas de figure, car la réglementation relative à la sécurité sociale exige du fonctionnaire "malade" la remise ou le dépôt de son certificat d’incapacité permanente ou partielle de travail (I.P.P) dans les deux (2) jours qui suivent l’établissement et la délivrance du certificat médical; soit à la C.N.A.S, soit à l’administration lieu de son travail, auquel cas la mise en demeure n’aura pas lieu d’être(5).

(présentation d’une copie de la convocation n’est pas une preuve), il déclare que seule la signature du fonctionnaire sur l’accusé de réception, ou sur un procès verbal (établit par l’administration ou par un huissier par exemple) est une convocation légale et recevable, in Revue du Conseil d’Etat, n°5 de 2004,p.143 et s.

1-Voir annexes.

2

-C.E.F, 25/6/2003, n° 225347,Office départemental d’habitations à loyer modéré de la Haute-Vienne C/

Christian. D, précité.

3-Article 184 de l’ordonnance n°06-03.

4-Articles 04 à 07.

5

-On peut envisager le cas du fonctionnaire qui habite loin de son lieu de travail(le travail au sud par exemple) et tombe malade durant son congé de détente, ou est hospitalisé; l’envoi par voie postale de son certificat avec accusé de réception dans les délais impartis par la réglementation de la sécurité sociale est suffisant pour lui éviter de faire l’objet d’une procédure disciplinaire pour abandon de poste, le cachet de la poste (mentionnant la date d’envoi) faisant foi.

Le juge administratif, lorsqu’un litige lui est soumis, fait application de la jurisprudence traditionnelle relative aux«délais raisonnables», il veille strictement à ce que le délai prévu par le texte ou l’autorité compétente soit respecté(1).

C – Un contenu précisant les griefs et les conséquences.

La mise en demeure doit préciser la ou les faute(s) retenue(s) contre le fonctionnaire –le cas d’abandon de poste, ou d’absence de déclaration du patrimoine–, et l’informer s’il est passible de traduction par-devant les membres de la Commission Administrative Paritaire, siégeant en Conseil de Discipline, en cas de refus d’obtempérer.

Ainsi, le C.E.F a jugé illégale la procédure de radiation des cadres pour abandon de poste, au motif que la mise en demeure n’informait pas l’intéressé qu’il risquait la radiation sans bénéficier des garanties de la procédure disciplinaire (2). L’administration doit licencier le fonctionnaire qui ne rejoint pas son affectation, ne se rend pas à son travail ou disparaît sans laisser de trace. Avant d'engager ce type de licenciement, l'administration doit faire tous les efforts raisonnables pour tenter de retrouver la trace du fonctionnaire et le convaincre de reprendre ses fonctions. Le minimum est d'envoyer une lettre de mise en demeure avec demande d'accusé de réception à son domicile ou au dernier domicile connu (3). Le licenciement lui-même est effectué sans les garanties de la procédure disciplinaire. Dans la lettre d'abandon de poste ainsi que dans l'arrêté constatant l'abandon, il faut préciser que cette révocation intervient sans procédure disciplinaire préalable.

D - Effets et sanctions liés aux délais.

C’est évidemment une fois le délai écoulé que l’effet de la mise en demeure peut être apprécié. L’administration est autorisée à poursuivre la procédure administrative non contentieuse, c'est-à-dire la révocation pour abandon de poste ou absence de déclaration du patrimoine.

L’étude des effets de la mise en demeure montre clairement que, si elle est toujours un élément de procédure, certaines mises en demeure ont le caractère de véritables décisions administratives.

La jurisprudence française confirme ce double visage du procédé de la mise en demeure, à la fois élément de procédure et décision administrative.

Sous-section 3 : Le contrôle du juge sur la mise en demeure.

On distinguera entre la mise en demeure élément de procédure, et la mise en demeure décision faisant grief.

A- Le cas de la mise en demeure élément de procédure.

Dans ce cas la mise en demeure est un élément d’une procédure disciplinaire dictée par un texte, et qui a pour objet d’attirer l’attention de l’intéressé sur sa faute, ainsi que la mention des sanctions qu’il encourt.

1 - Le contrôle de l’omission de la mise en demeure.

L’omission de la mise en demeure est sanctionnée par l’annulation de l’acte administratif intervenu en dépit du non-respect de cette procédure«

Qu’en revanche aucune mise en demeure ne lui a été adressée à la suite des contrôles de l’inspecteur du service de la jeunesse et

1

- C.E.F, Baby club, et Office départemental d’habitations à loyer modéré de la Haute-Vienne c/ Christian

D , précités.

