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Première partie : Pour une approche régionale des sites funéraires gallo romains

B. Par quoi le geste funéraire est-il dominé ?

Les sépultures gallo-romaines manifestent une très grande variété à la fois dans les contenants choisis, la position du défunt dans la tombe ainsi que le mobilier qui lui est associé. L. Tranoy résume parfaitement les tenants et aboutissants de cette problématique :

"La démarche qui consiste à aborder la sphère du rituel à la lumière des vestiges est périlleuse car elle entraîne à franchir cette frontière, souvent nébuleuse, entre la description objective des traces perceptibles et l'interprétation" (Tranoy 2002 : 111).

La pensée, matérialisée par les indices présents dans la tombe, ainsi que l'origine des différences de traitement entre les individus sont difficiles à déterminer. Correspondent-elles à la hiérarchisation sociale très forte qui règne durant l'époque romaine ? Jusqu'à quel point ces éléments peuvent-ils être interprétés ? Ces réponses sont d'autant plus difficiles à apporter que les recherches ont souvent eu une vision dogmatique du geste funéraire gallo-romain. En effet, on ne peut contester que la tombe reflète une certaine attitude envers les morts. Cependant, il n'est pas possible de déterminer la part des choix personnels ou sociaux.

1. La place des croyances

Le mobilier est-il l'assurance d'une croyance en l'au-delà ? Pour la Gaule romaine, la question a longtemps semblé ne pas se poser. En effet, les références aux croyances en l'au-delà et en une "vie après la mort" sont nombreuses notamment sur les stèles funéraires. Associées et comparées aux sources écrites latines, ces épitaphes paraissent définir des courants de pensée pour lesquels vie d'outre-tombe et vie terrestre sont analogues. Le mobilier funéraire correspondrait alors au fait que l'on offre aux morts les moyens nécessaires pour une nouvelle existence chez les défunts (Prieur 1986 : 27).

Par quoi le geste funéraire est-il dominé ?

Cependant, ces croyances ne sont pas clairement identifiées pour la Gaule romaine. Certes, le dépôt de mobilier reflète sans doute une certaine attitude envers les morts mais n'implique pas obligatoirement une pré-conception de l'au-delà pour traiter les morts (Bahut 1992 : 134 ; Galliou 1986 : 75). Le dépôt de mobilier représente toujours quelque chose mais il pourrait être lié à des croyances très générales ne concernant pas «plus particulièrement» la mort (Ucko 1969 : 264). On pourrait imaginer aussi l'existence d'effets de mode qui auraient uniformisé certains gestes sans qu'ils soient pour autant soutenus par une quelconque croyance.

Ces difficultés d'analyse sont particulièrement flagrantes si l'on inverse la réflexion. Ainsi le dépôt de mobilier peut être caractéristique d'une croyance mais qu'en est-il de l'absence de dépôt notamment à la fin de l'Antiquité tardive ? Durant cette période de développement du christianisme, les dépôts funéraires sont peu nombreux voire quasi inexistants. L'absence de mobilier dans une tombe du IVe siècle est-elle liée à l'installation de cette religion, à une autre croyance ou à d'autres facteurs, économiques notamment ? Dans quelles proportions ces critères influent-ils sur le geste funéraire et surtout ne peuvent-ils pas être amalgamés ou confondus.

2. Statut social et distinction funéraire

Le statut social, la place au sein du groupe, peut être un élément déterminant de la constitution de l'appareil funéraire et plus généralement de la conduite des funérailles, du traitement du corps à la mise en terre. Le mobilier funéraire est donc exploité afin de déterminer le statut social de l'occupant. La quantité et la qualité des dépôts permettent d'établir la richesse ou la pauvreté des tombes. Mais une telle distinction est complexe et nécessite une comparaison entre sépultures riches et pauvres à partir de cas clairement identifiés comme appartenant à l'une ou l'autre des catégories.

De plus, ces considérations doivent prendre en compte d'autres paramètres afin de restituer la place des objets dans le monde des vivants pour comprendre leur place dans celui des morts : niveau de développement et de circulation de ces objets dans la nécropole et dans la

Par quoi le geste funéraire est-il dominé ?

région, emplacement(s) dans la tombe et relations avec les dépôts des autres sépultures (Philpott 1991 : 229). Ces critères ont toutes les chances de varier d'une région à une autre.

Se présente alors le cas des sépultures ne contenant aucun mobilier. Cette absence est- elle uniquement subordonnée à la richesse ou au statut social de l'occupant ? Si elle est ne se retrouve pas dans la sépulture, la richesse pouvait être présente dans les rituels ou processions (Ucko 1969 : 267) voire, comme le suggère V. Bel pour la nécropole du Valladas, dans l'aspect extérieur de la tombe (Bel 2002 : 58). Autant d'éléments qui peuvent n'avoir laissé aucune trace. Pourtant, notre vision des pratiques funéraires gallo-romaine nous inciterait à classer une telle tombe dans la catégorie des sépultures "pauvres" ou "modestes".

3. La pondération du contexte socioculturel

Nous l'avons vu, l'analyse des variations entre les dépôts constitue un pan important de la recherche. S'il n'est pas utilisé pour déterminer le "niveau social" de son propriétaire, le mobilier funéraire peut parfois servir à caractériser la valeur symbolique des différents types d'artefacts présents dans la tombe (Parker Pearson 1993 : 206). Le processus de sélection du mobilier funéraire est alors lié aux croyances et conceptions de la mort et de l'au-delà.

Toutefois, l'exploitation de ces indices afin de définir la structure sociale d'une population ne doit pas occulter ses contextes. La sépulture regroupe caractères sociaux, religieux ou spirituels qui compliquent d'autant la définition de lignes directrices qu'ils peuvent être sujets à des interprétations personnelles. Les rites funéraires peuvent également dépendre de leurs interactions avec l'évolution des mœurs, des cultures ou des religions.

De plus, une majeure partie des recherches considère qu'il existe obligatoirement un lien entre les pratiques funéraires, les croyances, la société et que ce lien retranscrit dans la tombe. V. Bel résume ce concept ainsi :

Par quoi le geste funéraire est-il dominé ?

"Une part des pratiques funéraires vise à réaffirmer l'identité du groupe déstabilisé par la mort. A travers elles, s'expriment aussi la compétition sociale et l'image que le groupe donne de lui-même." (Bel 2002 : 191)

Tenu pour un reflet plus ou moins déformé de la société des vivants, le monde des morts en est si souvent différent que nous devons rester vigilant. C'est ce que suggère P. Galliou :

"S'il est bien certain qu'une étude détaillée des coutumes funéraires d'une région bien délimitée de la Gaule romaine est une précieuse source de renseignements sur les populations qui l'habitent, sur leur degré de culture, de richesse ou de romanisation, il faut cependant reconnaître que l'interprétation de leurs signes et de leurs symboles pose souvent de délicats problèmes." (Galliou 1986 : 69)

Le monde des morts a ses propres modes d'organisation, ses codes. La diversité des modes de dépôts, des appareils funéraires et des mobiliers funéraires est telle qu'elle semble effectivement correspondre à la grande variété des croyances et des conditions sociales mais sans forcément vouloir les reproduire ni les imiter.

De plus, nous ne devons pas oublier que cette image que nous avons du monde des morts est construite à partir d'éléments qui pour la plupart sont enfouis. Les éléments de surface, essentiels aux cultes commémoratifs, à la signalisation et au souvenir du défunt sont rarement retrouvés en place, dans leur contexte d'utilisation.

L'emprise territoriale des pratiques