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IV. Méthodologie  de  recherche

2.   Le  réseau  de  lecture

2.3   Les  notions  comme  outils  et  objets  d’enseignement

2.3.1   La  série

Outre les stratégies de compréhension en lecture, l’élargissement des références littéraires des élèves et le développement langagier, la séquence a pour objectif de permettre un début de construction de certaines notions essentielles dans l’enseignement de la lecture et de la littérature. Ce sont ces mêmes notions qui servent d’outils aux élèves dans leur mise en réseaux des textes. Nous définirons, ci-dessous, ces différents objets de savoir avant de nous pencher, lors de l’analyse, sur le recours des élèves à ces notions comme outil durant la séquence.

2.3.1  La  série  

La notion de série fait partie des connaissances sur l’objet-livre qu’il est important de construire dès les premières années de scolarité des élèves afin qu’ils prennent conscience du fait que le livre met en scène le texte et produit des effets sur la lecture (Tauveron, 2002, p. 48). Cette notion est définie de la manière suivante par Boutevin et Richard-Principalli (2008) :

Certaines collections sont consacrées aux aventures d’un même personnage, et constituent donc une série […]. Dans ce cas, la collection correspond à des œuvres d’un même auteur, créateur du personnage. […]. Le travail sur la collection peut constituer une entrée dans l’apprentissage du genre ou la reconnaissance du personnage, dans le cas de séries. (p. 65)

C’est le pari que nous faisons dans notre séquence, avec un réseau de lecture centré sur les albums d’Haydé Ardalan, mettant toujours en scène le même personnage : le chat Milton. La série présentée est identifiable par différents indices que nous allons détailler ci-dessous : un même format, une même typographie, un même éditeur, un même auteur et un même personnage.

   

2.3.1.1  Le  format  

Le choix d’un format n’est pas anodin. Délimitant un espace visuel, il commande le fonctionnement même de la page […], il influe sur la façon de lire […] et sur le rythme de la lecture, il suggère un rapport particulier entre le livre et le lecteur […].

(Tauveron, 2002, p. 49)

Les albums de la série sont des petits livres cartonnés, de même format mais de différentes couleurs, présentant le personnage de Milton dans différentes situations. Au début et à la fin de chaque album, se trouve une double page avec un motif composé de chats.

La double-page avec un motif de chats au début et à la fin de chaque album de la série

Dans l’ensemble de ces ouvrages, on constate « l’utilisation mêlée de l’écrit et de l’image pour former un langage complexe […] », caractéristique de l’album (Grossmann, 1996a, p. 98). Les illustrations sont principalement en noir en blanc (à l’exception de Milton quand j’étais petit et Les vacances de Milton qui intègrent quelques touches de couleurs). Comme c’est fréquemment le cas dans les albums de la littérature jeunesse, « la double page de l’album apparait comme une véritable scène, et le fait de tourner la page représente pour le lecteur à la fois un changement de décor et le moyen, très concret, de faire avancer l’action » (Grossmann, 1996a, p. 100). « Ce découpage est utilisé également pour provoquer des effets de surprise, ou pour introduire une péripétie […] » (Grossmann, 1996a, p. 101).

La double page comme moyen d’introduire une péripétie

 

2.3.1.2  La  typographie    

« La typographie de l’album jeunesse est un élément particulièrement expressif auquel les enfants (y compris les non-lecteurs) ne peuvent qu’être très sensibles » (Tauveron, 2002, p. 50). Parmi les variations possibles de cette dernière, on peut mettre en avant la police des caractères imprimés, la couleur utilisée ou encore la taille et la graisse des caractères. Dans la série des Milton, le texte est toujours en noir sur fond blanc ou en blanc sur fond noir, dans une police de caractères récurrente.

2.3.1.3  L’éditeur  

Les albums de Milton sont édités par La joie de lire, maison d’édition suisse créée il y a une trentaine d’années. Le nom de l’éditeur présent sur les couvertures des albums de la série peut être un indice permettant aux élèves de la reconnaitre. Précisons que la notion d’éditeur n’est pas approfondie dans notre séquence, c’est uniquement un indice parmi d’autres au service de la reconnaissance des livres de la série. En effet, la reconnaissance du nom de l’éditeur sur la page de couverture ne témoigne pas de la compréhension de la notion de maison d’édition, bien qu’elle constitue un premier pas dans cette direction.

