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Chapitre 6 Gérer la vidange, activité à risques

6.4 La désinfection, sujet de controverse (1782-1785)

6.4.2 L’Académie lyonnaise amère au vinaigre

Ne pouvant rester indifférent aux débats opposant Janin aux savants de Paris, l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, établie en 1700 (voir Figure 124), se préoccupe à son tour de la question. Elle décide de missionner ses meilleurs experts et deux figures, Lanoix et François Tissier, retiennent l’attention par leur longue et riche activité dans le domaine de la salubrité publique626.

Figure 124 - sceau de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon

Pour disposer d’un avis sur la question du vinaigre de Janin, trois commissions successives, à un rythme annuel soutenu, se rendent sur le terrain en 1782, 1783 et 1784 établissant constatations et préconisations627.

623 Fils du directeur de l'Académie de France, Hallé obtient son diplôme de docteur à 16 ans, en 1770

et, "la manière brillante dont il se retira de ces diverses épreuves lui valut l'estime de ses maîtres, & bientôt il fut appelé avec Vicq-d'Azir, Bocquet, Thouret, Mahon, &c., pour faire partie de la Société Royale de Médecine" (voir sa notice bibliographique dans l’Encyclopédie méthodique, série Médecine, t. V, Paris, 1792 - p 622-623).

624 Jean-Noël HALLE, Recherches sur la nature et les effets du méphitisme…, 1785, p. 4 625 A. CHEVALLIER, Traité des désinfectants…, Paris, Ed. Asselin, 1862, p.2

626 Le premier a vécu 105 ans et le second s’est éteint à 75 ans !

627 Antoine François DELANDINE, Manuscrits de la bibliothèque de Lyon, ou Notices sur leur ancienneté,

leurs auteurs, les objets qu'on y a traités, le caractère de leur écriture, l'indication de ceux à qui ils appartinrent…, vol. 2, 1812, pp. 321-322.

Le premier mémoire sur les procédés de M. Janin de Combe-blanche pour désinfecter

les puisards et les fosses d’aisance et aux divers moyens d’enchaîner les moffètes et les miasmes putrides, qui s’évaporent des matières qui y sont renfermées n’a pu être

retrouvé, ses auteurs et ses conclusions restant non identifiés628. Le second mémoire

de 1783 est rédigé par Jean-Baptiste Lanoix, pharmacien formé à Paris auprès des chimistes Rouelle, Macquer629 et surtout Lavoisier.

Après avoir été apothicaire aide-major à l'armée du Bas-Rhin, il est affecté à l'Hôpital militaire des Jésuites de Cologne puis prend la fonction de Maître en pharmacie de la ville de Lyon et démonstrateur en chimie à la Société Royale d’Agriculture630. Ses

travaux sur la qualité des eaux de sources sont remarqués par Vicq-d’Azir631, et sont

récompensés par une mention honorable de la Société Royale de Médecine. Homme de terrain, il réalise de nombreuses analyses et constatant l’imprécision des mesures

sur les gaz dissous dans les eaux, conçoit un instrument, l’hydropneumatique632.

Dans un contexte de pénurie de bois, Lanoix, lauréat en 1784 du concours de la Société Royale d’agriculture de Lyon, invente un four de boulangerie chauffé au

charbon de terre633, et tente l’aventure commerciale avec une entreprise de

l’épurement du charbon de terre pour Lyon et la province du Lyonnais634.

Il installe un petit atelier dans la Presqu’île de Perrache alors peu peuplée pour exploiter son four et réaliser la combustion de houille pour valoriser les goudrons et noirs de fumée. Point remarquable, le gaz hydrogène carboné (c’est le méthane ou

gaz naturel) obtenu est isolé et brûlé pour produire de la lumière635, ce qui permet

sans doute de classer Lanoix parmi les précurseurs de l’éclairage public636.

Dans les conclusions de son rapport, Lanoix remet en cause la méthode Janin et rappelle l’intérêt des déjections pour l’agriculture637.

628 L’ouvrage est cité par Delandine dans Manuscrits de la bibliothèque de Lyon…, vol.2, p. 322.

629 Pierre Joseph MACQUER (1718-1784), chimiste français, administrateur de la manufacture des

Sèvres, auteur d’un Dictionnaire de Chimie en 1766 dans lequel apparaît pour la première fois le mot

gaz, a noté que les alchymistes qui ont cherché partout la matière du grand-œuvre ont beaucoup travaillé en particulier sur les excréments de l'homme et des autres animaux.

630 Jean-Pierre POINTE, notice biographique sur Jean-Baptiste Lanoix, 1845, 24. pp. 631 Mémoire sur l’analyse des eaux minérales d’Orliénas, 1780, 71 pp.

