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LES PHASES DESCRIPTIVE ET INTERPRÉTATIVE DES PHOTOGRAPHIES

4. Culture chinoise un / personnage dans un film arts martiaux chinois diffusé à la

4.2 Les icônes du bouddhisme dans des contextes inattendus

4.2.3 La sagesse face à la recherche de la fortune

À l’époque moderne, un certain nombre de moines sont critiqués pour leur implication dans les affaires, le temple étant une source de profits provenant des donations des pratiquants qui y cherchent (en d’autres termes, qui y achètent) du bonheur. Les Thaïlandais bouddhistes attribuent un statut supérieur et spirituel aux prédécesseurs du Bouddha, détachés du monde matériel pour pouvoir atteindre le Nirvana, lequel devrait être l’objectif de tous les moines. Mais ce n’est pas toujours le cas. Parmi les documents choisis comme corpus, les auteurs étrangers présentent sans réserve des images du

bouddhisme commercial comme en témoignent certains rites qui semblent fort éloignés de

l’enseignement bouddhiste.

« Selon la croyance populaire, l’ascèse prolongée, la pratique de la méditation et l’apprentissage des textes sacrés confèrent à celui qui s’y soumet une constitution spirituelle hors norme et par là des pouvoirs magiques. Les moines se trouvent ainsi en permanence sollicités pour délivrer sous des formes variées des protections, des porte-bonheurs, des charmes, pour révéler les chiffres du prochain tirage de la loterie nationale, pour placer sous les meilleurs auspices l’usage de nouveaux bâtiments et véhicules (de l’Airbus de la Thaï Airways au cyclomoteur Honda), ou encore pour guérir les maux les plus divers, y compris ceux du ressort de la psychiatrie. Ce faisant, ils sont pris dans une perpétuelle contradiction : d’un côté, se retrancher du monde et s’extraire des tentations mondaines pour se rapprocher de l’idéal du non-être ;

de l’autre, satisfaire les ambitions immédiates et souvent vénales de leurs contemporains comme prix de l’ancrage et de l’audience du sangkha dans la société. »220

Les moines, qui devraient abandonner leurs biens et adopter une vie frugale, font fortune en vendant des amulettes et en organisant des rites à but commercial tel que le tatouage sacré. Celui-ci est censé susciter des effets protecteurs ou favoriser le succès en amour. En pratiquant ces rites, les moines s’éloignent des enseignements du Bouddha, qui insiste bien davantage sur le bonheur dans l’âme et l’apaisement du mauvais en soi.

« Mais, bien souvent, les bonzes ne s’arrêtent pas à l’art de contrôler leurs processus mentaux. Ils pratiquent fréquemment des exorcismes, bénissent des commerces et des voitures, proclament des « numéros gagnants » de loterie, chassent des esprits maléfiques d’un lieu hanté… Cet éclectisme reflète les différentes traditions de superstitions et de religions qui ont influencé la Thaïlande depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne ; il en est résulté un mélange spirituel, fortement dominé par le bouddhisme theravada, mais qui intègre des éléments d’animisme, de sorcellerie, d’hindouisme et de divers autres cultes… »221

Fig. 50 : La statue de Bouddha couverte de billets

220 FORMOSO Bernard, op.cit., p. 98. 221

La figure 50 fait interagir deux signes extrêmement contrastés : le bouddha et l’argent, symbolisant le spirituel et le matériel. La grande quantité de billets qui déborde jusqu’au cou de la statuette de Bouddha symbolise l’excès et la richesse. Ce concept déformé du bouddhisme en Thaïlande contemporaine est plus proche d’« inciter » que d’« apaiser », de « tenir » que d’« abandonner ». Ces deux pôles opposés sont souvent évoqués dans l’enseignement bouddhiste « attachement » et « détachement » : le premier est la cause des souffrances tandis que le second est le seul moyen de les abolir. Les croyants achètent le salut de leur âme en faisant des donations et placent leur confiance dans des objets dit sacrés : les talismans et les amulettes. De plus, la reproduction des statues de Bouddha et des amulettes, en tant que produits dérivés de l’objectif initial de la création (souvenir du Bouddha et de son enseignement), apporte la fortune à ceux qui œuvrent dans cette industrie. Beaucoup de pratiquants aujourd’hui sont attirés pour le bonheur matériel au détriment du cheminement vers le Nirvana. Il en est de même pour les moines qui poursuivent cette quête de la fortune.

