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LES PHASES DESCRIPTIVE ET INTERPRÉTATIVE DES PHOTOGRAPHIES

2. Les / pratiquants vénèrent le moine

4.3 Les icônes symboliques équivoques

4.3.6 La crise de l’identité sexuelle

Les ouvrages que nous avons consultés mentionnent l’existence de symptômes d’une crise de l’identité sexuelle s’inscrivant dans l’ensemble des phénomènes sociaux qui se donnent à voir en Thaïlande. L’image renvoyée est celle de la tolérance au travers de la diversité sexuelle, mais surtout l’ambiguïté sexuelle, avec l’existence d’un « troisième sexe ».

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Les deux photos suivantes révèlent un changement dans la représentation de la sexualité à travers la pratique de la boxe : la présence d’un boxeur transsexuel. En général, le troisième sexe est exclu de la pratique de ce sport ancestral, réservé au sexe fort.

Fig. 83 : Un transsexuel-boxeur

Dans la figure 83, les éléments iconiques indiquent une femme qui se repose, les mains enveloppées de bandages caractéristiques (ceux qui servent à protéger les mains des boxeurs sous les gants). Mais les signes linguistiques de la légende nous en disent davantage : il s’agit d’une personne du troisième sexe.

« Kathoey249 parmi les plus célèbres de Thaïlande, Nong Toom, est devenu champion de muay thai dans les années 1990. L’argent récolté lui a permis de financer une opération pour changer de sexe. Son histoire a été adaptée dans le film Fighting Beauty. Elle est ici photographiée au centre Fairtex de Pattaya, où elle entraîne de jeunes boxeurs prometteurs. »250

249 Kathoey /kathœj/ signifie « transsexuels » en langue thaïlandaise. Le mot, ayant plusieurs

variations dans l’orthographe en alphabet romain, peut s’écrire avec ou sans h (kathoey ou katoey). Le /th/ marque le /t/ aspiré et le /t/ pour le /t/ non aspiré. L’aspect aspiré/non aspiré est un trait distinctif dans les phonèmes thaïlandais, mais ne donne pas de sens en français. C’est la raison pour laquelle les auteurs étrangers écrivent kathoey ou katoey à leur gré. On trouve même une orthographe très différenciée, katohey (dont la prononciation est encore proche) dans Impression

Thaïlande. Le terme désigne le troisième sexe thaïlandais, « en général des travestis ou transsexuel

masculins, aussi appelés ladyboys ». WILLIAMS China, BEALES Mark, BEWER Tim et al.,

Thaïlande, 9e éd, Paris, Lonely Planet, 2010, p. 811.

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Nong Toom, ce boxeur transsexuel dont la vie a inspiré l’histoire d’un film

Fighting Beauty251 est une bonne illustration du thème de la lutte pour la reconnaissance dans un monde masculin, et de la difficulté de s’y imposer, pour gagner de l’argent afin d’être opéré pour devenir femme. Au niveau Master 2, nous avons étudié la quête de la féminité chez le personnage de la jaquette de ce film (voir la figure 6 dans le premier chapitre de cette thèse).

L’histoire de Nong Toom suscite toujours l’intérêt chez les auteurs étrangers. Nous avons trouvé son histoire et son image dans un autre ouvrage. La photo suivante a été prise par le photographe de Very Thai. Le même boxeur transsexuel pose sur le ring, à côté d’un autre boxeur (ayant l’air « normal ») comme si l’auteur voulait mettre en comparaison les deux boxeurs de sexes différents. Cela souligne la féminité chez Nong Toom à travers les signes comme la /coiffure/, le /visage maquillé/, le /port d’un T-shirt/ et la /manière de se tenir/.

Fig. 84 : Le boxeur transsexuel avec un autre boxeur

L’identité sexuelle ambiguë provient de l’image contrastée de la /virilité/ vs la /douceur/, la /masculinité/ vs la /féminité/. Ce sport qui est réservé au sexe fort (la pratique pour les « vrais » hommes) est pratiqué par le sexe qui n’est pas « fort » et par des personnes qui ne sont pas non plus de « vrais hommes ». Les transsexuels ne se croient pas par ailleurs masculins par leur apparence, leur attitude et certains de leurs traits physiques. Ce sport qui garde un statut de patrimoine culturel est en train de changer de visage. Le

251 Le titre du film Fighting Beauty est devenu Beautiful Boxer dans certains pays, y compris la

troisième sexe est présent même dans un milieu très sévère et conservateur, comme l’est la boxe thaïe, ce qui montre la tolérance des Thaïlandais. Comme le dit la légende ci-dessus, Nong Toom travaille comme entraîneur de jeunes boxeurs dans un centre de boxe à Pattaya. Ce boxeur transsexuel a acquis une véritable position dans ce métier grâce à la maîtrise du sport de « vrais » hommes.

En revanche, la vie des transsexuels n’est pas toujours aussi « éclairée » que celle de Nong Toom. La photo suivante (figure 85) crée une ambiance sombre à propos du troisième sexe, par l’usage de figures rhétoriques et quelques signes plastiques.

Fig. 85 : Des costumes de théâtre pour les transsexuels

Les éléments plastiques dominants dans cette photo sont les éclairages et les couleurs à travers l’obscurité, ainsi que les éléments décoratifs étincelants des costumes. L’antithèse clair/sombre est créée par ces costumes de théâtre déposés dans un coin sombre, des hommes se groupant plus loin à l’arrière-plan, leur regard fixé sur quelque chose hors-champs. Les deux éclairages différents servent à mettre à nu l’image obscure du troisième sexe qui cherche à s’exprimer, voire à briller, à travers la métonymie des vêtements. Même si cette photo ne présente pas les kathoey en personne, ceux-ci sont présents par les signes métonymiques des vêtements. Nous avons recours aux signes

linguistiques de la légende pour mieux comprendre la situation de ces « messieurs- dames ».

