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Quelle  attitude  peut  adopter  l’enseignant-­‐e  pour  pousser  les  élèves  à  mettre  les  livres  en

V. Analyse

1.   Méthodologie  d’analyse

2.2   Quelle  attitude  peut  adopter  l’enseignant-­‐e  pour  pousser  les  élèves  à  mettre  les  livres  en

 

Afin de comprendre comment se développent les connaissances des élèves au fil des interactions autour des livres, il serait réducteur de ne nous intéresser qu’aux tâches, sans prendre en compte la manière dont l’enseignante mène ces dernières. Les interventions de l’enseignante n’étant pas l’objet central de ce mémoire, nous n’analyserons que deux extraits de deux séances distinctes qui, bien qu’ils ne permettent pas une généralisation à l’ensemble des interactions au fil de la séquence, donnent un bon aperçu de la manière dont l’enseignante gère les moments de discussion avec les élèves. Ces analyses pourraient être plus approfondies et se baser sur un nombre plus important de séance mais, comme nous l’avons rappelé, il ne s’agit pas de l’objet d’étude central de ce mémoire. Nous voulions néanmoins le développer quelque peu, dans l’idée de montrer qu’un dispositif ne fonctionne pas tout seul et que les interventions de l’enseignant-e ont un rôle important à jouer au sein de ce dernier.

Observons tout d’abord les interventions de l’enseignante dans l’extrait suivant qui prend place au début de la séquence, lors d’une relecture de l’album Milton et le corbeau mettant l’accent sur les expressions et onomatopées présentes dans le texte.

« Faisons-nous tout petit » (« Milton et le corbeau»)

L’enseignante se centre alors sur l’expression « se faire tout petit », qu’elle désire définir avec les élèves, avec l’aide de la mise en réseaux des textes puisque dans un autre album lu peu avant la séquence (Grosse colère), cette expression avait été relevée.

« Et toi, gros nul, disparais ! T’as intérêt à te faire tout petit ! » (« Grosse colère »)

Regardons tout d’abord comment, par ses commentaires, l’enseignante pointe le choix de mots des élèves dans leurs explications en les reformulant et en les poussant à expliciter d’avantage leurs propos :

13_23.01.14 (03’30’’ – 6’05’’)

E : Faisons-nous tout petit / qu’est-ce que ça veut dire // pourquoi il dit faisons-nous tout petit / Sia

(1) Sia : Pour pas que il // pour pas qu’il se reconnaisse

(2) E : Ouais pour pas que la mère le reconnaisse / mais qu’est-ce que ça veut dire / qu’est qu’il fait pour se faire tout petit /Jul

Jul : Ben en fait il essaie de se faire tout petit mais il arrive pas E : Alors qu’est-ce qu’il arrive pas à faire

Jul : De se mettre tout petit

E : Et c’est comment se mettre tout petit Jul : Comme ça (se met en boule)

E : Se mettre un petit peu en boule↑ / petit comme ça↑ // Giu Giu : Euh / en boule (se met en boule)

La réponse de Sia (en 1) n’étant pas assez claire pour être comprise par le collectif (« pour pas qu’il s’reconnaisse »), l’enseignante commence par compléter le propos en le reformulant (en 2) : « ouais pour pas que la mère le reconnaisse ». Elle pousse ensuite les élèves à aller plus loin dans l’explicitation de l’expression « se faire tout petit » en demandant « mais qu’est-ce que ça veut dire » et en précisant la question (« qu’est-ce qu’il fait pour se faire tout petit »).

Une fois que le sens de l’expression est quelque peu éclairé par les différentes interventions, l’enseignante incite les élèves à une mise en réseaux centrée sur cette dernière.

E : Ouais // est-ce que vous vous souvenez d’une autre histoire où on disait / où le personnage il devait se faire tout petit

[…] Grosse colère / où on devait se faire tout petit // vous vous souvenez que dans Grosse colère à un moment un personnage devait se faire tout petit↑

Giu : C’était la grosse colère (montre le personnage sur la couverture) E : La grosse colère elle devait se faire toute petite↑ Clo

Clo : Ben / et après il lui a mis dans une petite boite

E : Hein / Dans Grosse colère / il lui dit / hein / à ce moment là de l’histoire (montre une double page du livre) il lui dit / « Ah non pas mon camion préféré ! Attend, je vais te réparer. Et toi gros nul, disparais, t’as intérêt à te faire tout petit » / il lui dit la même chose hein / comme Milton qui dit / « Faisons-nous tout petit » / il dit / « t’as intérêt à te faire tout petit » // et puis (tourne la page) / il devient vraiment tout petit

(22) Sia : Et il rentre dans la boite  

Les interventions de l’enseignante portent alors sur le contenu des histoires proposées. Elle pousse les élèves à être précis dans la contextualisation de l’usage de l’expression dans les autres histoires proposées (en 2 : « à quel moment », et en 3 : « qu’est-ce qu’il se passait »).

