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IV. Méthodologie  de  recherche

2.   Le  réseau  de  lecture

2.2   Distinction  de  l’approche  thématique

ouvrages et de leur ordre de présentation, permettant plusieurs effets, définis par Corbenois et al. (2000) :

 

Les interrogations des enfants et leurs conduites en réseaux sont simultanément nourries :

- par un « effet cumulatif » - par exemple, connaissance d’un nombre suffisant d’histoires mettant en scène le même personnage ;

- par un « effet rétroactif » - les nouvelles lectures éclairant le fonctionnement de lectures plus anciennes… et réciproquement ;

- par un « effet contrastif » - par exemple, surprise liée au statut inattendu d’un personnage familier […]. (p. 38)

La séquence commence par la découverte de plusieurs albums de la série Milton afin d’en faire émerger les caractéristiques. La mise en réseaux chez les élèves est alors provoquée par un « effet cumulatif » puisque chaque nouvelle histoire permet de mieux cerner le personnage récurrent de la série. De plus, et ce tout au long de la séquence, la découverte de nouvelles histoires de Milton peut avoir un « effet rétroactif » lorsqu’une lecture d’un album de la série permet de mieux comprendre les précédentes. C’est le cas avec la lecture de Milton quand j’étais petit qui permet d’apporter des précisions au sujet du maitre de Milton (dont l’existence n’est pas mentionnée dans les autres albums) puisqu’on y découvre qu’il a été recueilli quand il était petit. D’autres albums mettant en scène des personnages de chats sont ensuite intégrés créant ainsi « un effet contrastif » (les personnages ne sont pas comme Milton, tant dans leur représentation graphique que dans leur comportement). Des textes documentaires sont finalement présentés aux élèves permettant alors de faire émerger une première différenciation des genres de texte. Garica-Debanc (2005), citant l’équipe INRP de Lozère (1987), indique à ce sujet que :

La similitude de thème aide les enfants à percevoir l’importance du choix du type de texte pour un contenu à rapporter similaire et attire leur attention sur les marques formelles du fonctionnement des textes. La démarche est foncièrement différente des regroupements thématiques qui, eux, nient les spécificités des différents types de textes. (p. 77)

2.2  Distinction  de  l’approche  thématique    

Insistons ici encore sur la différence entre l’approche thématique et celle de la lecture en réseau, déjà évoquée dans notre cadre théorique. Dans la première, les élèves auraient été mis face à des chats, sous toutes ses formes, dont la variété n’aurait pas forcément été questionnée

et dont la cohérence (si tant est qu’il y en ait une, outre le désignateur chat) serait restée implicite. Les effets décrits ci-dessus (cumulatif, rétroactif, contrastif) ne peuvent pas prendre place dans une approche thématique puisqu’ils découlent de la confrontation à des textes et non à des thèmes. Faisons ici une brève digression afin de préciser ce que nous entendons par le terme de texte. Ronveaux (à paraitre) a relevé que « sous le terme de texte, les enseignant-e-s rangent des entités très hétérogènes (textes intégraux, bien sûr, mais aussi extraits, schémas, tableaux, bandes dessinées, etc.) » (p. 4). Selon nous, il est nécessaire que le réseau de lecture soit basé sur des textes au sens d’objets culturels de communication pour créer les résonances décrites précédemment. Pour cela, nous rejoignons Ronveaux (à paraitre) qui invite à « […] préférer les textes intégraux aux extraits, dans la perspective de travailler les effets de cohérence du texte » (p. 4). En effet, c’est le texte qui fait sens, et non la parcelle de texte. L’attention portée sur le parcellaire (le nom de l’auteur sur la couverture, le personnage de Milton, l’énonciation à la première personne, etc.) est au service du sens du texte dans son unité. Ces éléments parcellaires (sous la forme de notions) peuvent être repris et investis dans d’autres textes pour faire des liens et des comparaisons. Ils sont donc des outils de la mise en relation des différents textes.

Revenons maintenant à notre distinction entre l’approche thématique et la mise en réseaux des textes : au lieu d’immerger les élèves dans le thème des chats, ce sont des chats dans les textes auxquels ils sont confrontés. Même en partant des chats dans les textes, il ne suffit pas de présenter les différents livres aux élèves. La variété des chats présents dans les textes proposés doit être le point de départ d’un questionnement sur les différents statuts de ces félins, tantôt objets de savoir dans les documentaires, tantôt personnages dans les récits. Les différentes représentations de cet animal dans les livres sont également à discuter, au niveau de la nature de l’image (photographies, dessins) ou des conventions graphiques choisies par les illustrateurs pour représenter le chat. Il s’agit alors de mettre en lien et en contraste les différents chats rencontrés mais également de justifier et d’expliciter ces mises en réseaux.

