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Chapitre 3 Les fosses d’aisances

3.4 De l’immobilisme des fosses fixes de Lyon (1818-1866)

3.4.3 Lyon entre la fosse fixe et l’égout (1819-1866)

Si Lyon connait un échec pour l’implantation des fosses mobiles, le succès est en revanche au rendez-vous à Paris. Dans la capitale, plus de 3000 fosses mobiles sont

recensées au 1er janvier 1819383 et convaincue, l’Autorité encadre de façon spécifique

l’activité, avec l’ordonnance dédiée du 5 juin 1824 qui dynamise le secteur. Deux hypothèses peuvent s’envisager pour expliquer cette différence, avec d’une part l’engagement volontaire des autorités à Paris qui adoptent un corpus réglementaire qui donne un statut à ce système, et d’autre part des caractéristiques topographiques particulières sur Lyon.

Sur la capitale, le Préfet de Police Jules Anglès signe dès le 23 octobre 1819 l’acte de reconnaissance officielle des fosses mobiles, et une ordonnance de Police de la ville de Paris du 4 juin 1831 concernant les vidangeurs dispense ceux qui interviennent sur des fosses mobiles des contraintes horaires applicables aux fosses fixes. Peu après, une ordonnance de Police du 5 juin 1834 précise les conditions de gestion du service

des fosses mobiles, qui bénéficient de souplesse pour les horaires des vidanges384. A

Lyon cependant, aucune ordonnance en faveur des équipements mobiles n’a pu être identifiée, ce qui constitue a priori un motif suffisant pour expliquer cette différence. Caractérisée par son relief marqué et des voies de transport anciennes, la ville n’aurait-elle pas le profil pour les fosses mobiles et leur vidange ?

381 Service de salubrité. Lyon. Du nettoiement de ville, traité au point de vue exécutif et financier

(1842) ; Lyon. Voirie. Salubrité. Voies publiques. Du nettoiement de ville traité aux points de vue exécutif et financier, 2e édition (1843) ; Etudes relatives au pavage des voies urbaines et des routes (1844) ; Lyon. Nouveau mode de pavage des voies urbaines (1849) ; Du Balayage par les machines, données, explications et réflexions (1850) ; Cessation de la boue, du caillou, de la poussière, des miasmes, etc. Lyon (1851) ; Perfection des voies publiques d'assainissement (1851).

382 Fonds Coste n°117179.

383 François Victor MERAT de VAUMARTOISE, description des nouvelles latrines connues sous le nom

fosses mobiles inodores, Journal complémentaire du dictionnaire des sciences médicales, Panckoucke, 1819, pp. 238-244.

Comme le note à ce propos en 1855 le sénateur et Préfet du Rhône Vaïsse, lors de la signature du Traité entre la municipalité de Lyon et la Compagnie de la rue Impériale à Lyon pour l’exécution de divers travaux d’utilité générale avec un égout

quel étranger, visitant notre ville, n’a été péniblement frappé, quel bon Lyonnais n’a éprouvé une patriotique confusion de voir que l’on n’arrive à la place des Terreaux, la place où se trouvent l’Hôtel de Ville et le Palais Saint- Pierre que par des rues, la plupart, étroites, obscures, sales et mal alignées… ?

Cette hypothèse que les rues de Lyon présenteraient des difficultés d’accès pour permettre la vidange des fosses mobiles ne peut cependant pas être retenu, car les fosses fixes font de longue date l’objet de vidange. Quoiqu’il en soit, les fosses mobiles dites inodores peinent à se développer à Lyon, ce qui conduit la presse à se faire l’écho d’une situation jugée absurde en 1832, car

il est inexplicable que la ville de France la plus à portée de se procurer la meilleure eau du monde, celle du Rhône, use cependant la plus mauvaise eau possible. En effet, la multiplicité des fosses d'aisances, le peu de surveillance que l'on apporte à leur entretien, la grande quantité de matières solubles que renferme le sol sur lequel repose Lyon, tout concourt à faire de l'eau des pompes dont on fait généralement usage, un élément pernicieux à la santé. L'adoption des fosses inodores, opération aussi simple que peu dispendieuse, remédierait en grande partie à l’l'inconvénient que nous venons de signaler, et aurait de plus l'immense avantage d'éviter les miasmes qui s'en dégagent sans cesse. Il n'est point de fantaisie de luxe, de caprices de mode qui ne soit plus onéreux pour un riche propriétaire que ne le serait l'amélioration dont nous parlons385.

