CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE CADRE THÉORIQUE
2.5 Lidentité à travers les signes de la dualité
Basés sur les aspects culturels de la Thaïlande, les supports sélectionnés touchent des sujets assez variés : de la vie politique à lactivité sociale des Thaïlandais, des pratiques religieuses à la vie quotidienne et dautres différents aspects de la vie sociale. Avant de détailler lanalyse des supports dans le chapitre suivant, nous proposons daborder ici la question de lidentité.
2.5.1 Lidentité et la crise du sens
Lidentité thaïlandaise est en mouvement et en constante mutation comme cest le cas pour dautres pays. Prenons larticle de Jean-Pierre Saez intitulé « Identités et cultures au miroir de la grande mutation », où il aborde la « crise du sens », résultat du changement global qui affecte le monde aujourdhui. Cette crise déstabilise lindividu contemporain dans son rapport au monde et se manifeste par une « perte didentité individuelle et sociale ». Lauteur montre les exemples de la recherche des valeurs perdues qui se traduit par le retour aux valeurs et aux racines chez nombre de contemporains. Ceux-ci, en souhaitant restabiliser leur rapport au monde, sinscrivent dans une lignée historique et spirituelle, ce qui semble être une façon dentretenir une mémoire collective. Selon Saez, cela peut se traduire dune manière pathologique et « débouche sur la réévaluation de fondamentalismes culturels des plus éclectiques invoquant lidée dun retour à une présupposée pureté, quelle soit nationale, religieuse ou ethnique ». 156
Ce que Saez appelle la « soif de sens » semble bien correspondre à la société thaïlandaise, où les individus cherchent le « sens » dans leur pratique quotidienne. Limage de la société sétablit sur deux axes : tradition et modernité. Il nous semble que parfois la coexistence des deux nest pas totalement harmonieuse. Cela sexprime par limage ambiguë de la culture thaïlandaise daujourdhui. En principe, le rôle de la religion bouddhiste (pratiquée par 95% de la population) savère fondamental puisquelle est la source principale dinspiration dans les pratiques, les murs, les imaginaires et toutes sortes de représentations artistiques et culturelles. Mais au milieu de ce souffle de changement, il convient de se demander si la société thaïlandaise se réfère toujours à ces
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anciens repères moraux et spirituels. Lacculturation à lépoque contemporaine se fait beaucoup plus vite quautrefois, surtout dans un monde où les frontières sont moins visibles. Nous verrons lévolution très rapide qui heurte parfois le besoin de préserver lidentité nationale et culturelle ou le retour à la valeur nationale. À la recherche préliminaire et au recueil des supports, nous avons découvert un certain nombre de sens détournés ainsi que la modification des pratiques traditionnelles et la création des nouvelles significations dans la représentation culturelle du pays. Il sagit aussi de la question de laltérité, le fait dêtre un autre ou caractère de ce qui est autre, ce qui est à lopposé de lidentité.
2.5.2 Lidentité : identique vs différent
Dans le même ouvrage, larticle dEdmond-Marc Lipiansky157 avance des idées tout aussi pertinentes. La notion didentité, selon lauteur, renvoie à deux significations opposées. « Dune part, il sagit du caractère de ce qui est identique (objet parfaitement semblables tout en restant distincts). Dautre part, elle renvoie à lunicité dun objet, irréductiblement différent des autres. » Ainsi défini, le terme didentité repose sur la dualité. « Lidentité (quelle soit individuelle ou collective) soffre ainsi dans le paradoxe dêtre ce qui rend à la fois semblable et différent, unique et pareil aux autres. » Identique mais distinct, ce ne serait donc pas surprenant de dire que lidentité se forme sur la différence et la similitude, toujours par rapport aux autres. Lauteur présume que lidentité implique « lexistence dun autre auquel la relient des relations dassimilation et de différenciation. Dans ce sens, lidentité culturelle, comme toute identité, est inséparable dun rapport à laltérité et donc de la communication interculturelle. » Lidentité, en évolution perpétuelle, se constitue à travers un processus dassimilation et de différenciation par rapport à dautres identités, ce qui suscite linterculturel. Lidentité est ainsi, selon Lipiansky, le résultat de linteraction des rapports, la prise de conscience de leur spécificité, des échanges, des emprunts et une constante transformation.