2.3.1.4  L’auteur    

La reconnaissance du nom de l’auteur sur la couverture des albums de la collection peut constituer un indice de la série. Cependant, « un auteur ne s’identifie pas seulement par un nom sur une couverture, mais surtout par les caractéristiques récurrentes de son œuvre et les éléments singuliers qu’il apporte sans cesse pour renouveler sa création artistique » (Boutevin

& Richard-Principalli, 2008, p. 266). Au-delà de son nom, c’est l’univers de l’auteur qui a son

importance puisque « […] le livre est le résultat d’une vision, d’une transmutation, de la mobilisation d’un être unique qui, par l’écriture, s’approprie de manière unique une langue commune, un patrimoine culturel et littéraire à travers sa propre histoire et son appréhension personnelle du monde » (Tauveron, 2002, p. 54). Il s’agit donc véritablement d’entrer dans l’univers d’un auteur, celui de la Suissesse Haydé Ardalan qui écrit et illustre les albums du célèbre félin, personnage qu’elle a créé il y a bientôt trente ans. La notion d’auteur serait à différencier par la suite de celle de l’écrivain en chair et en os, mais à ce stade, avec des élèves de très jeune âge, ces deux instances sont encore bien imbriquées. La représentation de l’auteur comme d’une personne avec une intentionnalité permet, dans un premier temps, d’élargir leur représentation de cette notion, au-delà d’un nom sur la couverture. L’auteur donc, absent au moment de la lecture du texte mais instance de sa création, est une notion qui

« […] reste [dans un premier temps] abstraite dans l’esprit des enfants, mais la rencontre avec la production variée d’un même auteur, autour d’une série par exemple, permet d’élaborer un horizon d’attente » (Boutevin & Richard-Principalli, 2008, p. 35). En l’occurrence, l’entrée dans l’univers de l’auteure Haydé permet de développer la capacité à relier les textes puisque, comme le précisent Boutevin et Richard-Principalli (2008) :

Les élèves qui sont amenés à comparer les œuvres d’un même auteur se forgent une culture littéraire, auront des attentes particulières lors de la découverte d’une nouvelle œuvre de ce même auteur et construisent les moyens de reconnaitre la production d’un auteur parmi un ensemble varié et hétérogène. (p. 266)

Il s’agit donc bien d’un atout pour la compréhension en lecture puisque, comme le rappelle également Tauveron (2002), « le jeune lecteur se meut d’autant mieux dans l’univers d’un auteur qu’il en connait par avance les traits, au risque toujours possible d’être surpris »

(p. 65).

2.3.1.5  Le  personnage    

Liant principal de la série des Milton et élément caractéristique de l’univers de l’auteur, le personnage est une notion centrale dans notre séquence d’enseignement puisqu’elle constitue le ciment de la mise en réseaux des différentes lectures, que ce soit le personnage de Milton dans la série Milton, les autres personnages de chats dans les différents récits, ou encore l’absence de personnage dans les documentaires sur le chat. De ce fait, nous développerons maintenant cette notion de manière détaillée.

2.3.2  Le  personnage  

Le choix d’un réseau autour de la notion de personnage en première année de la scolarité n’est pas le fruit du hasard. Le personnage constitue un axe clé pour la compréhension des récits et l’on peut aller jusqu’à dire, comme Giasson (2005), que « le personnage est le pivot du récit » (p. 95). Selon cette auteure, « comprendre les personnages demeure donc le moyen fondamental de comprendre l’histoire comme un tout. En effet, les motivations, les désirs, les pensées et les émotions des personnages forment le ciment de l’histoire » (p. 95).

2.3.2.1  Un  marqueur  typologique    

Selon Glaudes et Reuter (1996), « […] le personnage est un marqueur typologique, qui indexe les textes narratifs » (p. 18) :

On peut, en effet, trouver des personnages dans les autres catégories textuelles mais – semble-t-il – ni avec la même importance, ni selon le même fonctionnement. Ainsi, dans les autres types (argumentatif, explicatif, prescriptif) le personnage et ce qui lui arrive ne seraient pas le support essentiel de l’intérêt et des enjeux. Dans le cas du narratif, contrairement aux autres types, il serait impossible de s’en priver. (p. 19) Le corpus de textes de notre réseau de lecture comprend des récits avec des personnages de chats et des textes documentaires sur le chat dans lesquels il n’y a pas de personnages. La présence ou non du chat sous la forme d’un personnage peut donc être un moyen de distinguer les différents genres de texte.

Un autre aspect permettant de différencier ces deux genres de texte est le support iconographique par lequel le chat est représenté : photographie dans les documentaires et dessin dans les récit. Cette distinction est un critère pertinent dans le corpus de textes proposés pour la séquence, bien qu’il existe également des récits illustrés par des photographies et des documentaires illustrés par des dessins. Les élèves peuvent donc s’aider de cette convention, valable pour le corpus proposé, mais il s’agit d’un critère construit à l’intérieur de ce dispositif précis et qui ne peut être appliqué à tous les textes. Cette première distinction pourrait donc par la suite être rediscutée à partir de textes ne correspondant pas à ces critères, poussant ainsi les élèves à se baser sur d’autres éléments. Cependant, à ce stade, les élèves étant non-lecteur, cet indice leur permet de trier les textes sans avoir accès à leur contenu.