Après un premier rapport critique de la situation lyonnaise en 1848386, le docteur

Pasquier, médecin aliéniste chargé du service de l’Hospice de l’Antiquaille de Lyon,

un temps membre du conseil municipal387, souligne en 1850 les avantages du système

des fosses mobiles avec désinfection par le charbon animal en poudre. Point intéressant, il considère également la question de la valorisation agricole de la matière fécale388.

Le docteur Pasquier constate que toutes les études techniques précédentes sont restées sans suite, aucun programme de travaux n’ayant été adopté par la municipalité, à l’exception d’un total de 14 tronçons d’égouts, construits entre 1845 et 1850 par l’Administration des Ponts & Chaussées. Mobilisée au tournant du XIXe s., la Société nationale de médecine de Lyon lance un concours avec comme questions

385 Le Précurseur, 3 mai 1832, p. 2

386 René PASQUIER, quelques considérations sur les fosses d’aisances et sur les égouts, Journal de

médecine de Lyon, n°24, décembre 1848, p. 401-419.

387 Se reporter à la brève biographie insérée dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences

médicales, sous la dir. A. Dechambre, 1874-1889. p. 497.

388 René PASQUIER, des eaux, des égouts et du curage des fosses d’aisances dans une grande ville,

réflexions pratiques sur ces points de l’hygiène publique Gazette Médicale de Lyon, t. 2, 1850, p.217- 223.

établir par des faits plus que par la théorie, si le voisinage d'un égout peut être dangereux pour un quartier ? Quel genre de maladies peut en résulter ? A quel genre de construction ou de direction doit-on attribuer ce résultat ? Indiquer les moyens d'y remédier à Lyon pour les égouts déjà construits et de le prévenir pour les égouts projetés389.

Seuls deux seules réponses sont présentées390, et le lauréat est le Secrétaire de

l’Association des médecins du Rhône391, Jean-Pierre Bourland-Lusterbourg, qui

remporte un jeton d’or pour son mémoire, sur le meilleur système à suivre pour la

construction et l’assainissement des égouts de la ville de Lyon392, dans lequel il

définit les conditions nécessaires au fonctionnement correct d’un réseau d’égouts pour la ville de Lyon, marquant de l’intérêt pour le siphon renversé de l’architecte Louis Dupasquier.

Comme le rappelle le Jury, un jeton d’or ne constitue pas un prix, mais une compensation accordée en récompense d’un travail de qualité jugé cependant

incomplet au regard de la problématique mise au concours393, le problème reste en

suspens. Illustration de la difficulté à définir le système idéal, consulté en 1853, le Conseil d'hygiène condamne la création des égouts pour l’évacuation des matières. La Société de médecine reformule alors le concours en 1860 avec deux questions, la récompense étant exceptionnellement portée à 500 Fr,

comparer sous les rapports hygiénique et économique, le système des fosses d'aisances closes de toutes parts et assujetties à une vidange périodique, avec le système dans lequel les matières sont déversées dans les égouts, et par ceux-ci dans les fleuves. Déterminer lequel de ces systèmes mérite la préférence ; formuler les précautions à prendre pour en atténuer ou en neutraliser les inconvénients.

Si l’on ignore les résultats de cette initiative, a priori sans succès, cinq années plus tard, la Société impériale de médecine de Lyon, dans sa séance du 19 juin 1865, relance à nouveau le sujet, mais aucune réponse n’a pu être identifiée.

389 Louis-Auguste Rougier, Hygiène de Lyon, compte-rendu des travaux du Conseil d'hygiène publique et

de salubrité du département du Rhône, pendant la période renfermée entre le 1er janvier 1851 et le 31 décembre 1859, Aimé Vingtrinier, 1860, p. 156-157

390 Gazette Médicale de Lyon du 31 janvier 1850, p. 1 et 2.

391 Voir la notice nécrologique dans Lyon Médical, 1887, p. 336-340.

392 Publié dans la Gazette Médicale de Lyon, n° des 31 mai et 15 avril 1850, p.69-87. 393 Louis-Auguste Rougier, Hygiène de Lyon…, p. 157

En 1865, l’Académie nomme une commission composée de 6 membres, avec les docteurs Chappet, rapporteur, Pétrequin394, du chimiste Ferrand395 et de Gubian,

Diday, Passot, Vexu pour déterminer les améliorations à introduire dans la

construction et le fonctionnement des égouts de Lyon396. Le docteur Chappet, qui

marque un grand intérêt pour le sujet avec une visite aux Pays Bas en 1893397,

condamnent sans équivoque dans ses conclusions le système du coulage des matières de vidange à l’égout, sans toutefois recommander les fosses fixes :

