• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 Eloignement après stockage des déjections

4.2 La vidange des fosses, une opération pénible

4.2.2 Obturer et ventiler pour respirer

Premier avertissement du danger associé aux déjections humaines, l’odeur est nécessairement un enjeu dont il faut réduire l’impact. Pour s’en préserver, la mauvaise odeur peut être confinée par de systèmes d’obturation, mais également évacuée à une distance suffisante par ventilation.

- effet siphon et prévention des nuisances olfactives

Peu après la seconde moitié du XVIIIe s., un système d’obturation hydraulique par siphon inversé est mis au point par l’ingénieur mathématicien Deparcieux pour réduire la puanteur dans les abattoirs parisiens.

Invention majeure dans la technologie des urinoirs, la cuvette Deparcieux est un dispositif hygiénique qui permet de remédier à l’incommodité de la puanteur causée

par la fermentation des graisses et autres immondices428.

Pour prévenir le reflux d’air putride depuis le puisard par le conduit d’évacuation des eaux ménagères jusque dans les cuisines, une cuvette de pierre, avec un différentiel entre la cote d’entrée et de sortie, créé une obturation hydraulique.

427 En termes d’illustrations de vidangeurs, la Suède est bien représentée dans l’article fosses d’aisance

de Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fosse_d%27aisances

428 Antoine DEPARCIEUX, Sur un moyen de se garantir de la puanteur des puisards quand on est

contraint d’en faire dans le voisinage des maisons, mémoires de l’Académie Royale des sciences, 1767, p. 133-137

Si ce dispositif a été conçu à l’origine pour des puisards, il est appliqué avec succès aux urinoirs sans stockage des urines (qui s’écoulent alors dans le caniveau ou à l’égout), et à l’alimentation des fosses d’aisances (voir la Figure 90)

Figure 90 - cuvette à la Deparcieux avec effet siphon (fin XVIIIe s.)

Cet exemple met évidence qu’un dispositif rustique et simple, régulièrement entretenu pour prévenir tout dépôt sur le radier, permet de réduire les risques lors de la vidange des fosses

- la Compagnie du Ventilateur, premier industriel de la gestion des déjections

La première mécanisation de la ventilation pour améliorer l’hygiène apparait outre-

manche à la fin de la première moitié du XVIIIe s.429, quand Stephen Hales, étudiant

les dangers des espaces confinés, conçoit un dispositif mécanique actionné par l’homme ou un animal mines (voir Figure 91). Si l’objectif visé est alors de renouveler l’atmosphère des prisons, hospices, navires et surtout de prévenir le coup de grisou dans les mines, aucune application du ventilateur à la vidange des fosses n’est identifiée en Grande Bretagne avant le XIXe s.

Figure 91 – ventilateur Hales430 (1744)

429 John Desmond BERNAL, Les rapports scientifiques entre la Grande-Bretagne et la France au XVIIIe s.,

Revue d'histoire des sciences et de leurs applications. 1956, Tome 9 n°4. pp. 289-300.

La nature inflammable du dihydrogène est découverte par Cavendish découvre, et celle du dioxygène ou air vital, également nommé air du feu, par Joseph Priestley.

430 Stephen HALES, A description of ventilators : whereby great quantities of fresh airmay with ease

conveyed into mines, goals, hospitals, work-houses and ships, in exchange for their noxious air : an account also of their great usefulness in many other respects : as in preserving all sorts of grain dry, sweet, and free from being destroyed ... which was read before the Royal Society in May 1741.

En France, l’ouvrage de Hales fait très rapidement l’objet d’une traduction431, et le

ventilateur est mentionné pour la première fois dans la première édition de 1752 de

l’Encyclopédie, puis par Genneté en 1767 qui insiste sur ses avantages432. Révolution

dans la pratique de la vidange, l’idée de mettre en œuvre une ventilation forcée des fosses d’aisances lors de leur vidange revient à Arnaud Pargade, maître charpentier

devenu entrepreneur de vidanges433.

Les lettres patentes du roi datées du 19 juillet 1753 accordent au binôme Pargade et Goyon l’exclusivité de l’utilisation du ventilateur pour la vidange des fosses d’aisances.

Actionné à la main, le ventilateur est constitué par un boitier de bois muni de soufflets et tuyères pour faire passer l’air, les joints étant scellés avec du plâtre434.

Placé sur l'ouverture de la fosse, le ventilateur produit un courant d’aspiration qui chasse les gaz par le siège d’aisance situé le plus près du toit de l’habitation, tous les autres orifices connectés au tuyau de chute ayant été préalablement bouchés par des ventouses. Malgré son efficacité réduite, cette simple ventilation manuelle pour supprimer les odeurs rencontre un grand succès.

L’entreprise se développe rapidement, changeant de mains après la suite de rachats par des investisseurs (Dugourc en 1755, Lartois de Frileuse en 1770). En 1779, le

pharmacien-chimiste Cadet de Vaux435, en affaire avec son beau-père marchand

épicier Charles Delaplace, s’engage en 1779 dans la construction d’une machine à

déméphitiser pyropneumatique436 et obtient des lettres patentes (voir Figure 92).

Mais cette dernière entreprise connait un succès limité, s’achevant par l’hypothèque de ses actionnaires437.

431 M. P. DEMOURS, Description du ventilateur, par le moyen duquel on peut renouveler facilement et

en grande quantité, l'air des mines, des prisons, des hôpitaux, des maisons..., traduit de l'anglais, Paris, chez Charles-Nicolas Poirion, 1744, 277pp.