Poursuivons, à l’aide de l’éclairage du concept de référent, notre analyse de la différence entre le réseau thématique et le réseau de lecture construit autour de notions, prenant racine dans les textes. Pour cela, nous nous appuierons sur les apports de Sève (1996, p. 53-55).

Dans le cadre de l’approche thématique, le thème (prenons ici l’exemple des chats) renvoie à une multitude de référents qui n’est pas interrogée. Le terme chat désigne alors tant le personnage de chat de l’histoire lue, le chat représenté sur la fiche à colorier, le chat comme

animal domestique d’un-e des élèves, le chat comme objet de savoir dans le texte encyclopédique, etc. La liste pourrait encore s’allonger à foison, mais l’important, plus que la quantité d’objets qui entrent dans les référents, est son hétérogénéité. En effet, les objets présentés ici ont, nous l’avons dit, des statuts différents. De plus, ces référents ne se construisent pas dans les mêmes mondes : on ne peut appliquer les mêmes codes au chat comme personnage dans le monde fictif d’un auteur, au chat dans un documentaire ou encore au chat en chair et en os.

L’approche par thème entretient l’illusion du langage comme « instrument quasi transparent pour restituer le « réel » » (p. 53), associant au mot une chose, ou bien pire, une multitude de choses (le chat sous toutes ses formes). Nous aimerions construire autre chose avec les élèves et les amener à un questionnement sur la représentation (par le langage et par l’image, dans le cadre des albums de littérature jeunesse) et sur les conventions qui guident ces représentations. Le réseau de lecture, s’il est basé sur des notions permet de poser différemment le rapport du langage au monde. Le langage est alors un « instrument de représentation » (p. 54), ce qui permet d’aborder « […] la question du statut du monde posé et de la règle fictionnelle qui organise le rapport entre ce monde posé et le nôtre » (p. 54). De ce fait, on peut envisager qu’un mot ne renvoie pas à une chose mais permette de représenter cette chose. Il est alors plus évident de concevoir qu’un mot puisse renvoyer à plusieurs choses, et que ces dernières n’aient pas toujours le même statut et le même rapport au monde.

Un chat, présenté dans les textes peut être plus ou moins proche de la réalité, impliquant de mettre en avant ou non l’écart avec cette réalité. Le langage, utilisé dans les textes par les auteurs peut donc être perçu comme un outil de représentation d’un monde, utilisé avec une certaine intentionnalité (p. 54). Nous partageons donc l’avis de Sève (1996) dans les propos qu’il tient ci-après :

Aussi, lorsqu’on propose aux élèves une mise en réseau avec d’autres œuvres, on élargit l’objet de leur lecture, on leur donne peut-être la possibilité d’y accéder autrement, on ne leur fournit surement pas un instrument de lecture univoque… Car là encore, ce qui s’offre à la lecture, c’est la construction d’un savoir référentiel, ou bien l’élaboration d’une convention fictionnelle, ou encore des visées discursives singularisées. (p. 59)

L’explicitation du rapport entre le langage et le monde nous semble essentielle dans le cadre de l’enseignement de la compréhension en lecture puisque, comme le précisent Falardeau, Simard, Gagné, Carrier, Côté et Emery-Bruneau (2009), « se comprendre comme sujet

lecteur, c’est aussi mieux maitriser les cadres symboliques de la culture qui structurent notre compréhension du monde » (p. 113).

2.3  Les  notions  comme  outils  et  objets  d’enseignement    

Outre les stratégies de compréhension en lecture, l’élargissement des références littéraires des élèves et le développement langagier, la séquence a pour objectif de permettre un début de construction de certaines notions essentielles dans l’enseignement de la lecture et de la littérature. Ce sont ces mêmes notions qui servent d’outils aux élèves dans leur mise en réseaux des textes. Nous définirons, ci-dessous, ces différents objets de savoir avant de nous pencher, lors de l’analyse, sur le recours des élèves à ces notions comme outil durant la séquence.

2.3.1  La  série  

La notion de série fait partie des connaissances sur l’objet-livre qu’il est important de construire dès les premières années de scolarité des élèves afin qu’ils prennent conscience du fait que le livre met en scène le texte et produit des effets sur la lecture (Tauveron, 2002, p. 48). Cette notion est définie de la manière suivante par Boutevin et Richard-Principalli (2008) :

Certaines collections sont consacrées aux aventures d’un même personnage, et constituent donc une série […]. Dans ce cas, la collection correspond à des œuvres d’un même auteur, créateur du personnage. […]. Le travail sur la collection peut constituer une entrée dans l’apprentissage du genre ou la reconnaissance du personnage, dans le cas de séries. (p. 65)

C’est le pari que nous faisons dans notre séquence, avec un réseau de lecture centré sur les albums d’Haydé Ardalan, mettant toujours en scène le même personnage : le chat Milton. La série présentée est identifiable par différents indices que nous allons détailler ci-dessous : un même format, une même typographie, un même éditeur, un même auteur et un même personnage.