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Première partie : Pour une approche régionale des sites funéraires gallo romains

A. Chronologies et pratiques funéraires

1. De l'inhumation à la crémation…à l'inhumation

Selon I. Mooris, l'importance du traitement du corps ne peut être interprétée qu'en observant son contexte (Mooris 1992 : 69). Il a longtemps été considéré que la conquête romaine de la Gaule induisait l'assimilation de la culture italique et ce quel que soit le domaine considéré, le funéraire ne faisant pas exception. L'installation des Romains signifiait l'intégration de leurs normes et rituels funéraires avec, comme geste le plus marquant, la généralisation de la crémation. Dans le rite romain, le cadavre étant perçu comme une source de corruption, le rituel funéraire permet la purification de ceux qui ont touché ou approché la dépouille et la crémation évacue le phénomène de décomposition (Galliou 1986 ; Maurin 1984 ; Prieur 1986 ; Scheid 1984 ; Tranoy 2000).

Ce processus d'adaptation semble commun à toutes les provinces de l'Empire et est d'autant plus facile que la crémation est connue dans certaines régions avant la conquête. Certains auteurs vont jusqu'à considérer cette transition comme un signe d'allégeance à Rome émis avant tout par les classes supérieures (Jones 1987 : 814 ; Mooris 1992 : 49). D'autres auteurs, plus prudents, constatent également l'adoption massive des rites romains mais n'oublient pas le maintien tardif de certaines traditions par les populations indigènes qu'il s'agisse de communautés rurales ou de l'aristocratie, qu'elles soient de Gaule, des Germanies ou de Bretagne (Struck 1995 : 139). Ces mêmes auteurs n'oublient pas que bien que sporadique au Ier siècle, l'inhumation n'a jamais vraiment disparu de Rome (Taglietti 1987 :163)

A partir du IIe siècle, l'inhumation tend à remplacer l'incinération puis devient majoritaire au IIIe siècle pour finalement être la pratique unique au IVe siècle dans le monde romain (Prieur 1986 ; Jones 1987 ; Taglietti 1987 ; Tranoy 2000). Les raisons de ce changement sont encore mal définies. Sont principalement évoquées le succès des religions orientales et le développement du christianisme. Atteignant leur apogée au IIIe siècle, les influences orientales se seraient diffusées depuis deux zones principales : les points de stationnement militaire situés le long du limes, notamment en Germanies et les rivages méditerranéens (Tranoy 2000 : 129 ; Van

Chronologies et pratiques funéraires

Doorselaer 1967 : 69). Des chercheurs proposent également la possibilité d'une résurgence ou d'une persistance des traditions pré-romaines dans certaines provinces (Jones 1987 : 828 ; Van Doorselaer 1967 : 67).

Ces trois facteurs ne semblent pas déterminants et l'ensemble des chercheurs leur accorde un impact variable. Cependant, un consensus existe pour attribuer à Rome l'envoi du signal de départ avec les funérailles d'Hadrien en 138. A partir de cette date, même si l'opinion courante veut que la réorientation du rite soit imposée dans les classes dirigeantes puis diffusée dans les classes subalternes, l'inhumation semble, au contraire, toucher les niveaux sociaux les plus variés (Jones 1987 : 816 ; Taglietti 1987 : 170).

En Gaule, ce renouveau de l'inhumation va d'abord être développé en contexte urbain puis, plus tardivement, en milieu rural, ce dernier étant considéré comme plus conservateur (Tranoy 2002 : 105). Comme pour les autres provinces de l'Empire, il est difficile d'établir une chronologie précise de cette évolution locale étalée dans le temps et dont on a pu établir sa durée réelle. Notons par ailleurs qu'il existe peu d'échantillons comparables à ceux de Rome, dont la durée d'occupation permette d'apprécier la phase précise de réapparition de l'inhumation ou dont l'utilisation soit suffisamment longue pour que les deux pratiques coexistent et/ou se superposent (Goudineau 1987 : 248 ; Mooris 1992 : 62).

2. Les pratiques persistantes

Les chercheurs ont longtemps considéré qu'une tombe à incinération datait obligatoirement du Haut Empire alors qu'une inhumation caractérisait une occupation tardive. Cette attitude était certainement liée au fait qu'à Rome, jusqu'à la fin du Ier siècle ap. J.-C., l'inhumation est un événement sporadique, étranger aux coutumes funéraires romaines (Taglietti 1987 : 163). Or, il semble que ce tableau soit nuancé par de fortes spécificités locales. Les récentes découvertes de crémations tardives ou d'inhumations côtoyant les sépultures à incinération ont remis en cause un schéma accepté comme chronologiquement fiable.

Chronologies et pratiques funéraires

Ainsi, les alternances dans l'emploi de l'inhumation et de la crémation n'ont pas eu pour effet de figer le traitement du corps. Ces pratiques ont coexisté dans des proportions variables selon les lieux et les époques, du moins jusqu'au IVe siècle (Tranoy 2002 : 105).

La ou les raison(s) de la persistance de ces pratiques, lorsqu'elles sont minoritaires, sont mal définies. Des différences de niveaux économiques ou de croyances, individuelles, familiales ou collectives ont été évoquées mais pas encore démontrées (Goudineau 1987 : 251 ; Taglietti 1987 : 169). A l'heure actuelle, on préfère s'en remettre à la force des traditions ou des habitudes.

3. Le cas des sépultures d'enfants

Durant la période gallo-romaine, les enfants morts sont l'objet de pratiques funéraires particulières. Mort-nés, nourrissons morts en bas âge, enfants décédés prématurément sont autant de phénomènes qui perturbent l'ordre social et requièrent des rituels spécifiques (Corbier 1999 ; Coulon 1994 ; Néraudeau 1994, 1998). Les plus jeunes sont presque toujours inhumés même lorsque la crémation domine.

Confirmée par les découvertes archéologiques, étayée par les sources antiques, cette affirmation a conditionné l'approche des gestes réservés aux enfants. En effet, c'est seulement depuis le développement des méthodes d'analyse anthropologique des restes osseux issus de crémations que l'on peut remettre en question cet a priori. Si les crémations de nouveau-nés sont peu nombreuses, elles n'en sont pas moins présentes et l'on ne peut s'empêcher de penser que beaucoup n'ont pas été détectées faute d'étude anthropologique appropriée.

L'emploi privilégié de l'inhumation n'est pas le seul élément distinctif. La petite taille des enfants permet de varier les contenants funéraires. Si une majorité des dépôts se font en pleine terre ou en cercueils, dans d'autres cas les dépouilles sont déposées dans des coffrages de tuiles, dans des récipients en céramiques, amphores ou dolia, puis dans des sarcophages taillés sur mesure durant l'Antiquité tardive (Coulon 1994 ; Blaizot, Bonnet, Castex, Duday 2000, Tranoy 2000).

Par quoi le geste funéraire est-il dominé ?