2-C.E.F; 15/6/2005, Yoyotte c / Ministre de la défense, in A.J.F.P septembre-octobre 2005,p.269.

3- C.E.A, 27/5/2002, Ministre des finances c/ M.F, in Revue du Conseil d’Etat, n°5 de 2004,p.178. C.E.F, Baby

des sports…ainsi, l’arrêté par lequel le préfet du Calvados a ordonné la fermeture de l’établissement pour une durée minimum d’une année est intervenu à la suite d’une procédure irrégulière»(1).

Dans certains cas, le juge administratif précise même dans l’arrêt que la mise en demeure prévue par le texte est une formalité substantielle. Cette solution est d’application générale, la révocation prononcée est irrégulière lorsque l’administration n’observe pas l’obligation d’adresser une mise en demeure préalable aux sanctions(2).

2 - Le contrôle des modalités de la mise en demeure.

Le juge fait aussi respecter les modalités prescrites par les textes pour l’emploi de la procédure de mise en demeure. Il annule un arrêté préfectoral au motif que la mise en demeure qui l’avait précédé n’indiquait pas les insuffisances auxquelles il devait être porté remède(3).

C’est par le biais de la recevabilité des recours dirigés contre les mises en demeures elles-mêmes que s’exerce ce contrôle.

B - Le cas de la mise en demeure; décision administrative faisant grief.

La jurisprudence française est quantitativement importante(4), mais l’interprétation qu’il convient de retenir varie selon les auteurs.

1 – L’option de la gravité.

Pour M. Braibant(5), les mises en demeure de l’administration sont des décisions administratives faisant grief avec une exception : les cas où la mise en demeure n’est que le premier acte d’une procédure complexe – comme c’est le cas dans notre étude procédure disciplinaire –; et une limite, celle qui sépare les mises en demeure des documents ne contenant que recommandations ou interprétations. Et M. Braibant propose de prendre au mot l’auteur de l’acte en considérant qu’il entend prendre une décision chaque fois qu’il utilise l’expression de mise en demeure.

2- L’option de rappel.

A l’opposé, MM. Auby et Drago notent : «

Ces actes, souvent dénommés mise en demeure, sont généralement considérés par la jurisprudence comme n’étant par nature à faire grief, la jurisprudence a du reste toujours manifesté des hésitations en cette matière et il est difficile d’en dégager avec précision les lignes directrices». La mise en demeure n’est qu’une mesure administrative visant à rappeler l’intéressé à ses obligations.

3- L’option de la suite à donner.

A mi-chemin, l’opinion de M. Odent pour qui«les solutions sont toujours très nuancées et, se justifient quelquefois d’avantage par les circonstances de l’affaire et par le désir de donner aux intéressés un minimum de garantie juridictionnelle que par une doctrine très ferme»(6).

En fait, l’évolution jurisprudentielle semble confirmer la thèse de M. Braibant et ce, vraisemblablement pour les raisons avancées par M. Odent(7).

1-C.E.F, Baby club, et Office départemental d’habitations à loyer modéré de la Haute-Vienne C/ Christian

D. précités.

2-C.E.A, Ministre des finances c/ M.F, op,cit. C.E.F, Commune de Danville les Bains, précité.

3

-C.E.F Baby club, et Office départemental d’habitations à loyer modéré de la Haute-Vienne C/ Christian

D. précités.

4-A défaut d’arrêts de la jurisprudence algérienne, nous sommes obligés de revenir à la jurisprudence française.

5-Conclusion dans l’affaire Ministre du travail / Caisse chirurgicale mutuelle de la Gironde. C.E.F. 15/12/1967.

6-Odent, Contentieux administratif, cours IEP, Paris. 1971. cité par CAPLAUX. J. La mise en demeure en

droit administratif, doc,ronéo. 1977.

7-C.E.F 8/4/1961, Dame Klein et tribunal administratif de Rouen, 7/6/1974, Dame Louis Pector c/ Ville du

La recevabilité des recours contre les mises en demeure de l’administration est assez largement admise. Ont été acceptés des recours contre une mise en demeure adressée à un professeur pour lui avoir exigé de donner sa démission du barreau sous peine d’être déféré au conseil de discipline (1). Seules font exception à cette évolution les mises en demeure qui ne constituent que le premier acte d’une procédure complexe, telle que la procédure disciplinaire

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