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Première partie : Pour une approche régionale des sites funéraires gallo romains

C. L'emprise territoriale des pratiques

Travailler à l'échelle de la cité offre l'opportunité de discuter la répartition géographique des pratiques funéraires. On peut observer si certaines d'entre elles ont une expansion totale ou au contraire, si elles restent limitées à un secteur précis. Il s'agit également d'analyser si leur zone de développement est propre à un contexte topographique ou infrastructurel particulier.

Bien entendu, cette démarche doit s'appuyer sur une définition précise des pratiques étudiées sous forme de groupes ou sous-groupes pertinents. Par exemple, l'analyse de la répartition des crémations offrirait des éléments de réflexion plus porteurs si elle n'est pas limitée aux sites du Haut Empire mais intègre également les données des IIIe et IVe siècles.

1. Valeur géographique des typologies funéraires

Si nous parvenons à dégager une typologie des pratiques funéraires dans la cité biturige, qu'elle en sera l'expression géographique ? Ce type d'approche a été entrepris à des échelles territoriales et chronologiques variables (Bel, Manniez 1996 ; Bourgeois 1984 ; Buchsenschutz, Coulon, Jouannet 1976 ; Galliou 1986 ; Raynaud 1987). Ces analyses s'appuient sur des corpus de sites et/ou de sépultures permettant d'établir des typologies des nécropoles et des tombes. Leur emploi est restreint à des zones géographiques, périodes et contextes précis mais démontre la densité des informations à traiter quelle que soit l'échelle choisie. S'ils mettent en avant des tendances locales plus ou moins marquées, ces travaux soulignent à quel point le registre funéraire accueille de nombreuses variations.

Le faible nombre d'ouvrages proposant des typologies funéraires correspond au nombre réduit de sites permettant d'établir des classifications fondées sur un nombre représentatif de sépultures. C'est ce qui explique que la majorité de ces ouvrages concernent des zones géographiques réduites ayant bénéficié d'une activité archéologique importante et accueillant une forte densité de sites. Les travaux portant sur une région naturelle ou administrative s'appuient,

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dans la majorité des cas, sur deux ou trois "ensembles phares" qui ne sont pas obligatoirement représentatifs de la totalité des sites. La démarche consiste alors à proposer une typologie établie d'après ces sites de référence et d'y rattacher les données provenant des ensembles plus petits.

Pour une majorité des cas, les nécropoles de référence ont été découvertes en milieu urbain ou périurbain. En effet, les ensembles ruraux sont souvent plus modestes et n'offrent pas toujours une variété de pratiques suffisante pour que la classification qui en serait issue soit représentative.

2. D'un milieu urbain novateur au monde rural conservateur

Les pratiques funéraires peuvent varier au sein d'une même région. Il est donc naturel que les recherches aient tenté de hiérarchiser et d’organiser les informations afin de dégager les grandes tendances funéraires et de voir si elles avaient une réalité géographique. Pour faciliter ces approches, un des premiers modes de hiérarchisation a été la distinction entre monde rural et monde urbain. Cependant, les différences dégagées ne sont pas toujours pertinentes. A. Ferdière l'explique par la forte relation entre villes et campagnes qui caractérise la culture romaine (Ferdière 1993 : 439).

Le milieu rural est considéré depuis longtemps comme un lieu de survivance des traditions par opposition aux villes qui regroupent les élites, relais de l'acculturation romaine (Goudineau 1993 : 249). Accepté par tous, ce schéma nivelle les nombreuses variations que l'on peut trouver en milieu rural. En effet, il accueille de forts particularismes locaux (Ferdière 1993 : 440, Tranoy 2002 : 105). Ces faciès peuvent être interprétés comme des survivances, des résurgences gauloises ou bien comme des retards d'adaptation aux coutumes romaines. C'est le cas en Armorique romaine où, selon P. Galliou, la pénétration de l'aspect méditerranéen des traditions funéraires romaines masque mal les pratiques gauloises sous-jacentes (Galliou 1986 : 73).

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Si l'on suit ce schéma, les différences entre "tombes rurales" et "tombes urbaines" réside principalement dans la manifestation de leur romanité indiquant par là même le niveau social du défunt. Les tombes regroupant le plus grand nombre de caractéristiques romaines seraient celles des élites détentrices d'un ou plusieurs type(s) de pouvoir(s). Les plus indigentes sont celles des pauvres.

