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De la nécessité des fosses mobiles à Lyon (1819-1849)

Chapitre 3 Les fosses d’aisances

3.4 De l’immobilisme des fosses fixes de Lyon (1818-1866)

3.4.2 De la nécessité des fosses mobiles à Lyon (1819-1849)

En 1818, consciente des défauts des fosses fixes, la Société de Médecine de Lyon

nomme une commission constituée par le docteur Tissier357, auteur de rapports très

divers dans le domaine de l’économie pratique, de la qualité des eaux358, du

rouissage, ou des brûleries d'eau-de-vie (alambics et distilleries). Ce comité d’experts comprend également le vétérinaire Grognier359, et le docteur Terme, rapporteur et

futur maire de Lyon. Lors de la séance conclusive du 16 avril 1819, considérant les problèmes rencontrés par la vidange des fosses fixes, la commission recommande l’utilisation des fosses mobiles, tout particulièrement dans les lieux à forte densité

comme les hôpitaux, prisons et casernes militaires360. Ne pouvant rester absente de

ces débats qui sont en relation avec la question de la fertilité agricole, la société royale d'agriculture de la ville de Lyon désigne également une commission, mais la communication faite en 1821 n’a pu être trouvée.

Motivé par ces éléments, un entrepreneur tente sa chance à Lyon et établit un établissement gestionnaire de fosses mobiles et inodores sur la place Louis-le-Grand,

aujourd’hui Bellecour361. En 1820, la presse locale indique que Foullon, cessionnaire

de la Cie Caseneuve, a établi son entreprise de fosses mobiles pour les départements

du Rhône, de l’Isère, et de Saône et Loire362. Pour assurer la promotion des matières fertilisantes issues de la vidange des fosses mobiles, un encart publicitaire de la Compagnie vise en particulier à prévenir MM. les propriétaires et cultivateurs,

qu’elle fait fabriquer, sous la dénomination de poudre végétative, un engrais propre à fertiliser les terres de toute nature, avec des entrepôts dans toutes les villes et chefs-lieux.

Le marché apparait alléchant car moins d’un mois plus tard, établi sur la colline de la Croix-Rousse, Lacan, capitaine retraité et ancien directeur administratif de la société Foullon, créé la Cie des Fosses Mobiles et Inodores pour les départements du Rhône,

de Saône et Loire et de l’Isère, et annonce qu’il s'obligera à divulguer son secret dès l'instant qu'il aura obtenu 500 souscripteurs qui s’acquitteront de la somme de 40

francs363. Comme le laisse penser l’encart publicitaire de la Figure 84 paru dans un

quotidien lyonnais, les matières de vidange extraites des fosses mobiles font l’objet d’une commercialisation

357 Professeur de chimie de la ville de Lyon, membre du Conseil du commerce de Lyon, de la société de

Médecine de Lyon et de l’Académie des Sciences de Lyon, Tissier est membre associé correspondant du Collège de Pharmacie de Paris et des Sociétés de Médecine de Montpellier, Bordeaux, Grenoble et Toulouse, il est le premier Président de la société de Pharmacie de Lyon créée en 1806.

358 François TISSIER, Rapport de commission fait à la Société de médecine de Lyon, le 11 messidor an X,

sur l'établissement des eaux minérales artificielles des citoyens Paul et Cie, 1801 – 15.p. Il faut noter que les citoyens Tissier père et fils travaillent ensemble dans le cadre de cette commission.

359 Louis Furcy Grognier, né en 1773 à Aurillac, est un naturaliste français, professeur puis directeur de

l'École nationale vétérinaire de Lyon. Il est membre de la Société d’Agriculture, dont il est le secrétaire perpétuel, de la Société de médecine, de l’Académie des belles-lettres, puis du Comité de salubrité.

360 AML, I1267, rapport sur les fosses mobiles et inodores…

361 Affiches, annonces et avis divers de la ville de Lyon, n°10 du 2 février 1820, p.9-12. 362 Journal de Lyon et du département du Rhône, n°38, édition du 28 avril 1820, p. 2

363 Une publicité pour la poudrette rurale est insérée dans l’édition n°57 du Journal de Lyon et du

Figure 84 – publicité pour l’engrais des fosses mobiles Foullon364 (1821)

Si cette guerre des fosses mobiles qui débute à Lyon est relayée dans la presse365, le

système Cazeneuve peine à trouver son marché, se cantonnant à quelques hôpitaux et casernes. Au début des années 1820, dénonçant les inconvénients qui résultent principalement de l’infiltration des matières par des fosses fixes non étanches, Tissier

regrette beaucoup que les fosses mobiles et inodores de la compagnie Foullon n'aient pas été généralement adoptées et cela en dépit de la supériorité sur les puisards ordinaires, et il estime enfin qu'elles pourraient être prescrites par l'Autorité, lors de la construction des maisons366.