« Le troisième sexe

Ambiance entre chien et loup. Certains katohey trouvent un travail de jour dans la confection et la vente de costumes de théâtre. Ces hommes devenus femmes, ou ces « messieurs-dames » comme on les appelle aussi, danseront le soir venu dans quelques cabarets de la ville. »252

Dans cette légende, nous trouvons d’ailleurs l’antithèse de jour vs nuit. Le jour pendant lequel l’identité sexuelle s’alterne, d’homme en femme le soir, ainsi que dans la vie professionnelle, de vendeur en danseur. Tout cela évoque la « transformation » à travers la féminisation. Le fait, que ces ladyboys alternent un rôle de jour et un de nuit, rend leur identité sexuelle indécidable.

Les guides touristiques en parlent tandis que les beaux livres sur le pays que nous avons sélectionnés reflètent le visage de cette identité sexuelle en crise. « Il y a peu de pays où l’on croise tant d’hommes efféminés, souvent très exubérants. [...] Mais les lady boys,

kathoey en thaï, ne rentrent pas dans aucune catégorie, errant entre transsexualité,

bisexualité et homosexualité. Les kathoey désignent aussi bien des transsexuels, des hommes qui deviennent femmes, que des hommes très féminins, voire travestis. Les

kathoey thaïlandais ne passent pas par l’épisode du coming-out comme c’est le cas en

Europe. Il n’est pas rare de croiser un jeune garçon qui développe ses traits féminins bien avant d’atteindre la puberté, là où les jeunes homosexuels français ont tendance à cacher leurs sentiments. »253 Le signe qui nous paraît le plus intéressant est le panneau ambigu que nous avons trouvé sur un blog racontant la vie des ladyboys en Thaïlande :

« “Ladyboy” ou “katoeys” en thaïlandais. Au royaume de Siam, ils sont un million deux cent mille, soit 2% de la population. On les rencontre partout, dans les restaurants, les boutiques, on les voit présenter des shows à la

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MAUPETIT Philippe, op.cit., p. 59.

253 GOUYON Anne et DEVILLERS Eleonore, Thaïlande : the natural guide, Jouy-sur-Morin :

télévision, tenir des premiers rôles au cinéma, en apparence ce sont des filles, biologiquement des garçons.»254

Fig. 86 : Un panneau combinant les deux sexes aux toilettes du troisième sexe dans une école

Le panneau indique des toilettes réservées au troisième sexe, dans une école. Ce signe, comportant la féminité sur le côté droit (par les signifiants de la coiffure féminine et de la jupe) et la masculinité sur le gauche (représenté par les cheveux courts et le pantalon), est le mélange des deux aspects physiques dans l’apparence des ladyboys. Dans la photo ci-dessous, les garçons sont en uniforme scolaire (certains vêtus de l’uniforme scout), mais il se peut que certains s’expriment au féminin, par la langue ou les gestes. Certains homosexuels thaïlandais expriment leur féminité même s’ils revêtent l’apparence physique d’un homme.

Fig. 87 : Les toilettes pour les écoliers homosexuels

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Le panneau de la combinaison masculinité/féminité fait allusion à la photo suivante qui vient d’une scène du spectacle dans un club des travestis. La légende de la photo dit : « un artiste du club Alcazar habillé moitié-homme, moitié-femme, avec coiffures assorties. » La co-présence de la masculinité et de la féminité renforce l’idée de l’apparence ambiguë des ladyboys comme l’indique ce terme (lady + boy qui veut dire une fille-garçon) particulièrement créé pour parler de ce phénomène en Thaïlande. « Le troisième sexe thaïlandais a toujours fasciné et nourri la curiosité, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Ce ne sont pas tant les résultats souvent stupéfiants de la transformation sexuelle qui étonnent, que l’apparente acceptation de la société thaïlandaise, attribuée à la tolérance bouddhiste. [...] Les kathoey ont adopté toutes les luttes des femmes. Leur changement n’est pas changement physique, la langue thaïe marque les genres, et quand les kathoey parlent, ils s’expriment au féminin. Quand ils recherchent un partenaire sérieux, ils pensent le plus souvent à un homme hétérosexuel. »255

Fig. 88 : Une scène du spectacle des travestis au club Alcazar, Pattaya

La Thaïlande est aussi le pays spécialiste de la chirurgie transsexuelle : « En moyenne, environ 30 000 hommes viennent se faire opérer chaque année en Thaïlande pour changer de sexe. On estime par ailleurs le nombre de “ladyboys” dans le pays à

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200 000, bien que peu de statistiques circulent à ce sujet. »256 Cela révèle l’omniprésence du troisième sexe et la reconnaissance de leur existence dans la société thaïe. Comme le dit un journaliste français expatrié en Thaïlande : « Et sans doute aucun pays au monde ne tolère la diversité des comportements sexuels (homosexualité masculine et féminine, transsexualité, etc.) avec autant de bonhomie. »257 Cet extrait montre la diversité de l’orientation sexuelle dans la société thaïlandaise qui s’exprime au regard des étrangers. Grâce à la tolérance envers les déviations sexuelles, certains livres évoquent la Thaïlande en tant que paradis et capitale des homosexuels qui attire les touristes gays dans le pays.258