Nous y ajoutons lextrait de louvrage de Denys Cuche en ce qui concerne le paradoxe entre identique et distinct. « Lidentité sociale est à la fois inclusion et exclusion : elle identifie le groupe (sont membres de groupe ceux qui sont identiques sous un certain
157 LIPIANSKY Edmond-Marc, « Communication interculturelle et modèles identitaires », Identités, cultures et territoires, ed. par Jean-Pierre SAEZ, op.cit., p. 35-41.
rapport) et le distingue des autres groupes (dont les membres sont différents des premiers sous ce même rapport). Dans cette perspective, lidentité culturelle apparaît comme une commodité de catégorisation de la distinction nous/eux, fondée sur la différence culturelle. »158
Les écrits des Occidentaux ont évoqué les caractéristiques de la culture thaïlandaise, qui est née de la différence, de lassimilation, avant daboutir à la création daspects uniques : « elle (la population thaïlandaise) sest enrichie dinfluences birmanes (au nord) ou malaises (au sud) pour bâtir une nation unique en Asie du Sud-Est. »159 Cest par cette citation que nous concevons la différence entre les peuples thaïs qui composent la Thaïlande et lunicité de la culture thaïe, qui est unique vis-à-vis des autres pays de lAsie du sud-est. Il faut préciser que la modification dans la vie sociale et culturelle des Thaïlandais a été influencée par des facteurs comme la modernisation, laméricanisation, ou même la japonisation, suscitant des signes qui distinguent la thaïté des autres. Nous pouvons les precevoir avant tout par différenciation. Comme le dit Bourdieu, « lidentité sociale se définit et saffirme dans la différence. »160
Dans dautres paragraphes, Lipiansky montre aussi que lidentité est plutôt une représentation sociale relevant du mythe et de lidéologie quun phénomène social objectif, facteur dunification sociale. En prenant les notions dunique et didentique de Pierre Bourdieu, ce qui veut dire « unique de son identité » et « identique de son unité », Lipiansky conclut que, outre la manifestation et le reflet de lunité culturelle dun groupe, lidentité est plutôt « un des moyens par lesquels ce groupe cherche à construire cette unité, comme mythe mobilisateur, au-delà des diversités réelles, en proposant à ses membres limage dune totalité unifiée. Lidentité nest plus seulement alors le fondement de lunité dun groupe ; elle est aussi la résultante des processus didentification, dassimilation et de différenciation par lesquels ce groupe cherche à fonder sa cohésion et à marquer sa position en rapport avec dautres groupes. »161
158 CUCHE Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : La Découverte, 2001
[1996], p. 84.
159 BOISVIEUX Christophe et CHANIAL, Jean-Pierre, La Thaïlande. Collection Grands
Voyageurs, Paris : Éditions du Chêne Hachette Livre, 2001, p. 6.
160 BOURDIEU Pierre, La distinction, Paris : Minuit, 1979, p. 191.
Notre recherche qui sorganise autour de la problématique de lambiguïté culturelle et de la dichotomie tradition/modernité se fonde aussi sur limage de lacculturation. Le terme, dont Roger Bastide reprend la définition de Redfield, Linton et Herskovits, est « lensemble des phénomènes qui résultent de ce que des groupes dindividus de cultures différentes entre en contact continu et direct et des changements qui se produisent dans les patrons (pattern) culturels originaux de lun ou des deux groupes... ». Lacculturation insiste sur le changement qui est en train de se produire, au contraire du terme diffusion qui porte sur un transfert déjà terminé.162 Bastide ajoute aussi que ce sont en effet les individus qui sont en contact, jamais les cultures.163 Dans notre étude, il convient dobserver lacculturation à travers ladoption et lassimilation des cultures étrangères par les Thaïlandais.
Dailleurs, Lipiansky souligne le fait que lidentité culturelle ne dépend pas toujours de lidentité nationale. Ainsi, à lintérieur dune nation, on peut distinguer différents types didentités « culturelles » selon que lon considère : les cultures régionales, les appartenances ethniques, les catégories socio-professionnelles ou les identités sexuelles. Par conséquent, « cest souvent un mythe, une idéologie ou une illusion de croire que les nations constituent des ensembles culturellement homogènes. » Et cest lÉtat-nation qui cherche à favoriser une unification culturelle à travers les institutions comme lécole, larmée, la politique linguistique, ... 164
Outil de recherche et danalyse, le cadre théorique synthétisé dans ce chapitre servira comme piste danalyse pour les chapitres suivants. Notre étude voit aussi le croisement des courants dont le principal reste la sémiologie de limage. Les notions fondées sur les éléments iconiques seront reprises pour éclairer la démarche de la description et de linterprétation des signes qui constituent limage. Notre objectif est de définir léchantillon qui soutiendrait le mieux nos problématique et hypothèses. Le chapitre suivant portera sur la présentation du corpus ainsi que la méthodologie de travail.
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BASTIDE Roger, Anthropologie appliquée, Paris : Stock, 1998 [1971], p. 46.
163 Ibid., p. 51. 164