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1.4 Les points de vue internes sur la Thaïlande

1.4.2 Les cartes postales de la Thaïlande : une vitrine des produits culturels dans le monde

Ce qui distingue les affiches de cinéma des cartes postales, c’est que les premières sont censées transmettre l’histoire ou l’essentiel du film tandis que les dernières vantent directement les valeurs touristiques des sites à travers des images toutes positives, voire idéales. À notre avis, les cartes postales fonctionnent à la manière des vitrines de marchandises. C’est-à-dire représenter pour donner envie.

Nous avons fait une collecte de 82 cartes postales dans les quartiers touristiques de Bangkok. Elles sont toutes de fabrication locale, ce qui reflète bien l’autoreprésentation de la Thaïlande par les Thaïlandais mêmes. La limite de terrain de la collecte n’est pas considérée comme obstacle puisque nous avons pu trouver les cartes présentant des sites touristiques dans les provinces ailleurs que dans la capitale. Cela révèle par excellence le rôle de Bangkok en tant que centre de tous les intérêts du pays.

Les signes plastiques concourent à donner l’identité culturelle à travers la couleur dorée et les flèches qui font allusion aux temples bouddhiques. Les couleurs vives du pays chauds se distinguent par les couleurs du ciel bleu, du rayon de soleil et de la mer turquoise, composantes du paradis des vacances. Quant aux signes iconiques, nous trouvons des éléments stéréotypés du pays. Les plus souvent, ce sont les pagodes avec leurs éléments décoratifs, les moines bouddhistes en robe safran, les statues du Bouddha, les sites touristiques les plus fréquentés, les éléphants, et le moyen de transport typiquement thaïlandais— le tuk-tuk.

Certes, les cartes postales en tant que vitrines étalent les stéréotypes que les étrangers perçoivent du pays. Mais il est à remarquer que les thématiques appréhendées par des signes récurrents renforcent une image de la Thaïlande que les Thaïlandais veulent représenter au monde. Si nous considérons les affiches de cinéma comme des symptômes

de la société, les cartes postales devraient représenter une Thaïlande en bonne santé, joyeuse et traditionnelle. Le message sous-jacent de ces signes est que c’est un pays d’art et d’ancienne tradition liés au bouddhisme. Ce qui évoque sans doute les concepts de paix, de sûreté, de sérénité et cela suscite une image positive pour le tourisme. D’où le fait que la thématique de la religion est de loin la préférée (41 cartes sur 82). L’apparence du pays des anciennes traditions s’affirme avec la culture fluviale, où les habitants se déplacent tranquillement en bateaux – à travers les images des canaux, des barges, des marchés flottants. Par ailleurs, les traditions sont figurées par le sport traditionnel comme la boxe thaïe, les animaux liés à l’Histoire tels que les éléphants. La Thaïlande est ainsi représentée autant comme un lieu de nostalgie que comme un pays exotique.

Par contre, nous trouvons très peu la diversité ethnique ou culturelle, sauf dans le cas de quelques cartes avec les tribus montagnardes du Nord, en particulier. Sachant que les villages dans les montagnes sont aussi une des destinations populaires chez les touristes étrangers, nous envisageons la présence des tribus en costume traditionnel davantage comme produits culturels qu’en tant que sujet ethnique. Les sites historiques sont aussi présents suivant les circuits touristiques habituels comme les parcs historiques de Sukhothai, d’Ayutthaya, la ville de Chiangmai et les temples khmers dans le Nord-est, ce qui souligne la préservation des traditions depuis des générations. Nous remarquons également l’emploi du surnom de Bangkok « City of Angels » ou « la Cité des Anges » pour évoquer la merveille du royaume.

Au sujet de la nature, les pôles touristiques thaïlandais les plus fréquentés sont les mers et les plages (une dizaine de cartes). Il existe encore d’autres attractions touristiques comme les cascades, les rivières, mais beaucoup moins nombreux. Les orchidées sont aussi le sujet dans les cartes, vu qu’en Thaïlande, existent une variété de ce type de fleurs. L’orchidée est connue en tant que logo de la compagnie aérienne nationale « la Thaïe » dans les vols desquels les orchidées fraîches sont distribuées aux passagers.