Deux décennies plus tard, le constat a peu varié, comme le confirme le docteur Bottex, Président de la société de médecine de Lyon et de la société d’agriculture du Rhône. Médecin en chef du quartier des aliénés de l'hospice de l'Antiquaille, membre correspondant des académies de médecine de Berlin et Madrid il est l’auteur d’un

rapport sur le Cholera-morbus de Paris, présenté à M. le Maire de Lyon en 1832367.

Lors de la séance du 21 septembre 1838, Bottex fait l’apologie des fosses mobiles, et note avec déception leur faible nombre à Lyon car

les habitants des grandes villes seraient délivrés d'une cause permanente d'insalubrité, si l'on adoptait l'usage des fosses mobiles… [qui] présentent quelques avantages sous le rapport de l’économie ; l’appareil est peu dispendieux, les frais d’enlèvement des tonneaux ne sont rien comparés à ceux des vidanges des fosses ordinaires368.

364 Journal de Lyon et du Midi, n°179, 26 octobre 1821, p. 2

365 Courrier de la Cie Foullon dénonçant la qualité de contrefacteur de M. Lacan publié dans les

Affiches, annonces et avis divers de la ville de Lyon du 6 juillet 1820, et réponse de celui-ci le 12 juillet 1820 dans le même organe de presse.

366 Louis-Furcy GROGNIER, Rapport à M. le comte de Brosses, Préfet, sur l’établissement et les premiers

travaux du Conseil de salubrité de la ville de Lyon, 1824, p.29, département du Rhône, 1824, p.30

367 Isidore-Augustin-Pierre de POLINIERE, Eloge du docteur A. Bottex lu dans la séance publique de la

Société de Médecine de Lyon, le 28 janvier 1850

368 Alexandre BOTTEX, Des Améliorations à introduire dans la construction et le curage des fosses

Si Bottex néglige par optimisme la fréquence des enlèvements et les incommodités associées au transport, formé à la médecine légale, il note en revanche le fait que

la police est intéressée à la substitution de ces fosses à celles qui sont en usage aujourd’hui, dans lesquelles on cherche fréquemment à faire disparaitre les traces de certains crimes369.

Hygiéniste mobilisé par le développement de l’adduction en eau potable à domicile, en particulier pour favoriser les pratiques de propreté corporelle, Bottex se projette enfin dans un futur relativement proche où

l’on sera contraint de recourir à ce système, à l'aide duquel on peut séparer les parties liquides des parties solides. La proportion des premières augmentant chaque jour, par l'usage des sièges dits à l’anglaise, par les bains à domicile dont l'eau est presque tous les jours vidée dans les latrines et, enfin, par les soins de propreté qui tendent à se répandre dans toutes les classes et qui entraînent une beaucoup plus grande consommation d'eau, on sera bientôt dans la nécessité de vidanger les fosses plusieurs fois dans l'année370.

Cette analyse permet de souligner les liens étroits entre la gestion des déjections et l’alimentation en eau potable. A la suite du rapport Bottex de 1838, Parisel, chimiste- pharmacien de première classe s’attaque à son tour au sujet. Lauréat de l'Ecole supérieure de Pharmacie de Paris, éditeur du périodique scientifique l’Année

pharmaceutique, Parisel connait bien le choléra, l’embaumement des corps,

l’adduction en eau371 et s’est intéressé à l'éclairage public et privé372. Dans son mémoire d’une trentaine de pages, il partage l’opinion de Bottex, insistant sur l’importance de l’alimentation en eau potable, sur le rôle déterminant de la ventilation des bâtiments, sur les conditions de construction des fosses et des tuyaux de chute, sans oublier l’éclairage et le paratonnerre pour protéger les vidangeurs par temps d’orage373.

Ce constat récurrent de l’état décevant des conditions de vidange est rappelé la décennie suivante à Lyon par deux médecins qui déploient une grande énergie en matière d’hygiène et de salubrité publique (voir Figure 85). L’ainé de ce binôme est le baron de Polinière, ancien médecin de l'Hôtel Dieu et administrateur des hôpitaux,

secrétaire du conseil de salubrité du département du Rhône374.

Le second est Monfalcon, docteur diplômé à 26 ans en 1818, médecin de l'Hôtel Dieu en 1825, membre du Conseil de salubrité du département du Rhône pendant plus de 30 ans, de l'académie royale de médecine, et de nombreuses sociétés savantes françaises.

369 La question de l’avortement et des fosses d’aisances est abordée plus loin. 370 Ibid

371 Eaux publiques et privées, nouveau système de fourniture à la ville de Lyon, 1842.

372 Annuaire administratif et commercial de Lyon et du département du Rhône, 1843, p. 137-163

373 Aperçu sur l’assainissement de Lyon, in Annuaire administratif, statistique et commercial de la ville

de Lyon et du département du Rhône, 1840, p. 121-150.