Fig. 51 : Un marché aux amulettes

Les marchés d’amulettes en Thaïlande sont florissants, de sorte que les statues de Bouddha sont réduites au statut de marchandises. La légende de la figure 51 ci-dessus illustre l’abondance des « produits sacrés » qui fait de la Thaïlande un pays où le peuple est préoccupé par les pouvoirs surnaturels au détriment des vertus spirituelles. « Le pays aux

esprits. Quiétude pour cette vendeuse du marché aux amulettes de Tàlàat Phra Khrêuanng. Nul mauvais sort ne devrait venir troubler son sommeil. Les grigris veillent… rassurent et rendent hommage à une multitude d’esprits encore très présents dans l’imaginaire thaïlandais. De toutes les amulettes, les statuettes du Bouddha sont les plus populaires et les plus respectées. »222 Si l’on examine le message connoté dans cet exemple, on observe que la pose du personnage (le sommeil) évoque le sens opposé à ce que signifie le nom du Bouddha (l’éveillé).

Pour se protéger des dangers, surtout pour ceux qui travaillent dans les rues (celles de Bangkok en particulier, dont les embouteillages sont parmi les plus importants au monde), les conducteurs qui se sentent menacés par les accidents posent sur le tableau de bord une ou des images de Bouddha, ou encore celles de moines renommés, comme ce chauffeur de taxi dans la figure 52. « À Bangkok, de nombreux chauffeurs de taxi décorent leur tableau de bord de talismans et d’images pieuses pour se protéger des dangers de la circulation chaotique. »223 Ces « nomades » trouvent une sérénité spirituelle dans la décoration de leur autel personnel et croient en leur pouvoir protecteur.

Fig. 52 : Le tableau de bord d’un taxi décoré d’images de Bouddha et de maîtres moines

222 MAUPETIT Philippe, op.cit., p. 21. 223

Du fait qu’ils suivent strictement les 227 règles et qu’ils sont les représentants du Bouddha, les moines représentent symboliquement l’image de la bonté et semblent avoir quelques pouvoirs « surnaturels » qui protègent du mal. Certains bouddhistes croient ainsi que les amulettes, qui sont rendues sacrées dans les cérémonies présidées par des maîtres moines, possèdent un pouvoir protecteur. Les statuettes de Bouddha inventées originellement pour la mémoire du seigneur deviennent donc des objets de valeur, dont certaines sont très recherchées sur le marché. Le « bouddhisme commercial » ou le

business bouddhisme ne cesse pas d’être jugé comme une tentation vers le monde matériel

que les successeurs du Bouddha devraient en fait éviter. Les icônes de moines bouddhistes s’éloignent de leurs fonctions normales de représentants du Bouddha. Elles sont désormais porteuses de prétendus pouvoirs magiques qui tendent plutôt vers l’animisme.

Dans la figure 53, les bouddhistes participant à une cérémonie sont trop nombreux pour se faire asperger d’eau bénite de façon normale. Pour répondre à la demande de la foule, ces moines ont disposé des tuyaux à travers lesquels l’eau est poussée par des moteurs pour qu’elle atteigne tout le monde. L’eau bénite dans ce contexte ressemble à un produit industrialisé et paraît dès lors moins sacrée. Cette image inhabituelle évoque la manière dont les champions de formule 1 s’aspergent de champagne pour célébrer leur victoire : image plutôt équivoque s’agissant de moines.