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La sépulture : définition et expression des rites funéraires

Première partie : Pour une approche régionale des sites funéraires gallo romains

B. La sépulture : définition et expression des rites funéraires

Nous l'avons vu, les recherches récentes démontrent que seule une approche pluridisciplinaire permet d'aborder la sépulture le plus exhaustivement possible. En effet, la compréhension des rites funéraires passe obligatoirement par une identification aussi précise que possible de toutes les composantes de la sépulture : défunt, parure, mobilier funéraire, contenants et aménagements de l'appareil funéraire.

Dans un premier temps, nous souhaitons donc caractériser chronologiquement les pratiques bituriges. L'objectif est double : d'une part apprécier les différentes tendances et phases d'évolution des rites, d'autre part disposer d'une assise chronologique fiable pour discuter de l'homogénéité ou de l'hétérogénéité des pratiques au cours d'une même période. En effet, il est ardu de définir précisément les causes des différences ou variations d'un dépôt à l'autre.

Parmi, les causes les plus fréquemment évoquées, nous nous intéresserons plus particulièrement à l'impact des critères sociaux. Il semble que, même inconsciemment, les chercheurs fassent toujours très rapidement une distinction entre tombes riches et tombes pauvres. S'ils ne les distinguent pas à partir de la richesse ou de l'indigence du mobilier et/ou du contenant, ils les différencient selon leur position dans l'espace funéraire et leur proximité par rapport à un édifice ou un emplacement topographique particulier.

Nous appliquerons cette grille de lecture à certains sites bituriges et y ajouterons l'exploitation des données anthropologiques afin de vérifier s'il est effectivement possible de préciser le statut social d'un défunt ou d'un groupe de défunts grâce aux sépultures.

La sépulture : définition et expression des rites funéraires

1. Evolution chronologique des pratiques funéraires

Selon les périodes, les rites changent, qu'il s'agisse du traitement du corps ou de la présence plus ou moins abondante de mobilier funéraire. Pour la Gaule romaine, il n'existe pas de synthèse globale puisque chaque région dispose de son propre registre de pratiques qui ne partage avec les autres que quelques principes directeurs très généraux.

D'un point de vue géographique, on accepte qu'il puisse exister un décalage entre la Gaule Narbonnaise et le reste des Trois Gaules, selon la proximité de l'influence romaine. D'un point de vue chronologique, la période comprise entre le milieu et la fin du IIIe siècle sert de borne chronologique pour marquer le passage de la crémation à l'inhumation et le début de la raréfaction des dépôts de mobilier funéraire. A ce titre, de nombreuses tombes sont datées à l'aide de ce hiatus chronologique : les crémations appartiennent au Haut Empire alors que les inhumations sont tardives.

Nous souhaitons observer si dans le cas des sépultures bituriges il n'est pas envisageable de proposer un tableau plus nuancé. Par exemple, nous pourrons vérifier si la pratique de la crémation est définitivement abandonnée au IIIe siècle ou si elle perdure. Dans ce cas, est-ce à l'échelle de toute la cité ou s'agit-il de survivances locales ? Nous pourrons également discuter de l'implantation et du développement de l'inhumation en essayant de repérer les foyers de renouveau de cette pratique.

Les pratiques funéraires ne se limitent pas au traitement du corps. Pour caractériser l'évolution des rites funéraires bituriges, nous devons prendre en compte tous les autres éléments constitutifs de la sépulture. Ainsi, notre attention se portera également sur les contenants et le mobilier funéraire. Nous envisageons deux axes d'exploitation des informations. Dans un premier temps, si cela est possible, nous définirons leurs périodes d'utilisation afin d'apprécier l'évolution chronologique des choix faits par la population inhumante. Ensuite, nous nous intéresserons plus particulièrement à l'organisation interne de la sépulture pour voir si assemblages et positionnements des contenants et du mobilier sont aussi les objets de mutations.

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2. Apport des données biologiques

Si le défunt est la raison d'être de la sépulture, alors la compréhension de cette dernière nécessite une définition aussi précise que possible du mort. Pour une telle analyse, nous disposons des outils de l'anthropologie biologique. Ils permettent de mieux cerner le défunt et apportent des informations grâce auxquelles il est possible de vérifier si une pratique est associée à un profil biologique particulier, si les différences ou les analogies entre des sépultures sont corrélées à des réalités biologiques.

Nos recherches s'engagent principalement dans trois directions. D'une part, s'interroger sur les données actuellement disponibles sur le traitement funéraire des enfants. Jusqu'à présent, l'attention des chercheurs a été monopolisée par le cas des plus jeunes, morts autour de la naissance, quitte à n'apporter aucune nuance entre mortalité prénatale, périnatale, et post- néonatale. La plupart du temps, nouveau-nés, nourrissons et très jeunes enfants sont confondus. Qu'en est-il des autres ? Sont-ils traités à l'identique des adultes ? Si oui, cela expliquerait que la bibliographie les confonde avec leurs aînés. Au contraire, bénéficient-ils de pratiques spécifiques moins aisées à détecter que pour leurs benjamins ?

