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Chapitre 4 Eloignement après stockage des déjections

4.2 La vidange des fosses, une opération pénible

4.2.3 Le pompage des matières, unique issue

Après la ventilation par un flux d’air chaud, des progrès sont accomplis dans les technologies d’aspiration des matières. Chronologiquement, les pompes sont actionnées à la main et sont principalement employées dans la lutte contre les feux qui réduisent en cendres les constructions en bois. Suite à l’incendie de l’Hôtel de ville en 1671, la ville de Lyon investit dans une pompe de fabrication allemande qui permet de maîtriser les dégâts du sinistre analogue survenu en 1674.

Signe de l’intérêt porté à la question du pompage à Lyon, Claude de Jouffroy d'Abbans crée en 1781 une société à Lyon pour exploiter le Pyroscaphe, premier bateau vapeur à aubes de 46 m le long, et 182 tonneaux. Le navire réalise une spectaculaire démonstration publique devant dix mille spectateurs en remontant la Saône de la cathédrale Saint-Jean de Lyon à l'Île Barbe durant environ 15 minutes le 15 juillet 1783, exploit salué par la presse lyonnaise447.

Le premier modèle français de pompe employé pour la vidange est construit par le mécanicien pompier Nicolas Thillaye (ou Thillage) à Rouen448. Pour commercialiser

cette technologie anti-méphitique, il se rapproche de l’industriel Viot de Fontenay

(ou Fonteny) qui communique sur le sujet449.

Sollicitée, l’Académie Royale des Sciences décide en 1786 de procéder à une

évaluation de la pompe et nomme à cet effet une commission constituée de Leroy450,

Cornette451, Berthollet, Teissier452 et Lavoisier. Les Académiciens, séduits par

l’invention, concluent leur travail en recommandant l’utilisation de cette méthode, notant toutefois des défauts d’étanchéité453.

446 Charles Le SUEUR, Le miasmifuge, filtre à air portatif… sa description, énumération et description

des miasmes chimiques, causes de toutes nos maladies..., Paris, 1884

447 Journal de Lyon et du Midi du 19 janvier 1802, p. 117.

448 Nicolas THILLAYE, Description de différentes pompes, extraits de registres de l’Académie Royale des

Sciences du 1er février 1746, 3 pp.

449 Mémoire sur l'antiméphitisme, ou nouveau moyen de faire la vidange des fosses d'aisances plus

rarement, avec moins de dépenses, et d'en neutraliser, pour ainsi dire, les matières (sans date)

450 Membre de la Société royale de Montpellier et correspondant de l’Académie de Paris, Charles Le Roy

est l’auteur en 1751 d’un Mémoire sur l’élévation et la suspension de l’eau dans l’air.

451 Claude-Melchior Cornette apothicaire et chimiste, a rédigé un Mémoire sur la formation du salpêtre

et sur les moyens d'augmenter en France la production de ce sel en 1779.

452 Henri-Alexandre Tessier, dit l’abbé Tessier, même s’il n’est jamais entré dans les Ordres, est

agronome et médecin, Dr de la Bergerie Royale de Rambouillet puis Dr-Régent de la Faculté de Médecine de Paris. Il est l’auteur de nombreux articles sur l'Agriculture dans l'Encyclopédie méthodique (manière de préparer les matières fécales de l’homme pour faire l’engrais qu’on nomme poudrette telle que la vend M. Bridet : avantage et usage de cet engrais (1792) ; sur l'utilisation des vidanges et latrines en Flandres (non daté) ; de la différence du procédé imaginé par le citoyen Bridet pour utiliser les matières fécales comme engrais et des procédés employés avant lui (1797).

453 Rapport sur des Pompes Anti-méphitiques, Annales de chimie ou recueil de mémoires concernant la

Mais ce point reste un détail et l’entreprise se développe avec fortune, comme l’atteste le bordereau de 1790 présenté dans la Figure 95, ouvrant une succursale à Bordeaux en 1788 :

Figure 95 – pompe manuelle anti-méphitique (1790)

Inspiré par la machine de Viot de Fonteny observée à Paris, Suiphon, fermier de la

riche Abbaye des Dames de St Pierre454, propose en 1790 au premier maire élu de la

ville de Lyon, Fleuri Zacharie Simon Palerne de Savy, de tester sa pompe portative à

piston avec balancier horizontal à double levier. L‘Académie après s’être penchée sur

ce procédé, adopte une attitude prudente compte tenu des récents débats sur le supposé pouvoir désinfectant du vinaigre de Janin (polémique abordée plus loin), et refuse de se prononcer455 (voir Figure 96).

Peu après, une commission mixte composée de Toussaint Loyer, architecte membre

du conseil municipal456, François Tissier, François Tabard, professeur et

bibliothécaire, et de l’architecte Boulard teste en conditions réelles cette innovation et note que cette machine permet de

de remplir un tonneau contenant 17 ânées de liquide en 9 minutes…, évite la malpropreté…, bannit l’odeur méphitique…, peut être employée le jour aussi bien que la nuit…, par son moyen, l’extraction peut se faire sans aucun danger l’été comme l’hiver457.