La reproduction des images dans les cartes postales fait partie du processus de l’argumentation touristique, où ces icônes appartiennent à la commercialisation culturelle. Nous empruntons ce terme qui est utilisé dans les années 70 pour dénoncer l’influence du tourisme sur les manifestations culturelles à Bali. Il s’agissait de la question des traditions authentiques, qui ont risqué de devenir des sous-produits commerciaux destinés au marché

touristique. Les questions qui nous intéressent sont la falsification des traditions, manipulées et adaptées pour répondre aux attentes des visiteurs, et une perte de sens, qui peut provoquer une anomie généralisée au sein de la société, y compris le problème de la

dépossession des indigènes, dont le patrimoine culturel est devenu un produit destiné aux

touristes étrangers.64 Il est possible, à notre avis, que ces problèmes puissent se poser au sein de la culture thaïlandaise. Pourtant, nous trouvons des avis positifs envers le tourisme balinais dans le même ouvrage : le tourisme peut également permettre de préserver le patrimoine culturel et affirmer l’identité culturelle face aux touristes. En ce sens, les locaux sont motivés à préserver et à promouvoir leur culture, ce qui confortera le sens de l’identité et le maintien de l’estime de soi et de l’authenticité culturelle.65

D’ailleurs, nous observons que par le biais des cartes postales, certains messages prometteurs sont transmis aux futurs visiteurs de la même manière que l’emballage de marchandise, ce qui est comparable aux affiches auparavant étudiées. Pour rassurer les futurs touristes, les cartes postales de la Thaïlande montrent éventuellement que le pays n’est pas inaccessible. Ainsi, les images d’une capitale moderne sont aussi présentées, même peu nombreuses (deux ou trois au maximum). Avec ces images, Bangkok est perçue comme une ville cosmopolite, avec des gratte-ciels et des transports en commun du dernier cri. Cependant, la modernité ne peut pas être compétitive à l’image de la tradition, qui est beaucoup plus représentative.

Nous remarquons un lien entre les cartes postales et la promotion touristique de l’Office du tourisme de Thaïlande, qui est une autre forme de l’autoreprésentation. Dans la dernière, on remarque l’usage de stéréotypes, comme dans le film publicitaire intitulé

Hearing the Sunshine destiné aux étrangers.66 L’organisme fait appel aux icônes reconnues de la Thaïlande comme le sourire et l’hospitalité thaïlandaise, les waï, les tuk-tuk, le terme

Mai Pen Rai (« ça va aller » en français) que disent souvent les Thaïlandais. Bref, tous les

clichés à significations positives sur le pays. Ces figures trouvent un écho dans le guide touristique du National Geographic : « Bien sûr, le passé de la Thaïlande, que l’on peut apprécier à travers les arts, l’architecture et la religion, justifie à lui seul le voyage. Néanmoins, si l’on ajoute l’extrême beauté de sa nature, les délices de sa cuisine, la facilité

64

PICARD Michel, Bali : tourisme culturel et culture touristique, Paris : L’Harmattan, 1992, p. 123-124.

65

Ibid., p. 205.

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d’accès à ses différentes régions, la sécurité ambiante, le charme et la traditionnelle hospitalité de ses habitants, ce pays devient une véritable destination de rêve. » 67

Dans ce chapitre, la Thaïlande est envisagée sur les plans historique et géographique, auxquels s’ajoutent les points de vue à travers l’autoreprésentation et l’hétéro-représentation. Tout cela a pour but de révéler la genèse de la culture et ses caractéristiques, qui se fondent sur la diversité et l’assimilation. Ces dernières ne se différencient pas d’autres cultures, mais la culture thaïlandaise se distingue par l’idéologie inspirée de l’enseignement bouddhiste et l’esprit ouvert sur le monde, deux facteurs décisifs dans la construction de l’identité nationale en marge de la culture homogénéisée imposée par le pouvoir central. Nous avons aussi insisté sur les aspects observés par les Occidentaux. Ces aspects se situent entre deux valeurs contrastées, ce qui donne à la Thaïlande l’image d’un pays homogène et hétérogène à la fois.

Le chapitre suivant concernera le cadre théorique qui a structuré notre piste de recherche, fondée sur les approches sémiologiques et sémiotiques.

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MACDONALD Phil et PARKES Carl, Thaïlande : les guides de voyage, traduit en français par Isabelle Delaye et Françoise Fauchet, Paris : la National Geographic Society, 2006, p. 10.

CHAPITRE II