432 Claude Léopold GENNETE, Purification de l'air croupissant dans les hôpitaux, les prisons, et les

vaisseaux de mer : par le moyen d'un renouvellement continuel d'air pur et frais, qui en emportera aussi continuellement la mauvaise odeur, et que d'infects que sont ces lieux, les rendra sains et habitables, Ed. Leclerc, 1767, 113 pp

433 Jean BOUCHARY, Les compagnies financières à la fin du XVIIIe s., Annales Historiques de la

Révolution Française, n°98, mars-avril 1940, p.66

434 MM LABORIE, Antoine Alexis CADET de VAUX, dit CADET le jeune, rapporteur, et PARMENTIER,

Observations sur les fosses d'aisance, et moyens de prévenir les inconvénients de leur vuidange, Imprimé par ordre et aux frais du Gouvernement à Paris, Impr. de Ph-D Pierres, Impr. du Collège Royal de France lu le 11 février 1778, 47 pp.

435 André VAQUIER, Un Philanthrope méconnu : Cadet de Vaux (1743-1828), in Paris et Ile de France -

Mémoires, Tome IX, Paris 1957-1958

436 Pierre Justin Marie MACQUART, Suite de l'Instruction sur la cure des asphyxiés, Journal des Mines,

n°XIV Brumaire de l'an IV, p. 1.

Figure 92 - lettres patentes de la Cie du Ventilateur (1779)

Peu avant, Cadet de Vaux, au sein d’une commission de trois experts nommée par le Gouvernement en 1778 (cf § 6.3.2), a étudié avec soin les conditions pour prévenir les multiples accidents souvent mortels qui frappent les vidangeurs (cf Tableau 4).

La commission, après avoir confirmé l’intérêt de la ventilation, a introduit une amélioration majeure, avec un courant d’air chaud pour augmenter la puissance de

tirage438. La nouvelle version améliorée du ventilateur se compose d’un fourneau de

réverbère alimenté par un feu de bois blanc sur lequel s’ajuste un dôme relié à un

conduit de cheminée d’une longueur comprise entre 1,50 et 2,00 mètres439. Outre la

production d’un air chaud, le foyer incandescent brûle également la fraction combustible des gaz produits lors des opérations de vidange.

En 1822, ce système de ventilation est perfectionné par le chimiste et industriel d'Arcet, médaille d'or à l'exposition de l'industrie de Paris pour ses recherches sur la soude artificielle en 1801, qui supprime la ventilation par le tuyau de chute, et propose la réalisation

d’une cheminée d’appel, en tôle, disposée à l’une des extrémités de la maison et élevée de deux mètres au-dessus du toit, qui aboutit à la fosse, avec laquelle elle communique librement ; en échauffant cette cheminée…, il s’établit un courant ascensionnel qui entraine tous les miasmes délétères440.

438 MM LABORIE…, Observations sur les fosses d'aisance…, 1778

439 Louis-Charles-Henri MACQUART, Dictionnaire de la conservation de l'homme, ou d'hygiène, et

d'éducation, physique et morale, t. 2, Ed. Bidault à Paris, 1798, pp. 145-146 (article méphitisme).

440 Note sur les nouveaux appareils d’assainissement de M. Darcet, inspecteur général des essais à la

Figure 93 – fourneau pour la vidange441 (début XIXe s.)

Essentielle pour prévenir les risques d’asphyxie comme la diffusion d’odeurs putrides, la ventilation artificielle des fosses d’aisances par moyens mécaniques se généralise au cours du XIXe s.442.

Alternative à la ventilation forcée des fosses, la protection des vidangeurs par un dispositif autonome de respiration est envisagée peu avant la Révolution française par le chimiste et aéronaute Pilâtre de Rozier443. Son respirateur antiméphitique se

compose d'un tube sans masque, dont l'embouchure se fixe sur le nez ou dans la bouche, la ventilation étant assurée par un ouvrier qui aspire l'air par les fosses nasales et le refoule par la bouche, ou vice versa444.

Plus sophistiqué, le casque de Paulin, mis au point vers 1838, couvre entièrement la tête. La Figure 94 illustre ces deux dispositifs d’un emploi délicat

Figure 94 – dispositifs de ventilation (1786, 1838, 1876)

(de droite à gauche) respirateur de Pilâtre de Rozier (1786) appareil de secours Paulin (1838)

appareil de sauvetage Denayrousc (vers 1880)445

441 LIGER, Dictionnaire de la voirie…, p.334

442 Ernest BOSC, Traité complet théorique et pratique du chauffage et de la ventilation des habitations

particulières et des édifices publics…, Ed. Ve A. Morel et cie, Paris, 1875, p. 207-208

443 C’est le 19 janvier 1784 que Pilâtre de Rozier s’élève en ballon à Lyon, en compagnie de 6

passagers, dont Joseph Montgolfier.

444M. DE L'AULNAYE, Description et usage du respirateur antiméphitique imaginé par feu M. Pilatre de

Rozier, avec un précis des expériences faites par ce physicien sur le méphitisme des fosses d'aisance, des cuves à bière, etc., 1786

Enfin, invention de la fin du XIXe s., le filtre dit miasmifuge, déjà mentionné, met en évidence la longue persistance de la notion de miasmes446. La question actuelle des

masques de protection des infections microbiologiques prend ses racines bien avant la découverte des microorganismes.