1- le système, qui consiste à faire arriver dans les égouts les déjections humaines, provenant de l'intérieur des habitations est défectueux, et il serait bon d'y renoncer à l'avenir, aussi longtemps, tout au moins, que les appareils séparateurs ne donneront pas de meilleurs résultats

2- les égouts doivent être purifiés et désobstrués par des lavages et des curages réguliers

3- l'air malsain des égouts ne doit pas être répandu dans l’atmosphère. On atteindrait ce but, ou par l’occlusion des gueulards ou par l'emploi de substances désinfectantes, ou par la combustion des gaz méphitiques formés dans ces conduits398

Le docteur Chappet, après avoir noté que les fosses mobiles sont employées à

Marseille et dans d’autres villes, constate à regret, que

[ce système] a été essayé chez nous dans des proportions encore très restreintes…, et souligne que la suppression des fosses d’aisance dans les maisons nouvellement bâties, leur communication directe avec les égouts ont eu pour résultat de laisser exhaler une odeur fétide…, si beaucoup a été fait, il reste encore quelque chose à faire…399

La même année 1866, les docteurs Marmy400 et Quesnoy401, établissant une

comparaison avec Paris, font part de leur avis plus nuancé, et recommandent pour leur part la fosse mobile, constatant que

394 Joseph Pierre Eléonord Pétrequin, Essai sur la topographie de Lyon pour servir à l'histoire de

l'hygiène publique dans les grandes villes, avec des études comparatives sur les stations d'hiver dans le midi de la France, 1866

395 Etienne-Antoine Ferrand, pharmacien-chimiste, officier d’Académie, membre du Conseil d’Hygiène,

de la société de pharmacie et de la société de médecine impériale, se prononce dans un article du Lyon médical du 2 janvier 1887 en faveur de l’aspiration pneumatique des vidanges, et publie en 1888 un mémoire au Conseil d’hygiène sur les vidanges à Lyon de 1853 à 1883.

396 La Commission rend son rapport intitulé améliorations à introduire dans la construction et le

fonctionnement des égouts de Lyon le 20 novembre 1865.

397 Édouard CHAPPET, Sur les Vidanges d'Amsterdam, Lyon Association typographique, 1893, 7 p. et pl. 398 Edouard CHAPPET, Gazette médicale de Lyon, t. XVII, Imp. Typo Aimé Vingtrinier, 1865, p. 549-553 399 Ibid

400 Chirurgien edes améliorations à introduire n chef de l'hôpital militaire de Lyon, Membre du Conseil

de santé des Armées, commandeur de la Légion d'honneur, président de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon classe des sciences, Marmy est aussi membre de la Société anatomique de Paris, de la Société de médecine de Strasbourg, de la Société d'émulation de l'Ain, de l'Académie royale de médecine et de chirurgie de Naples, de la Société impériale de Constantinople…1866

401 Quesnoy est médecin inspecteur, commandeur de la Légion d'honneur, officier de l'instruction

- la pente générale du terrain permet la création de canaux collecteurs

dans lesquels les eaux pluviales, ménagères et les résidus des usines pourraient être rapidement conduits jusque dans le Rhône, au-dessous du confluent, Nous aurions ainsi l'analogue de l'égout collecteur de Paris, qui a son déversoir près d'Asnières.

- une question, secondaire pour Lyon, puisque le système auquel elle

s'applique n'y a pas été complètement adopté, est relative au déversement dans les égouts du produit total des fosses d'aisance. Jusqu'ici on ne conduit dans les égouts que la partie liquide des vidanges, celle qui est considérée comme sans valeur pour l'engrais, il est démontré que cette manière de procéder n'a aucune action nuisible ; mais en serait-il de même si les matières solides étaient dirigées dans les égouts ?

- on arrive donc bientôt à se trouver aux prises avec des difficultés très

grandes, qui consistent dans le curage des égouts encombrés, comme cela se présente souvent à Londres. Une considération, bien importante encore, est celle de la perte pour l'agriculture, d'une grande quantité d'excellents engrais

- la nécessité de remuer le sol pour les nouvelles constructions a permis

d'entreprendre un système nouveau de drainage dans les quartiers transformés, et déjà les égouts se développent sur un parcours considérable

- pour débarrasser la ville de tous les produits impurs… le meilleur moyen,

le seul vraiment praticable, consiste dans les fosses mobiles qu’on enlève, une fois remplies, pour les remplacer par d’autres

- le meilleur système serait celui des fosses mobiles, déjà répandu dans

beaucoup de villes, mais il est encore inusité à Lyon402.

402 Michel-Jules MARMY, Ferdinand QUESNOY, Topographie et statistique médicales du département du