D'autre part, nous souhaitons aborder le cas de la différenciation des pratiques selon le sexe. Il existe une différence sociale entre hommes et femmes dans le monde romain en général et en Gaule romaine en particulier. Cependant, les occasions sont rares de vérifier si cette réalité se reflète jusque dans les pratiques funéraires. Les différences sont généralement considérées d'un point de vue mobilier ; tel ou tel objet sera plutôt masculin ou plutôt féminin. Nous confronterons ces postulats aux résultats des diagnoses sexuelles. Nous explorerons également d'autres secteurs afin d'évaluer s'ils ne comportent pas également quelques indices d'une gestion propre à un sexe.

Enfin, nous l'avons vu la société gallo-romaine est hiérarchisée. Il est possible d'emprunter quelques raccourcis afin de répartir la population entre pauvres ou riches, travailleurs et rentiers, ou plus simplement entre des populations plus ou moins exposées physiquement. Or, certaines contraintes physiques ou atteintes pathologiques sont propres à des niveaux de vie modestes ou à des travaux précis. Les traces explicites qu'elles laissent sur les os permettent de

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repérer les individus les moins bien lotis. Il paraît alors intéressant d'observer si certaines catégories de défunts sont l'objet d'un traitement funéraire particulier.

Pour parvenir à une telle définition des sépultures, nous avons appliqué certaines méthodes de l'anthropologie biologique aux restes humains provenant des nécropoles que nous avons sélectionnées. Cependant, notre démarche ne s'inscrit pas dans une perspective unidirectionnelle et par trop "positiviste". Nous n'avons pas d'a priori sur les résultats et acceptons par avance que les données biologiques ne caractérisent en rien les sépultures. Nous pourrions donc constater une certaine uniformité des gestes funéraires et ce quelles que soient les identités biologiques des défunts. Dans ce cas, il ne s'agirait pas d'un échec. Au contraire nous aurions évacué une des explications possibles aux nombreuses variations des pratiques funéraires.

3. Définition du statut social

Le monde des morts est une image déformée de celui des vivants. A partir de données dégagées grâce au mobilier et au squelette, nous pourrions être tenté de définir deux grands groupes caricaturaux de sépultures. D'un côté, des tombes contenant un mobilier relativement riche et un défunt présentant un état sanitaire satisfaisant. De l'autre, les sépultures vides de tout mobilier funéraire et accueillant un individu dont le squelette témoigne de plusieurs atteintes pathologiques. Ainsi, nous aurions une classification entre tombes des élites et sépultures des populations modestes.

Cependant, une telle démarche irait à contresens d'une réflexion anthropologique pertinente. En effet, un état sanitaire peut être lié au jeune du défunt qui n'a pas le temps de contracter des atteintes car son décès a été précoce. Inversement, un individu âgé aura de plus grandes chances de présenter des pathologies dégénératives, indices d'une longévité peut-être liée à de meilleures conditions de vie.

De plus, il est évident qu'à l'échelle de la cité un tel classement est impossible puisqu'il laisserait de côté la majorité des tombes qui ne peuvent pas intégrer l'une des deux catégories. Cela supposerait également de pouvoir étudier les sites dans leur intégralité et donc d'accéder à la

Organisation et gestion des espaces sépulcraux

totalité des collections mobilières ou ostéologiques. Or, comme nous le verrons, pour la cité biturige, une partie des collections n'est définitivement plus accessible.

Nous devrons donc nous contenter d'aborder cette question du statut social des défunts à l'échelle des sites pour lesquels nous disposons de la totalité des informations. Nous nous aventurons sur un terrain piégé, conscient de la prudence que sollicite une telle démarche. Nous ne la pensons pas impossible mais réservée à quelque sites propices.

Notre objectif sera de relever les indices biologiques des individus bénéficiant de dépôts funéraires privilégiés et de les comparer au sein d'un même site. Bien entendu, ce postulat sera confronté aux limites de l'interprétation archéologique et anthropologique. Si la définition du statut social peut paraître relativement aisée pour la période du Haut empire notamment par la présence d'un mobilier céramique plus ou moins abondant, elle se heurte aux difficultés de l'analyse anthropologique qui ne peut que rarement établir un diagnostic fiable de l'état sanitaire du défunt. À l'inverse, les sépultures de l'Antiquité tardive bénéficient d'analyses anthropologiques nombreuses mais la raréfaction du mobilier a tendance à uniformiser l'empreinte sociale des gestes funéraires.