Elle intervient également dans le but de mobiliser l’ensemble des élèves comme en 3 lorsqu’elle interpelle les élèves en demandant : « Vous vous souvenez que dans Grosse Colère à un moment un personnage devait se faire tout petit ». Afin de ne pas mettre certain-e-s élèves en difficulté, nous pensons qu’il serait pertinent d’insister de manière explicite sur les références du livre que les élèves mentionnent. Dans le cas de l’intervention de Sia en 1, l’enseignante comprend rapidement à quel livre l’élève fait référence (Quatre petits coins de rien du tout, lu quelques temps auparavant) mais on peut supposer que ce n’est pas le cas de tous les élèves et que ces derniers auraient besoin de précisions à ce sujet. L’enseignante pourrait alors demander aux élèves d’aller chercher le livre en question comme elle le fait pour Grosse Colère (en 3), et d’en rappeler tout au moins le titre voire le résumé de l’histoire.

En l’occurrence, elle ne l’a pas fait car les albums n’étaient pas disponibles dans la classe à ce moment-là. Cela montre à quel point les instruments de la mise en réseaux comme les affiches

et les rangements (qui n’avaient pas encore été mis en place) peuvent faciliter le recours aux références littéraires construites précédemment.

Passons à la suite de l’extrait :

E : Il devient vraiment tout petit et après exactement il rentre dans la boite / alors / (reprend le livre de « Milton et le corbeau » et montre la double page) est-ce que là Milton / il devient vraiment tout petit comme ça (montre un petite écart avec les doigts)

Els : Non

E : Non hein / Milton il doit se faire tout petit mais / c’est comme vous disiez / ça veut dire qu’il doit essayer de se mettre un petit peu en boule de se faire le plus petit possible mais / il va pas se transformer en un tout petit chat comme ça (montre une petite taille avec les doigts) mais il doit essayer de se cacher // Jul

Jul : En fait / pour y mettre en / pour se mettre tout petite on peut se mettre en boule et puis en boule on se met en (xxx)

E : Exactement  

Nous voyons ici que la confrontation des deux récits permet, en plus de faciliter la compréhension de l’expression « se faire tout petit », d’en distinguer deux usages : au sens propre dans Grosse Colère (dans lequel l’imaginaire permet une transformation de la colère qui est un personnage de l’histoire) et au sens figuré dans Milton et le corbeau (dans lequel les caractéristiques de l’univers d’Haydé ne permettent pas de vraie transformation). Nous voyons ici que la réflexion porte sur les conventions (en mettant en avant les caractéristiques spécifiques du monde d’Haydé) et non sur les objets du mondes. La question est bien de savoir, selon les conventions d’un univers de référence (et non selon la réalité), ce que signifie une expression langagière.

Passons maintenant à l’extrait d’une autre séance lors de laquelle les élèves essayent de découvrir si le nouveau livre qui leur est présenté fait partie de la série des Milton. Comme le fait Rabatel (2004) dans l’une de ses contributions portant sur les interactions orales en contexte didactique, nous pouvons analyser les interventions de l’enseignante ci-dessus afin de mettre en avant leur rôle dans l’avancement de la discussion :

19_27.01.14 (03’15’’)

 

(1) E : Alors je vous écoute / est-ce que quelqu’un aimerait dire quelque chose maintenant qu’on a découvert ce livre / Sia (Sil se lève et vient montrer l’image de la couverture) Sil : Il dort

(8) E : Il dort ouais alors est-ce que c’est Milton ou est-ce que c’est pas Milton // Bas il dit / c’est pas Milton / son corps il est plus long que Milton // Lou il dit c’est Milton / il est noir et blanc // qui a un autre avis↑ / Nat

Nat : (Nat se lève et vient montrer l’image de la couverture) Et elle // elle elle là // elle la patte / elle là c’est grande patte // et elle / elle est plus longue que les autres

El : Oui

Une partie des interventions de l’enseignante correspondent à « […] la simple régulation des prises de parole au sein du polylogue. Il s’agit de la désignation du locuteur suivant ou plus occasionnellement de l’incitation à la prise de parole des élèves les moins loquaces » (p. 75).