2.3.2.2  Un  lieu  d’investissement    

« Le personnage est, pour les scripteurs et les lecteurs, un lieu d’investissement de leur expérience psychologique et sociale. Par le personnage, valeurs, affects et représentations passent dans le texte ou se diffusent hors de lui » (Glaudes et Reuter, 1996, p. 16).

L’identification au personnage a donc son importance ou du moins la manière dont les personnages permettent aux élèves de faire des liens entre le récit, leurs connaissances du monde et leur vécu. Dans le cas des livres documentaires, on peut supposer que le lien avec le vécu est facilité par la présentation de chats réels. Par contre, qu’en est-il dans les récits qui présentent, quant à eux, des chats sous la forme de personnages ? Selon Glaudes et Reuter (1996), les personnages :

[…] apparaissent comme des éléments décisifs pour ancrer le texte dans le hors-texte, pour produire des effets de réel : par leur nom, leurs qualifications, leurs comportements… De ce fait, si l’on accepte l’idée qu’on ne peut lire, construire du sens, sans référence à notre monde et à nos catégories d’appréhension de celui-ci, il est clair que les personnages ne peuvent être conçus sans référence aux personnes et qu’ils constituent à ce titre un des fondements de l’« illusion référentielle ». (p. 26)

Les personnages de chats que les élèves découvrent dans les différents récits sont variés et plus ou moins ancrés dans l’imaginaire ou dans le réalisme. Ils sont donc à appréhender et à différencier notamment en fonction de leur plus ou moins grande distance entre un univers de référence et la réalité vécue par les élèves. Dans le cas du personnage de Milton, son comportement et sa représentation graphique ne sont pas anthropomorphisés ce qui contribue à produire des effets de réel. En effet, « la fonction d’ancrage réaliste se nourrit de désignations (notamment le nom), de qualifications (physiques, psychologiques, biographiques, sociales), d’actions (justifiées) qui édifient le personnage en référence avec nos représentations de la personne » (Glaudes & Reuter, 1996, p. 27).

 

2.3.2.3  Un  organisateur  textuel      

« Le personnage est un organisateur textuel : il intègre et organise dans le récit des unités de tous les niveaux, il constitue le soubassement nécessaire à la construction des configurations sémantiques. En d’autres termes, il structure le texte depuis la superstructure jusqu’aux marques linguistiques les plus fines (morphologiques, orthographiques). Et c’est en grande partie, par lui que se construit le sens ».

(Glaudes et Reuter, 1996, p. 16)  

Comme le rappellent Glaudes et Reuter ci-dessus, le personnage a une importance primordiale dans l’organisation et la structuration du texte, mais l’inverse est vrai également : le texte a un

rôle essentiel pour faire exister le personnage et assurer sa permanence. En effet, le personnage est produit par le texte et n’existe pas en dehors de ce dernier. « Comme le personnage n’a d’autre réalité que linguistique, c’est le texte qui se charge de maintenir la continuité dans le changement » (Tauveron, 1995, p. 34). Au niveau textuel, ce sont donc les désignateurs, que nous allons détailler ci-dessous, qui assurent la permanence du personnage.

Dans la catégorie des « dénominatifs » (noms propres, prénom, surnom), on trouve le nom propre du personnage, dans notre contexte, le nom Milton. Glaudes et Reuter (1996) le définissent comme :

l’unité la plus « puissante » pour indexer un personnage, le retenir au cours de la lecture, le distinguer des autres, synthétiser les informations le concernant, pour le mémoriser et pouvoir en parler. C’est a priori le moins variable, le moins susceptible de désigner plusieurs référents-personnages, le moins dépendant de la mise en texte […]. (p. 81)

La plupart des autres désignateurs du personnage de Milton entrent dans la catégorie des

« indicatifs » (anaphoriques et déictiques) comme je, nous, m’, moi. En ce qui concerne les

« descriptifs » (groupes nominaux et périphrases), on trouve par exemple un chat (« Je suis un chat » dans Milton et le corbeau), qui fait partie des « désignations essentielles » indiquant une propriété permanente du personnage (Glaudes & Reuter, 1996, p. 82).

2.3.2.4  Une  représentation  graphique    

Dans le cas des albums de littérature jeunesse, le personnage prend forme au niveau textuel, mais pas exclusivement. On ne peut ignorer l’importance des images donc de la représentation graphique du personnage dans l’élaboration du sens. Bautier et al. (2012) reprennent Leclaire-Halté (2008) pour critiquer le fait qu’habituellement, « […] le travail avec les élèves est le plus souvent centré sur l’étude du texte, non sur celle de l’image en tant que système sémiotique, à fortiori faiblement sur le rapport des deux comme constituant essentiel du sens » (p. 71). Contrairement à cette tendance, dans notre séquence, l’image et l’analyse de la représentation graphique des personnages sont tout aussi importantes que le texte.