374 Jean-Baptiste MONFALCON, Eloge du docteur Baron De Polinière lu à l'Académie de Lyon dans la

Une de ses rares biographies le décrit comme une des gloires médicales les plus pures

de la grande cité lyonnaise375. Leurs observations s’inscrivent dans la continuité en

1845, notant en effet que

le système des fosses mobiles est peu connu à Lyon autre part que dans les établissements publics, ses avantages ont été constatés par l'expérience. Applicable partout, il permet un enlèvement facile des matières fécales, sans odeur, sans malpropreté et sans chance d'asphyxie pour les ouvriers376.

Figure 85 – traité de la salubrité dans les grandes villes et portraits377 (1846)

Variante de la fosse mobile de Cazeneuve, un dispositif typiquement lyonnais est

imaginé par Félix Fleury, architecte à la Guillotière378, associé à M. Cappot. Protégé

par un brevet de 15 ans du 28 juillet 1845, cet appareil destiné à mettre les fosses

d’aisances à l’abri de toute infiltration des matières fécales et à les rendre inodores

est présenté dans la Figure 86. Equipé d’un réservoir maçonné et hermétique doté d’un robinet permettant de vidanger les matières dans des tonneaux, ce système s’installe dans les caves

375 Dr Amédée DECHAMBRE, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, série 2, t. 9, 1875, p.

792-793.

376 Jean-Baptiste MONFALCON, Hygiène de la ville de Lyon, ou opinions et rapports du conseil de

salubrité du département du Rhône, 1845, p.64.

377 Isidore Augustin Pierre de Polinière (en haut) et Jean-Baptiste Monfalcon (en bas) – source BIUM 378 A ne pas confondre avec le lieutenant-général de Fleury, qui a pour sa part doté les établissements

Figure 86 – fosse fixe et mobile à séparation Fleury (1846)

Sollicitées par Fleury, diverses institutions lyonnaises se penchent sur son système, et l’Académie Royale des Sciences, arts et Belles Lettres de Lyon, dans sa séance du 21 avril 1846, nomme une commission constituée de Bredin, ancien directeur de l’Ecole vétérinaire, du Dr Gauthier et de l’architecte Chenavard, rapporteur, pour juger le

mérite des fosses d’aisances qu’il a inventées.

Après un délai de 7 mois, un avis est rendu le 24 novembre 1846 qui fait l’éloge du dispositif et exprime

le vœu que les moyens proposés… soient appliqués à tous les établissements publics et à toutes les habitations particulières, autant pour la salubrité de nos demeures que pour la sureté des ouvriers employés aux vidanges379.

Mobilisée à son tour, la Société royale d’agriculture de Lyon désigne le 12 mars 1846 une Commission dont Tissier est rapporteur. Dans la séance du 7 août 1846, après une description de ces fosses mobiles et de leurs avantages, Tissier rappelle que le Conseil de salubrité du Rhône a donné un avis favorable à cette invention et que la qualité agronomique de la gadoue est d’un grand intérêt, concluant que

l'appareil de M. Fleury remplit les conditions les plus favorables pour obtenir une gadoue de bonne qualité et pour satisfaire aux exigences de la salubrité publique.

Un doute persistant restant à surmonter, une troisième commission désignée par la Société d’Horticulture pratique du Rhône rend le 27 juin 1846 un rapport favorable au système Fleury380.

379 Comptes rendus et extraits des procès-verbaux des séances de l'Académie des sciences, belles-

lettres et arts de Lyon, 1847, p.83.

Bénéficiant de solides recommandations des plus hautes instances lyonnaises, l’affaire semble promise à un bel avenir commercial, attirant l’attention d’un entrepreneur. Petit neveu d’un Académicien poète et dramaturge, Paul C. J. Andrieux, Ingénieur

civil économiste, auteur de nombreux opuscules imprimés381, s’engage dans la

commercialisation du système Fleury et diffuse en 1849 un opuscule de 16 pages

intitulé des fosses d’aisances urbaines et de leur perfectionnement382, qui proclame

que cette invention,

par des moyens d’une grande simplicité, satisfait à tous les résultats que peut convoiter sur ce sujet la plus exigeante sollicitude… et parait être le perfectionnement final de cette partie de la construction des édifices d’habitation.

En l’absence d’obligation réglementaire prise par la police de Lyon, cette action de promotion pour convaincre les Autorités municipales de l’intérêt des fosses mobiles Fleury reste vaine, aucune trace n’ayant pu être identifiée de Fleury comme d’Andrieux après 1850.