C’est le cas à chaque fois que l’enseignante interpelle un élève par son prénom pour lui donner la parole (en 1, 3, 6, 7 et 8).

Outre la gestion des tours de parole, nous pouvons observer dans les interventions de l’enseignante ci-dessus plusieurs manières de mettre en avant et en contraste les apports des élèves. D’une part, elle rapporte les paroles des élèves (en 4 : « Bas il dit / c’est pas Milton », en 6 : « son corps il est plus long », ou encore en 7 : « c’est Milton parce qu’il est noir et blanc »). D’autre part, elle met en avant la divergence des points de vue au sein de la classe (en 8 : « Bas il dit / c’est pas Milton / son corps il est plus long que Milton // Lou il dit c’est Milton / il est noir et blanc // Qui a un autre avis↑»). Comme le soulève Rabatel (2004) au sujet des interventions de l’enseignant, « il n’est pas sans intérêt de constater que son propos vise alors à souligner les interventions interindividuelles des élèves, dans leur diversité, et non pas ses propres interventions d’institutionnalisation et leur stabilité doxique » (Rabatel, 2004,

p. 75). Les différents avis des élèves sont estimés valables et l’enseignante ne précise pas leur statut. le but n’étant alors pas de donner la bonne réponse mais de justifier toute réponse apportée. L’enseignante ponctue donc les réponses des élèves de commentaires tels que

« d’accord » (en 2 et 6), « ouais » (en 9) ou « ok » (en 7). « Ainsi on constate que le maitre est certes très présent, mais se refuse à donner par lui-même les réponses pertinentes : les élèves sont mis en situation de recherche et le maitre se contente de valider ou d’invalider, de réorienter les élèves […] » (Rabatel, 2004, p. 47).

Nous pouvons également observer que l’enseignante invite les élèves à apporter des précisions et à justifier leurs réponses (en 4 : « Bas / pourquoi est-ce que tu dis c’est pas Milton », en 10 : « Pourquoi c’est Milton »). Cette attitude est essentielle puisque nous postulons, à l’instar de Sales Cordeiro et al. (2013), que « la construction des objets et savoirs scolaires a lieu notamment dans des situations où les élèves sont amenés à argumenter ou à expliquer leur point de vue et à justifier leurs propos » (p. 255). La nécessité de justifier ce qu’ils avancent pousse les élèves à faire des comparaisons entre l’album présenté (Les vacances de Milton) et l’album précédent (Milton et le corbeau), notamment en 5 : « parce que son corps il est plus long », et en 11 : « il ressemble avec lui ».

En outre, les interventions de l’enseignante servent parfois à recentrer le débat sur la question de savoir si le personnage est Milton ou pas, comme en 18 : « alors est-ce que c’est Milton ou c’est pas Milton ».

En conclusion, nous voyons que la plupart des rôles tenus par l’enseignante sont prédéfinis par les tâches et les objectifs visés puisque les interventions de cette dernière sont orientées sur un traitement langagier des interventions des élèves, en lien avec les visées du dispositif (en l’occurrence celle de pousser les élèves à expliciter les indices textuels et graphiques).

Tout d’abord, nous pouvons constater que l’enseignante guide le sujet de la discussion (en recentrant le débat ou en posant des questions ciblées) et qu’elle régule les prises de parole.

Nous voyons également qu’elle assure l’intercompréhension entre les élèves en rapportant leurs paroles, en les reformulant et en demandant des précisions. Nous pouvons constater à ce sujet qu’elle met l’accent sur le langage (les liens formulés par les élèves) plutôt que sur les idées. En effet, elle valide ou reprend le rapport entre les mots utilisés par les élèves et ce qu’ils désignent. En outre, elle pousse les élèves à débattre et à argumenter (en mettant en avant les avis contradictoires et en demandant aux élèves de justifier leurs dires). Pour finir,

elle incite à la mise en réseaux et la comparaison des différents livres par la référence à d’autres ouvrages.

 

2.3  Quelles  notions  les  élèves  peuvent-­‐ils  construire  en  première  primaire  à  travers  un