Enthousiaste malgré sa faible puissance458, la commission d’experts formule la

recommandation que la ville de Lyon adopte la vidange avec la pompe de Suiphon459.

454 Cet édifice est aujourd’hui le Musée des Beaux-Arts de Lyon situé sur la place des Terreaux. 455 Revue du Lyonnais, série 5, n°31, 1901, pp.424-425.

456 Jean Benoît Désiré COCHET, Notice historique sur M. Loyer, architecte, membre de l'académie de

Lyon…, Impr. Ballanche, 1808, 8 p.

457 LOYER et al., Rapport des expériences faites par M. Suiphon d’une pompe à extraire les matières

liquides des fosses d’aisance, lu à l’Académie de Lyon le 7 décembre 1790, manuscrit n°194

458 L’ânée, ou âsnée, dérive de la charge qu'un âne peut porter en un seul voyage et désigne une

ancienne mesure du Lyonnais et du Mâconnais pour les transactions des grains et du vin. Une ânée vaut 108 litres et 7 décilitres, ou 80 pots, et correspond à un débit de 1 836 litres en 9 minutes, soit 1,2 m3/h, ce qui est faible.

459 Des moyens de recueillir et d'utiliser les engrais qui se perdent dans les grands centres de

Convaincue, la ville promulgue alors le 27 janvier 1791 une ordonnance de Police pour favoriser l’emploi de cet équipement.

Mais aucune référence à l’industrialisation du prototype et à sa mise en œuvre n’ayant été identifiée, on peut penser que la pompe n’a pas connu le succès escompté.

Figure 96 – fac-simile du rapport de l’Académie de Lyon (1790)

A partir des années 1820, les progrès techniques permettent désormais de généraliser le pompage à la vidange des fosses fixes. Avec ses raccords étanches et ses tuyaux en toile, en cuir ou en caoutchouc, la pompe à double effet dite à soufflets, capable de souffler et d’aspirer, se généralise sur la ville de Paris460. Equipement conséquent, s’il

suffit de deux ouvriers pour actionner la pompe, une équipe de cinq personnes est

requise pour sa mise en mouvement. Son débit est de l’ordre de 2 m3 en 8 minutes,

soit 15 m3/h. Pour prévenir tout colmatage par des corps volumineux, les tuyaux qui

plongent dans la fosse sont munis en partie inférieure d’une lanterne ou crépine, pomme d’arrosoir percée de larges trous. Machines relativement primitives comme le montre la Figure 97, ces équipements manuels sont progressivement remplacés par

des pompes à vapeur plus perfectionnées qui peuvent atteindre un débit de 50 m3/h.

Figure 97 – pompe à soufflets pour la vidange des fosses fixes (1820)

Environ une vingtaine d’années plus tard, application des progrès en matière de toleries et de chimie des gaz, l’appareil barométrique permet d’aspirer par succion les matières de vidange.

A la suite du brevet Arlet-Latour en 1842, le système Huguin-Domange dit

atmosphérique, consiste à mettre la fosse en communication avec une tonne en fer où

l'on a fait préalablement le vide, par introduction de vapeur d'eau suivie d’une condensation par refroidissement, ou par du gaz ammoniac précipité par de l’acide chlorhydrique.

Par un jeu de vannes étanches, les liquides sont aspirés de la fosse et projetés dans la citerne, mais les matières pâteuses restent en place, ce qui impose une intervention manuelle pour leur extraction (voir Figure 98). Autorisé par l’ordonnance de police du 26 janvier 1846, la société Domange et Cie s’engage dans l’exploitation à Paris d’un nouveau système de vidange dit atmosphérique.

Figure 98 – vidange atmosphérique Huguin-Domange (1844)

A Bordeaux, le docteur Commandré, gérant de la société hydro-barométrique du Midi réalise le vide dans la citerne préalablement remplie d’eau par une pompe aspirante, tandis qu’à Toulouse le dispositif Loiseau dit hydro-siphonique met en œuvre un siphon d’une hauteur de 10,30 mètres pour compenser la pression atmosphérique.

Technique dérivée de l’exploitation minière461, appliquée au début du XIXe s. par les

frères Périer pour relever l’eau de la Seine et alimenter un nouveau réseau de distribution à Paris, la machine à vapeur se développe pour la vidange.

A Lyon, fort d’une société dotée d’un de capital de 250 000 Frs, l’ingénieur Rival

conçoit l’un des premiers dispositifs de vidange couplé à une machine à vapeur462. Son

brevet, relatif à un aspirateur inodore pour le curage des fosses d’aisances pouvant

servir de pompe d’épuisement, est distingué par la société d’encouragement en 1847

(voir Figure 99)

Figure 99 – locomotive vapeur Rival pour le curage des fosses (1846)

En 1847 à Paris, Gagnière et Ferry font une demande de brevet pour un système de

vidange dit aérostatique, et en 1853, une vidange vaporo-pneumatique est mise au

point par Seillier. La même année 1860, le chimiste Maxime Paulet dépose un brevet pour une vidangeuse hydropneumatique, invention dont le devenir industriel reste inconnu.