Cependant, l'ensemble des travaux récents portant sur tous les aspects du monde rural gallo-romain démontre à quel point il s'agirait là, en fait d'un tableau beaucoup trop simple. La réalité étant probablement plus proche d’une sorte de camaïeu social dont les subtilités ne transparaissent pas obligatoirement aux travers des vestiges archéologiques.

Cette vision contradictoire entre ces deux univers a été confortée par le fait que les sépultures découvertes en milieu rural ont longtemps été étudiées non pour leur valeur intrinsèque mais pour leur capacité à compléter les données insuffisantes provenant des établissements ruraux. Il s'agissait d'apprécier l'occupation, la prospérité et l'importance de ces établissements (Van Ossel 1991 : 101).

3. Topographie funéraire et dynamique des espaces funéraires

En 1993, A. Ferdière s'interrogeait sur la capacité de la topographie funéraire à nous informer du type d’organisation du territoire considéré (Ferdière 1993 : 435). Parmi les principales questions dégagées, étaient mises en avant celles concernant l'influence des tombes sur l'occupation des sols et les rapports entre topographie des tombes privilégiées et limites des terroirs (Ferdière 1993 : 435). A cette époque, l'auteur souhaitait que la multiplication des opérations de sauvetage et donc des découvertes, permette d’y répondre au moins partiellement. Cependant, un des problèmes principaux réside dans le rattachement de tel ensemble funéraire à tel habitat (Ferdière 1993 : 435 ; Van Ossel 1992 : 101). Il en résulte parfois une confusion possible entre fourchette de datation dans laquelle s'inscrit la phase d'utilisation de la nécropole et la durée réelle d'utilisation de la nécropole (Ferdière 1993 : 436). Si l'on peut prouver la

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contemporanéité d'une villa et d'une nécropole, il est beaucoup plus difficile de définir leurs relations. De plus, la coïncidence entre une forme d'habitat donné et celle d'une nécropole est possible mais difficile à établir (Blaizot, Bonnet, Castex, Duday 2000 : 273 ; Van Ossel 1992 : 101).

Partout en Gaule, on constate une discontinuité dans l'exploitation des lieux de sépultures notamment au IIIe siècle, moment du passage de l'incinération à l'inhumation (Blaizot, Bonnet, Castex, Duday 2000 : 272 ; Ferdière 1993 : 437).

III. Vers une définition des entités funéraires bituriges

Comme nous venons de le voir, la mort et les morts sont au centre de nombreux enjeux archéologiques. Les problématiques dégagées offrent un vaste champ d'études au sein duquel il serait parfois possible de se perdre, tant les domaines concernés sont variés.

Dans l'optique d'une approche à l'échelle de la cité, celle des Bituriges cubes semble offrir la possibilité, si ce n'est de répondre à toutes les problématiques, du moins d'en aborder certaines. Nous plaçons ce travail dans la continuité des efforts déjà fournis par nos prédécesseurs et espérons même y apporter notre contribution. Il ne s'agit donc pas d'agir en rupture par rapport au reste de données concernant la Gaule romaine ni de prôner une "identité funéraire biturige" mais plutôt de constituer un dossier dont toutes les pièces auront été vérifiées. Le nombre élevé de sites funéraires permet d'espérer la création d'un corpus suffisant pour dégager de grandes tendances et les comparer aux éléments connus jusqu'à présent dans le reste de la Gaule.

Bien que nous ayons été tenté d'aborder toutes les problématiques funéraires au sein de la cité biturige, il nous est vite apparu que seuls quelques axes majeurs pouvaient être correctement traités. Ce réajustement de nos ambitions est à la fois lié à l'accessibilité, à l'état de conservation des différentes collections, à l'absence ou à l'abondance de documentation selon les sites mais également aux exigences méthodologiques de l'anthropologie biologique.

Par conséquent, nous concentrerons nos efforts sur trois pôles principaux : • la topographie et la dynamique des espaces funéraires ;

• la définition des pratiques funéraires et leurs rapports au défunt ; • l'organisation et la gestion des nécropoles.

Ces éléments nous semblent fédérateurs des problématiques et des recherches en cours. Ils permettent de traiter le phénomène funéraire non pas comme un domaine réservé aux morts mais comme un élément intégré au monde des vivants.

Topographie des espaces funéraires