632 VILLIERS et WILLERMOZ, Rapports sur l'hydropneumatique ou machine de M. Lanoix pour extraire le

principe gazeux des eaux minérales, 1779, Manuscrit n°206, Académie de Lyon

633 Mémoire sur un four chauffé au charbon de terre épuré pour la cuisson du pain, 1784 et, mémoire

sur les fours de boulangers, chauffée avec du charbon de terre, & plans des mêmes fours, couronnés par la Société Royale d’agriculture de Lyon, 1785

634 Sieurs Guy, Denesson & Compagnie, Entrepreneurs de l'épurement du charbon de terre dans la

province de Lyonnois, avis important sur l'usage du charbon de terre épuré, 1783, 4 p.

635 Maurice BOUVET, René DEROUDILLE, Les pharmaciens Français et l'invention du gaz d'éclairage,

Revue d'histoire de la pharmacie, 44e année, n°148, 1956, pp. 273-277.

636 Jean-Pierre WILLIOT, Naissance d'un service public : le gaz à Paris, 1999, p. 13.

637 Jean-Baptiste LANOIX, Mémoire sur les observations chimiques sur les fosses d'aisance, d'après

lesquelles on indique les moyens d'entraîner les miasmes putrides des matières qui y sont renfermés, ce qui procure l'avantage sans inconvénient et sans danger. On trouvera un raisonnement analytique de cette substance fécale pour conserver cet engrais aux agriculteurs, Manuscrit n°256, Académie de Lyon, 1783

La troisième expertise est confiée au pharmacien Tissier, animé comme Lanoix par l’esprit d’entreprise, créateur avec son fils Nicolas d’une voirie à La Guillotière pour valoriser diverses matières animales dont des chevaux, morts ou à abattre. Après combustion des chairs animales et séparation des produits, l’établissement

commercialise des sels ammoniacaux, du sel de Glauber638, de l’huile

empyreumatique animale639, du noir d’os ou noir d’ivoire, des résidus de la distillation

des os, et enfin, du bleu de Prusse, du prussiate de potasse et du sulfate de potasse. Publié en 1818 par la Société d'agriculture de Lyon640, un mémoire sur l'emploi

chimique et économique de la voirie de la ville de Lyon de Nicolas Tissier permet de

penser que cette activité a connu un certain succès641.

Quant à l’avis de Tissier père sur la méthode Janin, ses conclusions présentées lors de la réception annuelle de l’Académie du 31 août 1784 consacrée aux arts appliqués

scellent définitivement la polémique642. Dans ces conditions, condamné par les

experts de Paris comme de Lyon, le méthode de Janin tourne au vinaigre. Pardonnant un entêtement peu compatible avec une approche scientifique, l’éloge rédigée par l’illustre médecin Jacques Pierre Pointe, évoque avec compréhension la méprise de l’ophtalmologiste

trompé par les résultats équivoques de quelques expériences, Janin crut avoir trouvé un moyen infaillible de désinfecter les fosses d’aisance et autres lieux insalubres ; et quand de nouvelles recherches mirent en évidence l’insuffisance de ses procédés, trop prévenu peut-être en faveur de ses propres idées, séduit par l’espérance flatteuse d’avoir fait une découverte utile à l’humanité, il n’eut pas le courage de renoncer franchement à son opinion. Il la soutint avec persévérance, malgré des expériences qui eurent un résultat funeste, et malgré le jugement des hommes illustres qui avaient été chargés de les suivre643.

Si l’on peut considérer que cette querelle sur l’efficacité du vinaigre pour réduire les risques associés à la vidange constitue un acte isolé, résultat de l’obstination d’un oculiste borné, cet exemple fournit une illustration du caractère controversé de la notion de désinfection, régulièrement remise en question par les progrès de la médecine comme par les méthodes analytiques.

638 Le nom de sel de Glauber, ou mirabilite, est du sulfate de sodium, solide cristallin blanc de formule

chimique Na2SO4 découvert par Johann Rudolf Glauber au XVIIe s. et alors utilisés en médecine comme laxatifs.

639 Résidus de la combustion de matières organiques, ce sont des huiles caractérisées par des odeurs

brûlées, chauffées ou séchées, et donc très malodorantes.

640 Ce rapport de 18 pages, présenté à l’Académie en 1818, n’a pu être trouvé.

641 Antoine BRIFFANDON, Notice nécrologique et historique sur Nicolas Tissier, Ann. Soc. Linn., 1850,

pp. 227-235.

642 François TISSIER, Le méphytisme des fosses d’aisance, Manuscrit n°257, Académie de Lyon, 1784 643 Jacques Pierre POINTE, Eloge de Jean Janin de Combe-Blanche, Lyon, T. Pitrat, impr., 1825

Chapitre 7 -

Les déjections humaines, matières à