• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 Eloignement après stockage des déjections

4.1 Le millefeuille des matières de vidange

4.1.1 De la séparation de phases dans la fosse

Plus ou moins homogènes chez les individus et dans le temps, les déjections s’accumulent dans les fosses d’aisance. Constituées d’un mélange plus ou moins allongé d’urine, de fèces et d’eau, sans compter tous les corps étrangers susceptibles d’être évacués, soit par accident, soit sciemment, les matières de vidange stockées font l’objet de diverses réorganisations au fur et à mesure de leur accumulation. La première des opérations qui structure la morphologie de la masse des matières de vidange est de nature physique car, sitôt admises dans la fosse au droit du tuyau de chute,

les matières s'accumulent et constituent une sorte de monticule, en forme de cratère, dont la surface est de consistance pâteuse et souvent très ferme403.

La seconde réaction qui se produit conduit à la formation d’une phase gazeuse. En l’absence d’oxygène sans brassage à l’exception de l’énergie dissipée lors de la chute des matières, des réactions d’oxydo-réduction se produisent et décomposent les matières.

La présence abondante de nutriments et de carbone facilement biodégradable favorise le développement de microorganismes et les fermentations qui les accompagnent sont responsables des émanations volatiles. Produits principaux de la

fermentation putride404, les gaz ammoniaque (NH

3), dioxyde de carbone (CO2),

méthane (CH4) et hydrogène sulfuré (H2S) sont emprisonnés en quantité plus ou moins

considérable au-dessous de cette couche dure qui s'appelle en termes de métier le chapeau. Avec la rupture de cette structure protectrice, ces produits volatils se

répandent dans la fosse et seule un évent en communication avec l’atmosphère extérieure supprime le risque de mise en pression, tandis que la rhéologie des matières évolue

par les fissures du cratère, coule une lave visqueuse qui va se perdre dans la nappe liquide montant à une hauteur variable dans la fosse405.

403 P. BROUARDEL, Les asphyxies par les gaz, les vapeurs et les anesthésiques, Cours de médecine

légale de la Faculté de médecine de Paris, Éditeur J.-B. Baillière et fils, 1896, 448 pp.

404 Il existe également en quantités moindres de nombreux autres gaz soufrés (mercaptans) et azotés.

La présence de monoxyde de carbone CO, violent poison émis par les poêles-réchauds mal réglés n’est pas observée dans les gaz des fosses.

En fonction de ses conditions constructives, de son utilisation, de la fréquence et du mode de vidange de la fosse, on constate une grande variabilité dans les fractions extraites. La qualité de ces matières est également conditionnée par la teneur en eau, qui pèse lourd sur la valeur agronomique de l’engrais406.

Comme les fosses fixes, peu étanches, infiltrent une fraction des liquides dans le sol, un épaississement de la matière vidangée est observé, ce qui peut poser des problèmes pour l’extraction. Il faut alors bouler la matière, c’est-à-dire la remuer avec énergie pour homogénéiser son contenu. Pour les fosses fixes et sans mélange préalable des déjections plus ou moins diluées, les praticiens distinguent quatre

strates horizontales de valeur marchande variable407, avec :

a. la croûte, fine couche de surface, formée de strates légères, de peu d‘intérêt agricole ou industriel (faibles teneurs en azote, phosphore et potassium),

b. la vanne, d’intérêt médiocre, surtout diluée. Belgrand indique que cette fraction est monnayée à Paris pas plus de 1 franc le m3 à la fin des années 1860408,

c. la heurte, constituée par les matières demi-liquides ou pâteuses, valorisées 2 à 3 francs le m3 suivant la teneur en eau par Belgrand,

d. et enfin, le gratin, constituée par un amas de matières solides très lucratives et

commercialisées jusqu’à 6 franc le m3 en moyenne d’après Belgrand.

En termes d’intérêt fertilisant, la vidange conduit à disposer de façon distincte deux fractions principales, avec un surnageant et une phase solide qui représente en moyenne le cinquième des matières extraites en volume, mais dont valeur commerciale est 3 fois supérieure à celle des liquides. Aussi, exemple d’application pratique, comme l’indique Belgrand pour l’industrie de la vidange à Paris :

si la séparation était faite entièrement par des procédés perfectionnés, le cube des vidanges de Paris se diviserait ainsi :

- 110 000 m3 de solides à 6 francs = 660 000 francs

- et 440 000 m3 de liquides à 2 francs = 880 000 francs.

Les solides représentent donc, sous un volume réduit au 5ème de la masse

totale, à peu près les 2/5ème de la valeur commerciale des matières Compte tenu de la diversité des fosses à curer, en termes de volume, de fréquence d’utilisation, de mode de construction, de fréquence de vidange, on comprendra sans

peine que ces différentes sortes de matières ne se rencontrent jamais dans des proportions constantes…

406 La dilution des vidanges par de l’eau ou bien par de la terre est abordée plus loin.

407 MM. LABORIE, CADET LE JEUNE, & PARMENTIER, Membres du Collège de Pharmacie &c. Observations

sur les fosses d’aisance, & moyens de prévenir les inconvénients de leur vidange, imprimé par ordre & aux frais du Gouvernement, Paris, Imprimerie de Ph.-D. Pierres, 1778, pp. 50-51. Le volume contient aux pages 1-47 les observations proprement dites, qui sont suivies, aux pages 48-109, d’un Extrait des registres de l’Académie royale des sciences du 8 juillet 1778.

408 Eugène BELGRAND, Les travaux souterrains de Paris, Vol. 5, troisième partie : Les vidanges, Dunod,

En 1864 pour Touchet de la Compagnie Richer, la principale cause de cette inconstance de la qualité des matières de vidange, c’est la quantité d’eau de lavage

jetée dans la fosse, quantité variable selon les localités et les habitudes des locataires409.

En outre constate-t-il, les fosses fuyardes ne contiennent alors que des fortes

matières dont la consistance varie entre celle d’un terreau noir presque sans odeur, et une pâte plus ou moins consistante, dont les émanations sont on ne peut plus incommodes. Après avoir considéré les phénomènes qui se produisent dans la fosse, il

convient de procéder à l’analyse des matières qui s’y accumulent, la Figure 87 détaillant la structuration et les réactions complexes qui s’y opèrent

Figure 87 – coupe schématique des matières de vidange dans une fosse fixe et processus biochimiques simplifiés

(d’après le cours non publié de Bernard VEDRY, 2000)

409 J.-H. TOUCHET, Guide pratique de la vidange agricole à l'usage des agronomes, propriétaires et

fermiers : description de moyens... de recueillir, de désinfecter et d'employer l'engrais humain, E. Lacroix, Paris, 1864, 86 p.