La firme Lapointe, Chapusot et Cie connait pour sa part un certain succès avec la

vidange hydro-barométrique463, couplée avec un transfert par bateau des matières extraites464 (voir Figure 100)

461 C’est en 1749 que la seconde machine à vapeur construite en France est mise en service aux mines

de Littry, Calvados, pour l’extraction de houille. Voir Thierry VEYRON, Essai sur l'évolution technique des houillères françaises et belges : 1800-1880, L'Harmattan, 1999, p. 21.

462 Le premier véhicule mobile à vapeur, d’un poids de 2,5 tonnes, a été développé à Londres en 1829

par l’ingénieur George Braithwaite pour lutter contre les incendies.

463 Mémoire sur un nouveau système de vidange par le vide, 1860

Figure 100 - vidange hydro-barométrique Lapointe et Chapusot (1860)

Tout au long du XIXe s., la question du pompage des fosses fixes ne cesse d’être une préoccupation pour les Autorités lyonnaises. Le 24 juillet 1878, à la demande de la Préfecture du Rhône, une commission est désignée pour donner un avis sur les

expériences des machines à vapeur et des pompes à bras présentées par les compagnies de vidanges La Mutuelle et Le Progrès465. Constituée par Boutiron,

ingénieur du corps des mines, Demonget, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et directeur du service de la voirie de la ville de Lyon, Ferrand, pharmacien membre du Conseil d’hygiène, Glénard, professeur de chimie et Loir, professeur à la Faculté des Sciences, la commission rend un avis positif sur la

locomobile chargée de faire le vide dans les tonnes… [au moyen d’une] roue à aubes tournant avec vitesse dans un récipient circulaire et conclut que cette machine réalise, au point de vue de la salubrité publique, les conditions exigées.

En revanche, les experts accueillent avec une certaine déception

la pompe à deux cylindres, aspirante et refoulante, mise en action par un levier manœuvré par quatre hommes et dont les soupapes sont des boules en fer qui se soulèvent pendant l’aspiration et retombent pendant le refoulement… [et

qui], même si elle remplit convenablement les conditions hygiéniques… ne peut

enlever que les liquides.

Estimant la pompe peu innovante, mais néanmoins utile pour certaines fosses difficiles d’accès,

465 AML 1124WP20, procès-verbal du 25 octobre 1878 de la commission instituée par l’arrêté de

la commission est d’avis qu’on doit chercher à la remplacer par un instrument plus parfait et qu’on ne doit l’autoriser, en attendant, que dans les cas exceptionnels où les appareils par le vide ne peuvent accéder à la fosse.

Dans la seconde moitié du XIXe s. les innovations vont bon train pour simplifier les opérations de vidange, à l’instar de l’appareil hydropneumatique pour l'obtention

industrielle du vide dans de grands récipients, conçu à Lyon en 1878 par l’ingénieur-

constructeur Duvergier et fabriqué dans ses ateliers établis à Vaise où travaillent plus de 150 ouvriers (voir Figure 101). Reconnu pour la qualité de ses machines, Duvergier obtient en 1863 une médaille d'or à l'Exposition de Nîmes, un diplôme d'honneur à l'Exposition de Lyon de 1872, et une médaille d'or à celle de Paris en 1878. Très apprécié car permettant de faire le vide sur place, cet équipement est employé par la société Caillat puis par la Société Lyonnaise des vidanges et enfin par l’Union Mutuelle des Propriétaires Lyonnais (UMDP) de Burelle (voir Figure 102).

Figure 101 - appareil hydropneumatique Duvergier466 (1878)

A partir des années 1880, mobilisant de lourds équipages avec citerne hippomobile, les pompes locomobiles se développent pour effectuer les opérations de vidange des fosses fixes, comme l’illustrent la Figure 102 et la Figure 103

Figure 102 - vidange par une pompe à vapeur, UMDP (1890)467

466 Jacques-Eugène ARMENGAUD, Publication industrielle des machines, outils et appareils les plus

perfectionnés et les plus récents employés dans les différentes branches de l'industrie française et étrangère, tome 24, 1878, p. 15 et suiv.

Figure 103 – équipage complet de vidange des fosses fixes (fin XIXe s.)

Si ce mode de vidange par locomobile se répand jusqu’à l’arrivée des moteurs à pétrole, plus pratiques et permettant d’éviter les fumées de combustion du charbon, les pratiques tardent à évoluer, comme le montre la Figure 104 avec une cohabitation des techniques manuelles et à vapeur

Figure 104 - vidange par pompe à bras et à vapeur, Lyon, UMDP (1890)

Illustration de la progression des technologies, dans le double objectif de réaliser la vidange des fosses et de produire un engrais, une nouvelle solution apparait sur le marché en 1885.

La pompe à vide de la Pneumatique permet en effet de réaliser un

traitement des matières fécales et des urines par l'effet du vide ; l'ammoniaque se dégage et se trouve absorbée par l'acide sulfurique. Le sulfate d'ammoniaque se forme ainsi directement et est ensuite livré au commerce468.